Trois ans après le début de la crise sanitaire, le bilan se fait attendre. Si les arguments en défaveur des mesures anti-Covid commencent à trouver un certain écho dans les milieux scientifiques, les mondes politiques et médiatiques – souvent interconnectés – n’ont toujours pas fait l’analyse de leur traitement de la crise. Du moins, c’était le cas jusqu’à aujourd’hui! Répondant à un appel de L’Impertinent, bien décidé à impulser cet exercice nécessaire et légitime, de nombreuses rédactions romandes ont joué le jeu et accepté de tirer un bilan de leur travail durant cette période. En voici le résultat.
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Cela aura pris du temps, mais la plupart des médias ont fini par consentir à une auto-analyse de leur traitement de la crise sanitaire. Si l'exercice n'a pas été initié spontanément par les rédactions elles-mêmes, il a été accueilli avec bonne volonté et bienveillance par la majorité des journalistes interrogés, que nous remercions. Tous ont reçu le même questionnaire et ont choisi d'y répondre différemment.
Nous avons décidé de retranscrire leurs déclarations de la façon la plus brute possible, afin de ne pas risquer de travestir leurs propos. Le travail d’édition est donc limité au minimum.
20 minutes
Philippe Favre, rédacteur en chef
«Le groupe 20 Minuten a été le partenaire média de l’Office fédéral de la santé publique et, à ce titre, a relayé les communiqués de la Confédération dans un espace dédié. Ce type de partenariat n’est pas exceptionnel, puisque nous publions de longue date une rubrique “Nous sommes le futur” en collaboration avec l’Office fédéral de l’environnement.
Cette période marquée par différents confinements nous a appris à travailler à distance, en particulier pour l’édition print. Nous avons pu ainsi mesurer les bénéfices mais aussi les désavantages du télétravail.
Nous avons également été confrontés à la virulence de certains interlocuteurs en désaccord avec la politique du Conseil fédéral. J’ai été personnellement menacé, comme toute la direction de 20 Minuten, avec publication de mon nom, de ma photo et de ma fonction sur internet.
Globalement, la grande majorité des citoyens a montré un regain de confiance envers les médias traditionnels. En revanche, les réseaux sociaux semblent avoir perdu en crédibilité (voir l’étude Reuters).»
Le Matin
Laurent Siebenmann, rédacteur en chef
A posteriori, quel regard portez-vous sur votre traitement de la crise sanitaire?
Dans un premier temps, comme pour tous les médias, il s’est déroulé dans une certaine urgence. Le but premier était, naturellement, d’informer la population s’agissant de l’évolution de la situation, des dispositions sanitaires et sociétales. Dans un second temps, il a été question de maintenir un niveau d’information strictement basé sur les données fournies par l’Etat, les cantons et, de manière plus large, sur les mesures qui touchaient chacune et chacun dans sa vie de tous les jours. Egalement, de tenir nos lecteurs informés concernant l’évolution sanitaire et médicale concernant la Covid. Nous avons aussi publié durant de nombreux mois, chaque semaine, les chiffres suisses liés au Covid.
Globalement, avez-vous des regrets?
Des regrets, non. Mais peut-être y a-t-il eu une forme d’emballement, sans doute dû au flot d’informations qui nous parvenait. Et à l’aspect tout à fait extraordinaire lié à cette situation sanitaire inédite dans notre pays. On est toujours plus intelligent après.
Si c'était à refaire, feriez-vous quelque chose différemment et, si oui, quoi?
Je pense que la fréquence des informations a pu angoisser les lecteurs. Sans doute procéderions-nous un tantinet différemment si pareille situation devait se représenter.
De quoi êtes-vous le plus fier?
D’abord, d’avoir tenu bon la barre durant une période aussi incertaine pour la population que pour la vie de nos médias. Economiquement, nous avons su préserver jobs et salaires de nos collaboratrices et collaborateurs, et les avons rapidement rassurés. Nous avons également adapté nos structures de travail – avec le télétravail en particulier – en un temps record, sans perdre en efficacité.
Ensuite, d’un point de vue rédactionnel, je crois que nous avons informé en temps et en heure nos lecteurs. Il ne me semble pas que nous ayons omis d’information importante, malgré le flot de données et, une fois encore, de la situation inédite.
