Vaccin Covid-19: la méfiance de l'Afrique
- Jean-Charles Biyo'o Ella
- 27 janv. 2021
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 29 mars 2024
Alors que le continent a dépassé le cap de trois millions de cas positifs au coronavirus depuis mars 2020, et que plusieurs pays sont en négociation avec des laboratoires occidentaux et asiatiques pour obtenir des doses de vaccin, la nouvelle ne trouve pas un écho favorable au sein de l’opinion publique. La population reste méfiante, même si elle n’y est pas totalement opposée.

© Istock
Au Cameroun, c’est le ministre de la santé publique qui a lancé l’information au sujet du vaccin anti-covid-19, le 21 décembre 2020, comme un ballon d’essai pour tâter le pouls de l’opinion. Au cours d’un entretien à la radio nationale, Manaouda Malachie a affirmé que «le Cameroun compte acheter des vaccins contre le nouveau coronavirus, afin d’immuniser sa population». Cependant, le membre du gouvernement n’a apporté aucune explication sur le laboratoire ou le pays fournisseur, encore moins sur ceux qui pourraient bénéficier en priorité de ces vaccins. En revanche, «une réflexion est toujours en cours pour déterminer à qui ces vaccins devraient prioritairement être administrés et sous quel prisme», a-t-il souligné.
«Ce qui est sûr, a ajouté Manaouda Malachie, c’est que ce ne sera pas pour couvrir tous les Camerounais, mais il y aura quand même un minimum de vaccins». Une nouvelle loin d’enchanter ses concitoyens, dans un contexte de forte méfiance envers le vaccin contre le Covid-19. Pourtant, le Cameroun enregistre jusqu’ici plus de 29'617 cas positifs, avec 462 disparus. Malgré ces chiffres, la population ne souhaiterait pas se faire vacciner.
«Ils avaient prédit un carnage en Afrique... »
Au marché Mfoundi de Yaoundé, l’un des plus grands centre commerciaux de la ville, vendeurs et clients se frottent au quotidien. Ni distanciation sociale, ni port du masque, ni gel hydroalcoolique ne sont appliqués ici. L’espace grouille de monde. La peur du coronavirus s’est visiblement évaporée des esprits. En conséquence, l’annonce d’un vaccin est très mal accueillie: «C’est pour nous tuer ou nous sauver?» s’interroge Miriam, une vendeuse de bananes plantains, assise sur son tabouret. «Moi je ne veux pas de cette affaire de vaccin», réagit Olivier, son voisin, devant son étal de tomates.
«Qu’ils restent avec leur vaccin chez eux, là-bas, lance une cliente qui suit la conversation à distance. Ce n’est pas ça qui nous a maintenus en vie jusqu’ici. Les gens avaient prédit un carnage en Afrique; cela n’a pas été le cas. L’Afrique a résisté à la pandémie et voilà qu'ils amènent le vaccin. Je refuse. Ni moi, ni mes enfants n’accepterons de nous faire vacciner contre le coronavirus» tranche Miriam.
A l’université de Yaounde1, une faculté de médecine, un enseignant rencontré sur le campus souhaite s’exprimer sur le sujet, sous couvert d’anonymat. La raison est simple: il tient un double discours devant ses étudiants. «La version de l’enseignant que je suis, c’est celle que le gouvernement veut entendre. C’est-à-dire promouvoir à l’endroit des étudiants les bienfaits du vaccins contre la Covid-19. Ça, c’est le discours officiel. Mais si vous voulez mon opinion personnelle, je pense que l’Afrique doit cesser d’être le laboratoire des supers puissances, qui viennent tester les résultats de leurs recherches dans nos pays. Je pense que l’Afrique a montré qu’elle sait faire face, grâce à sa pharmacopée traditionnelle. Je suis fermement opposé à ce soi-disant vaccin qui nous sauverait la vie», soupire l’universitaire.
Au centre de prise en charge des malades Covid de l’hôpital central de Yaoundé, Gérôme, un ancien patient venu pour un dernier contrôle n’est pas moins sceptique face au vaccin: «Même en Europe, tout le monde n’est pas favorable à la vaccination, explique-t-il. Certains craignent les effets secondaires, alors qu'ils sont plus affectés par le coronavirus que l’Afrique. S'ils refusent la vaccination chez eux, pourquoi voulez-vous que nous l’acception? En tant qu'ancien malade, j’ai certes peur du Covid 19, mais j’ai davantage peur de ce vaccin».
«Nous ne sommes pas les cobayes des blancs»
En Afrique, la vaccination est habituellement présentée comme l’une des interventions de santé publique avec l'un des meilleurs rapport coût/efficacité. Mais, s’agissant du Covid-19, les réseaux sociaux et bon nombre de médias ont diffusé un tout autre discours. Ce fut également le cas avec le vaccin contre la poliomyélite et celui contre le virus Ebola en RDC, en Guinée Conakry, au Liberia et en Sierra-Leone, entre 2015 et 2016.