Cette période a-t-elle remis en question certaines certitudes que vous pouviez avoir à propos de la profession?
Au contraire, cette période extraordinaire a renforcé ma conviction que, face au flot de désinformation que l’on pouvait lire, notamment sur les réseaux sociaux, la presse a plus que jamais un rôle déterminant.
A-t-elle entraîné des réflexions sur votre façon de faire du journalisme?
Elle a entraîné quelques réflexions sur le tri d’informations, dans une situation pareille, sur une vérification accrue de ces mêmes informations et sur leur fréquence de diffusion, qui a pu induire un stress chez nos lecteurs.
Avez-vous reçu des pressions, directes ou indirectes, de la part des autorités pendant cette crise?
A aucun moment.
Avez-vous parfois eu des doutes au moment de relayer les recommandations sanitaires?
Non.
Avez-vous l'impression que cette période a entaché la confiance des citoyens dans la presse, est-ce que votre expérience le démontre?
Je pense surtout qu’il y a une forme de défiance générale face à toute forme «d’autorité». Qu’il s’agisse de la presse, du monde politique, du monde hospitalier et du milieu pharmaceutique. Ceci a été grandement favorisé par les inepties qui ont pullulé sur les réseaux sociaux. D’un point de vue strict du matin.ch, à en juger par nos excellentes audiences qui ne se sont jamais démenties, les lectrices et les lecteurs ne nous ont jamais tourné le dos.
Avez-vous reçu des menaces pendant cette période?
Oui, c’est arrivé, de la part de quelques lecteurs au sang chaud qui nous souhaitaient de «disparaître» et nous traitaient de propagandistes étatiques. Mais rien de bien grave ni de très fréquent.
24 heures
Claude Ansermoz, rédacteur en chef
A posteriori, c’est «le regard d’un travail en période de crise, sans pouvoir dans un premier temps, prendre du recul», que porte Claude Ansermoz sur l’activité de son équipe pendant la pandémie.
S’il devait avoir un regret, ce serait celui que «les choses se soient vite clivées. Et de peiner à trouver dans le camp contre les mesures Covid des voix qui n’étaient pas jusqu’au-boutistes.»
Si c'était à refaire, le rédacteur en chef du 24 heures aurait réagi plus vite sur les conditions d’encadrement de certains reportages. En effet, à cette époque, les autorisations d'aller enquêter sur le terrain – notamment au CHUV – étaient gérées par le porte-parole de la police cantonale vaudoise.
Ce dont il est le plus fier? «D’avoir essayé de faire honnêtement notre travail dans un esprit de service à la population.»
Si cette période n’a pas spécialement remis en question certaines certitudes que Claude Ansermoz pouvait avoir à propos de la profession, elle «a marqué une rupture dans le fait qu’aujourd’hui les fronts se sont clivés dans plein d’autres domaines (Guerre en Ukraine, climat, etc.)»
Sur le plan des pressions des autorités, le rédacteur en chef est formel: «Absolument pas. En tout cas pas plus qu’usuellement. La réponse aux pressions est toujours la même: l’indépendance éditoriale est sacrée.» D’ailleurs, Claude Ansermoz a parfois eu des doutes au moment de relayer les recommandations sanitaires. «J’ai d’ailleurs écrit dans un édito que porter un masque dans la rue me semblait inutile», explique-t-il.
Quant à la confiance des citoyens dans la presse, elle n’a pas été entachée par cet épisode, selon lui: «Au contraire, le public a suivi nos informations sur le covid de manière très soutenue, depuis le début mais y compris dans la durée, déclare le journaliste. Démontrant que les lecteurs se tournent vers les sources d'informations fiables en cas d'événement majeur.»
Lui aussi affirme avoir reçu des menaces pendant cette période.
Lausanne Cités
Charaf Abdessemed, journaliste
A posteriori, quel regard portez-vous sur votre traitement de la crise sanitaire?
Je pense que le traitement a été correct, malgré les grandes incertitudes scientifiques qui prévalaient.
Avez-vous des regrets?
A titre individuel non, collectivement les médias auraient dû se passer de tous les articles «au conditionnel» qui ne servaient à rien et ont contribué à brouiller la qualité de l'information. Les médias ont beaucoup de mal à écrire «on ne sait pas».
Si c'était à refaire, feriez-vous quelque chose différemment et, si oui, quoi?
Rien, nous sommes un hebdo, donc nous étions en dehors de la course à l'info: cela nous a obligés à un traitement plus distancié.
De quoi êtes-vous le plus fier?
Que les lecteurs se soient tournés vers nous comme source d'information et de débat
Cette période a-t-elle remis en question certaines certitudes que vous pouviez avoir à propos de la profession?
Plutôt conforté sur le caractère délétère de la course à l'instantanéité.
A-t-elle entraîné des réflexions sur votre façon de faire du journalisme?
Non.
Avez-vous reçu des pressions, directes ou indirectes, de la part des autorités pendant cette crise?
Aucune
Avez-vous parfois eu des doutes au moment de relayer les recommandations sanitaires?
Non, car nous avons toujours été prudents en mentionnant que c'était «en l'état actuel des connaissances scientifiques».
Avez-vous l'impression que cette période a entaché la confiance des citoyens dans la presse, est-ce que votre expérience le démontre?
Je ne pense pas, même plutôt le contraire.
Avez-vous reçu des menaces pendant cette période?
Aucune.
La Liberté
François Mauron, rédacteur en chef
«Je n’étais pas encore rédacteur en chef au plus fort de la crise du Covid, et je ne saurais parler au nom de mon prédécesseur. C’est pourquoi je ne peux pas répondre en détail, une par une, à vos questions. Ce que je peux dire en revanche de manière générale sur ce coronavirus, c’est qu’il s’agit, comme vous le savez, d’un sujet qui a divisé la société.
Il y a, en substances, les gens qui ont soutenu la politique des autorités durant la pandémie et ceux qui l’ont rejetée. Comme pour tous les autres dossiers qu’elle aborde, La Liberté a traité ce thème difficile sous tous les angles, sans a priori. L’une des conséquences est que nous avons fréquemment heurté les deux camps que j’ai cités ci-avant, selon l’angle retenu pour nos différents articles. En témoignent les retours de certains lecteurs, qui nous reprochaient d’être pro ou anti. J’y vois un signe que nous avons fait correctement notre travail, notamment en donnant la parole à toutes les sensibilités pendant la crise du Covid.»
Rédacteur en chef de La Liberté au plus fort de la crise Covid, Serge Gumy a été contacté mais nous a envoyé le message suivant: «Malgré toute la bonne volonté du monde, et au vu de mes échéances de cette fin de semaine, je ne serai pas en mesure de répondre à vos questions.»
Bilan
Serge Guertchakoff, ancien rédacteur en chef
A posteriori, quel regard portez-vous sur votre traitement de la crise sanitaire?
Il a fallu réagir de manière agile, c'est-à-dire en remettant à plat notre mode de fonctionnement et la programmation de nos dossiers. Globalement, cela s'est bien déroulé.
Avez-vous des regrets?
Non. Je suis resté libre d'exprimer mon opinion dans mes éditos.
Si c'était à refaire, feriez-vous quelque chose différemment et, si oui, quoi?
Non.
De quoi êtes-vous le plus fier?
D'avoir réussi à mobiliser mon équipe et d'avoir sorti très rapidement certaines estimations chiffrées de l'impact économique de cette pandémie en Suisse romande.
Cette période a-t-elle remis en question certaines certitudes que vous pouviez avoir à propos de la profession?
Cela est plutôt venu confirmer ma vision d'une partie de mes confrères, c'est-à-dire du fait qu'un certain nombre ne veulent surtout pas prendre de risques et prendre des coups en sortant des sentiers battus.
A-t-elle entraîné des réflexions sur votre façon de faire du journalisme?
Non.
Avez-vous reçu des pressions, directes ou indirectes, de la part des autorités pendant cette crise?
Pas des autorités. Est-ce dû au fait que je dirigeais un mensuel économique? Difficile à dire. Par contre, le fait d'avoir une opinion toujours très critique des pouvoirs établis aura sans aucun doute joué un rôle dans mon éviction par une personne qui a repris la supervision du titre au 1er janvier 2021.
Avez-vous parfois eu des doutes au moment de relayer les recommandations sanitaires?
Je ne les ai pas relayées. Nous avons par contre essayé de mesurer leurs impacts auprès des différentes PME: discothèques, fitness, agences de voyages, etc.
Avez-vous l'impression que cette période a entaché la confiance des citoyens dans la presse, est-ce que votre expérience le démontre?
Cela fut sans doute une goutte de plus qui aura fait déborder le vase auprès d'une partie du lectorat.
Avez-vous reçu des menaces pendant cette période?
Non.
watson
Fabien Feissli, rédacteur en chef
«Je peux difficilement répondre à tes questions en tant que rédacteur en chef, car je n'ai pris les commandes de watson qu'au printemps 2022, soit quand la crise touchait à son terme. A titre personnel, je dirais que la pandémie m'a fait découvrir les défis liés au journalisme scientifique, notamment concernant la fiabilité ou la représentativité des études publiées. Nous avons d'ailleurs organisé une petite formation avec un spécialiste à ce sujet chez watson.»
Fabien Feissli a succédé à Sandra Jean, rédactrice en chef aux manettes du lancement de la version romande de watson à Lausanne.
Contactée, voici ce qu’elle nous a communiqué sur la question: «Quel que soit le sujet, un journaliste doit toujours et parfois envers et contre tout conserver sa capacité à interroger le(s) système(s) avec toute sa rigueur professionnelle résumée dans la charte des droits et devoirs journalistiques. Sans tabou mais avec un grand professionnalisme. Sans quoi, notre métier n’a pas de sens.»
Bon pour la tête
Sarah Dohr, présidente du comité
A posteriori, quel regard portez-vous sur votre traitement de la crise sanitaire?
Notre type de journalisme chez Bon pour la Tête consiste à raconter tous les
différents angles et points de vue. Être critique. Durant la crise sanitaire, cela nous a
coûté des lecteurs, mais nous en avons aussi gagné. Cela nous a aussi coûté des
membres du comité. Certains n’étaient pas d’accord avec le fait que nous donnions
aussi la parole à la partie adverse, aux opposants aux mesures. Je suis heureuse que
nous ayons toujours maintenu cette ligne de conduite et donné la parole à tout le
monde.
Avez-vous des regrets?
Absolument pas.
Si c'était à refaire, feriez-vous quelque chose différemment et, si oui, quoi?
Nous ferions de même.
De quoi êtes-vous le plus fier?
Comme nous l'avons déjà écrit au point 1, nous sommes heureux d'avoir maintenu
notre ligne de conduite.
Cette période a-t-elle remis en question certaines certitudes que vous pouviez avoir à propos de la profession?
Non, pas vraiment. Chaque média, chaque journaliste doit savoir lui-même comment
aborder un sujet. Chez Bon pour la Tête, nous ne critiquons pas nos confrères. Mais
ce que nous avons pu constater, c'est que sous l'influence d'une certaine peur, la
vision objective est très compromise. Est-ce humain? Ou pas professionnel? Je ne
sais pas, mais j'espère que chacun et chacune commencera à travailler sur cette
crise en soi-même.
A-t-elle entraîné des réflexions sur votre façon de faire du journalisme?
Non.
Avez-vous reçu des pressions, directes ou indirectes, de la part des
autorités pendant cette crise?
Non.
Avez-vous parfois eu des doutes au moment de relayer les recommandations sanitaires?
Nous n’avons pas relayé les recommandations sanitaires de notre gouvernement.
Avez-vous l'impression que cette période a entaché la confiance des citoyens dans la presse, est-ce que votre expérience le démontre?
C'est un fait que la répétition incessante des instructions par l'OFSP et la
Confédération, y compris le décompte des décès quasi par heure, ont constitué une
sorte de mise sous tutelle du citoyen. Cette mise sous tutelle a probablement donné
la nausée à beaucoup de lecteurs. J'imagine bien que certains (ceux qui ont voté
contre la loi Covid, 30% tout de même) se sont détournés des médias traditionnels. Il
suffit de voir la création de nombreux médias indépendants, dits alternatifs.
Avez-vous reçu des menaces pendant cette période?
Le journal Bon pour la Tête n'a pas reçu de menaces. Mais des insultes, oui.
Beaucoup même. Et aujourd'hui encore, avec notre leitmotiv d'éclairer tous les
angles (guerre en Ukraine, crise climatique, etc.), nous recevons beaucoup
d'insultes. Nous avons été traités de complotistes, antivax, 5e colonne de Poutine,
climasceptico etc.
Ces expressions sont jetées en l'air sans que le contenu ne soit abordé. Et cela montre en fait la vision médiocratique des gens. Alors nous préférons demander à ces personnes d'écrire et de répondre au contenu. Car nous souhaitons donner la parole à chacun et chacune. Malheureusement, personne ne le fait jamais.
RTS
Pierre-Olivier Volet, corédacteur en chef de l’Actu TV
«Durant la pandémie de COVID-19, la RTS a été réactive et a réussi à se mobiliser sur le terrain, en étant proche de la population, avec des journalistes qui se sont spécialisés sur les questions sanitaires. Nos informations ont trouvé un accueil très favorable auprès du public, avec des records d’audience et une grande attente manifestée à notre égard.
Nous aurions volontiers amené encore plus d’explications et de décryptages. C’est un enseignement qui a été retenu et nous en avons fait une priorité éditoriale pour la nouvelle formule du 19h30 lancée lundi 21 août. Nous avons également créé une rubrique "Science et environnement" rassemblant de l’expertise journalistique désormais indispensable, comme l’a démontré la couverture éditoriale de la pandémie mais aussi la question du changement climatique.
Si la pandémie n’a pas remis en question les fondamentaux du journalisme, elle nous a ébranlés en ce sens qu’il a fallu travailler tout en étant potentiellement touché soi-même. Pour la plupart d’entre nous, les crises que nous avions couvertes jusqu’ici se déroulaient à l’étranger, et nous et nos familles étions hors d’atteinte. Elle a aussi appelé à œuvrer avec humilité, considérant que les réponses aux situations n’étaient pas toutes disponibles aussi rapidement que les rythmes de l’actualité l’auraient souhaité.
Au niveau des rédactions, nous n’avons pas relevé de pression venant des Autorités. C’est plutôt l’inverse qui s’est produit, avec des institutions publiques fortement mises à contribution par les événements et donc également par une couverture médiatique intense et quasi ininterrompue : les Autorités ont travaillé sous le feu des projecteurs en permanence. Elles ont édicté des recommandations en fonction de leur connaissance, parfois en se basant sur le principe de précaution : en tant que média nous avons rendu compte de ces messages dans un contexte où des vies étaient en jeu.
Cette période a certainement accentué des épisodes de méfiance d’une partie de la population à l’égard des Autorités et des médias. Elle a contribué à renforcer des mouvements de rejet et à accentuer des clivages : dans ce contexte, nos rédactions n’ont pas échappé aux insultes et ont ponctuellement essuyé des menaces, subissant des actes qui sont toutefois restés isolés.»
Ringier (groupe de médias)
Roland Wahrenberger, directeur des magazines, qui répond pour L'Illustré
A posteriori, quel regard portez-vous sur votre traitement de la crise sanitaire?
Cela peut paraître un peu autoglorifiant, mais je pense que nous avons géré la situation de manière exemplaire, même d'un point de vue actuel.
Avez-vous des regrets?
Non, absolument pas. La santé de nos collaborateurs a été la première priorité dans toutes les réflexions et mesures prises.
Si c'était à refaire, feriez-vous quelque chose différemment et, si oui, quoi?
Si nous avions le même niveau de connaissances, nous ferions exactement la même chose aujourd'hui.
De quoi êtes-vous le plus fier?
Nous avons mis sur pied en un temps absolument record une organisation qui a produit des magazines actuels et remarquablement bien faits, même à partir d'un bureau à domicile.
Cette période a-t-elle remis en question certaines certitudes que vous pouviez avoir à propos de la profession?
Non, au contraire, cela m'a conforté dans l'idée que les personnes qui travaillent dans le secteur des médias peuvent s'adapter de manière très flexible à de nouvelles situations.
A-t-elle entraîné des réflexions sur votre façon de faire du journalisme?
Non, nous n'avons rien changé à notre façon de faire du journalisme. La qualité et la pertinence sont toujours au premier plan.
Avez-vous reçu des pressions, directes ou indirectes, de la part des autorités pendant cette crise?
Non, absolument pas. Notre direction a pris des décisions de manière très autonome, en collaboration avec la maison mère.
Avez-vous parfois eu des doutes au moment de relayer les recommandations sanitaires?
Les recommandations ont bien sûr fait l'objet d'un examen critique avant d'être transmises.
Avez-vous l'impression que cette période a entaché la confiance des citoyens dans la presse, est-ce que votre expérience le démontre?
La situation exceptionnelle a déstabilisé de nombreuses personnes et a ouvert la porte aux théories du complot. La grande majorité des gens a compris et suivi les mesures prises en fonction de l'état actuel des connaissances.
Avez-vous reçu des menaces pendant cette période?
Bien sûr, il y a eu des plaintes de lectrices et de lecteurs qui n'étaient pas d'accord avec les mesures ordonnées et communiquées. Mais cela se produit pour la plupart des grands thèmes traités par les journalistes.
Le Temps
Madeleine von Holzen, rédactrice en chef
Nous n’avons jamais subi de pressions de quelconques institutions, mais certains journalistes ont été menacés par des individus.
La rédaction du Temps a réalisé une importante couverture du Covid, sur les plans scientifiques, politiques, ou sociétaux. J’estime qu’elle a été de grande qualité. Ces contenus ont suscité un intérêt soutenu de la part des lecteurs et internautes, les audiences ont été très élevées.
Nous nous sommes efforcés de rendre compte de l’évolution des connaissances scientifiques sans précipitation et avec esprit critique.
Nous nous interrogeons régulièrement au sein de la rédaction à propos de nos pratiques dans le but de les améliorer, la couverture du Covid a bien sûr fait partie de ces débats.
Je signale deux contenus en particulier:
Le roman de la pandémie
Cette vidéo:
Heidi.news
Serge Michel, rédacteur en chef
A posteriori, quel regard portez-vous sur votre traitement de la crise sanitaire?
Je pense que les journalistes de Heidi.news ont donné le meilleur d’eux-mêmes, que grâce à elles et à eux Heidi.news a couvert la crise sanitaire d’une façon à la fois spectaculaire, approfondie, pertinente et compréhensible. Et que le projet d’un média spécialisé a montré là toute sa pertinence.
Avez-vous des regrets?
Aucun. A part que si les vaccins ARN étaient arrivés plus tôt, mon père serait peut-être encore en vie.
Si c'était à refaire, feriez-vous quelque chose différemment et, si oui, quoi?
J’aurais lancé un podcast et une chaine YouTube pour reprendre les mêmes contenus sur des canaux différents.
De quoi êtes-vous le plus fier?
Avoir réussi avec toute l’équipe Heidi.news à traiter l’actu urgente tout en lançant plusieurs séries de reportages et enquêtes au long cours, avoir eu tout le monde sur le pont, avoir multiplié par dix nos audiences, avoir vu Heidi.news grâce à ses journalistes spécialisés devenir un des médias de référence durant cette période alors qu’il existait depuis moins d’un an.
Cette période a-t-elle remis en question certaines certitudes que vous pouviez avoir à propos de la profession?
Pourquoi, elle aurait dû? Ma certitude, c’est que les lectrices et lecteurs attendent des journalistes qu’ils soient humbles, documentés, clairs et précis. Quand ils le sont et quand l’actualité dramatique demande qu’ils le soient, c’est une relation idéale qui s’installe entre l’audience et les journalistes.
A-t-elle entraîné des réflexions sur votre façon de faire du journalisme?
Pourquoi, elle aurait dû? Je n’ai pas «une» façon de faire du journalisme. J’ai été correspondant dans des lieux connus (Zurich) et moins connus (Téhéran, Belgrade, Dakar). J’ai été reporter de guerre et d’après-guerre, j’ai fait des enquêtes solitaires ou au sein de consortiums comme l’ICIJ, j’ai travaillé dans des grandes rédactions (Le Monde) et de petites (L’Hebdo). J’ai lancé plusieurs projets (le Bondy Blog, le Monde Afrique, Heidi.news, Kometa), etc. A chaque fois, c’est une autre façon de faire du journalisme. L’important, le dénominateur commun idéal, c’est la pertinence. Raconter ce qui se passe vraiment à Bagdad, Bondy, Zurich, ou dans les hôpitaux suisses. J’estime que la rédaction de Heidi.news a été super pertinente durant cette crise sanitaire, c’est pas forcément de mon fait, c’est surtout que chacun de l’équipe a donné le meilleur de lui-même.
Avez-vous reçu des pressions, directes ou indirectes, de la part des autorités pendant cette crise?
Oui, directes et indirectes, et nous avons résisté. J’ai résisté 4 ans aux ayatollahs iraniens, vous croyez que j’allais me coucher devant Alain Berset?
Avez-vous parfois eu des doutes au moment de relayer les recommandations sanitaires?
Nous n’avons jamais «relayé» les recommandations sanitaires. Un journaliste, ce n’est pas un relais, c’est un acteur que pense par lui-même et recherche la vérité. Nous avons fait état les positions des autorités, nous avons exposé le contexte, les avons questionnées et parfois critiquées.
Avez-vous l'impression que cette période a entaché la confiance des citoyens dans la presse, est-ce que votre expérience le démontre?
Au contraire, la période a montré que les citoyens avaient besoin comme jamais d’une presse fiable pour comprendre un phénomène à la fois d’une extrême complexité et présentant un certain danger. Les audiences des médias de référence ont littéralement explosé.
Avez-vous reçu des menaces pendant cette période?
Oui, beaucoup de menaces, y compris des menaces de mort de la part de complotistes caractérisés par leur opportunisme davantage que par leur sincérité: ils ont senti que la crise leur offrait une vitrine unique pour exister et prospérer.
Deux des médias sollicités ont catégoriquement refusé l’exercice proposé par L’Impertinent. Il s’agit du journal satirique Vigousse et du tabloïd romand Blick. Le rédacteur en chef du premier nous a fait savoir qu’il ne souhaitait plus apparaître sur le site, «sous quelque forme que ce soit», car il «ne souhaite pas alimenter (m)es délires».
Le rédacteur en chef du second, Michel Jeanneret, justifie cette décision en ces termes: «Je ne vais pas participer à l'élaboration de votre sujet, n'ayant aucune confiance dans le traitement qui sera réservé à mes réponses, en raison du caractère partial de votre publication qui ne respecte pas les standards journalistiques».
Nos tentatives d’éclaircissement destinées à savoir à quels «standards» notre interlocuteur faisait référence sont demeurées vaines.
La réaction la plus consternante est sans conteste celle du pseudo-satirique "Vigousse" dont je me suis désabonné pendant la pandémie, lassé des délires provax et du suivisme de protagonistes qui se prennent pour les détenteurs de LA vérité mais dont les cibles sont toujours les mêmes. J'ai fini par trouver pathétiques les logorrhées prétendument ironiques d'un ancien directeur de musée lausannois dont la trouille viscérale face à ce virus n'avait d'égal que le mépris qu'il vouait à ceux qui osaient poser des questions. J'ai connu des satiristes plus indépendants et plus curieux. Vous avez gagné un abonné, Vigousse en a perdu un, définitivement.
Très intéressantes questions à des journaux de diverses tailles et orientations politiques, du plus obstinément conformiste au plus libre d’esprit. Les médias les plus intéressants sont ceux qui ne laissent pas à l’expertocratie le soin de décider ce qui est vrai ou bon pour nous.
Aucun regret, aucun doute, et surtout aucune remise en question. Bravo, belle mentalité pour des gens qui se vantent dans le même temps de savoir garder leur indépendance d'esprit...
Il suffit, en outre, de regarder les unes de ces journaux sur le traitement du conflit entre Israël et Palestine, qui dure depuis des décennies, pour se faire une opinion sur chacun de ces journaux.
Pour ma part, je me suis détourné de la lecture de ceux qui se sont montrés, à un moment ou à un autre, comme de zélés propagateurs de la doxa officielle ou, pire, de la propagande officielle ou venant de groupes de pression de l'oligarchie ; je ne lis donc plus aucun des titres mentionnés, cel…
hehe I see what you did there ;)
Merci Amèle d'avoir osé ces interwiew.
Pauvres journalistes, oui je vais finir par les plaindre en pensant au jour où leur conscience se révèlera. Pour rien je ne changerais ma place. Et leurs journaux n'est définitivement plus dans ma boîte aux lettres, ni devant mes yeux.
La désinformation continue et la vérité arrive sans eux.