Selon Saint-Claire, journaliste dans une chaine de radio privée basée à Libreville, au Gabon, et qui suit de près le comportement des populations vis-à-vis des vaccins contre les épidémies dans ce pays, les animateurs des thèses anti-vaccins à Libreville ont été encouragés par certaines églises. Celles-ci soutiennent que «dans la Bible, les personnes malades qui ont eu recours à la médecine moderne n’ont jamais été véritablement guéries et ont perdu toutes leurs économies en cherchant cette guérison à l’hôpital». Ils vont même jusqu’à dire à leurs fidèles qu’en acceptant le vaccin, «ils sont les cobayes des blancs et des grands groupes pharmaceutiques». Pour eux, il n’y a que «la prière qui guérisse».
Mais c’est n’est pas tout! La méfiance et les préjugés vont encore plus loin. Plusieurs chaines de télévision dites panafricaines ont véhiculé des informations selon lesquelles «le vaccin rend stérile et impuissant sexuellement». Une fake news aux conséquences ravageuses dans une Afrique où l’enfant est considéré comme une bénédiction divine.
Opposition traditionnelle
Selon le sociologue Serge Aimé Bikoi, pour comprendre l’attitude des Africains au sujet des vaccins en général, il faut puiser dans l’histoire traditionnelle du continent: «Avoir une défaillance sexuelle ou ne pas avoir d’enfant en Afrique noire s’assimile à une malédiction. Un ‘riche’ sans enfants est considéré comme un 'pauvre' par l'Africain noir. Car la ‘vraie’ richesse pour les Africains, c’est l’enfant. Voilà pourquoi ils en font autant que Dieu leur en donne. Lorsqu’on leur dit qu’un vaccin pourrait les priver de ce plaisir et de cette ‘richesse’, ils ne peuvent qu’être totalement opposés.»
«L’autre explication remonte encore plus loin dans l’histoire, développe le sociologue. Les panafricanistes ont présenté aux populations le ‘blanc’ comme une source de leur misère matérielle. Par le biais du néo-colonialisme, ils estiment que l'Occidental continue de maintenir l’Africain dans la pauvreté. En conséquence, ils pense donc que ce vaccin qui vient de l’occident n’est pas forcement pour les aider, mais pour les enfoncer dans cette misère, puisqu’il leur laissera peut-être des séquelles irréparables. Qui sait! Avec ce formatage d’esprit, l’Africain développe alors une méfiance et une prudence, voire une psychose.»
«Enfin, termine Aimé Bikoi, la dernière explication est d’ordre religieuse. Les nouvelles églises en Afrique ne jouent pas toujours franc-jeu. Elles ont réussi à inoculer le venin de la désinformation à leurs fidèles. Elles leur disent par exemple que la médecine moderne ne soigne pas, que seul Dieu soigne. Au lieu de rencontrer le médecin lorsque vous avez une migraine, il faut plutôt rencontrer le pasteur pour prier et boire de l’eau bénite.»
«Voilà malheureusement le discours qui est véhiculé depuis des années et qui, aujourd’hui, a des conséquences», déplore le sociologue. Que de méfiance donc, et de résistance envers le vaccin, alors que l’Afrique a dépassé le cap de trois millions de malades et qu’une nouvelle souche encore plus résistante s'est manifestée en Afrique du Sud, avec le risque qu’elle se propage dans le reste des pays.»
La rescousse de l’Union Africaine
Le 13 janvier 2021, la présidence de l’Union africaine a annoncé avoir signé, avec des firmes pharmaceutiques, des contrats pour l’approvisionnement de 270 millions de doses de vaccins anti-Covid pour le continent. Très insuffisant pour une population africaine qui dépasse le milliard d’habitants. La plupart de ces pays n’ont pas les moyens de financer l’immunisation de leur population. Ces vaccins, dont au moins 50 millions de doses seront disponibles entre avril et juin 2021, seront fournis par les laboratoires Pfizer-BioNTech et AstraZeneca.
«Nous avons franchi une étape supplémentaire pour obtenir des vaccins de manière indépendante, en utilisant nos propres ressources limitées», a déclaré Cyril Ramaphosa, président de l'Afrique du sud et de l’Union africaine, dans un communiqué publié le 13 janvier. Des accords pour aider les pays africains à financer l’achat de ces vaccins ont été conclus avec la banque panafricaine Afreximbank et la Banque mondiale.
Officiellement, l’Afrique a été relativement épargnée par la pandémie jusqu’ici. Le continent a enregistré, selon les chiffres actualisés au 26 janvier, près de 3 millions et demi de cas positifs depuis la survenue de la pandémie, avec un peu plus de 86'000 décès. Des chiffres certes très inferieurs en comparaison avec des pays comme l’Italie, la France, ou encore le Brésil, entre autres, qui ont dépassé chacun, le cap de deux millions de malades avec au moins 70'000 morts depuis le déclanchement de la maladie.
Toutefois, la relative maitrise de l’Afrique dans la gestion du Covid-19 reste néanmoins à surveiller, car le continent est adossé à une économie fragile, autant qu'à un système de santé précaire.
je me réjouis que beaucoup d'africains ont su se souvenir du passé et qu'ils ne sont pas dupe, d'ailleurs en terme de virus ...ils en on vu d'autres.!
Nietzche, il y a pourtant bien longtemps disait déjà,..L'instinct grégaire est la cause du malaise de notre civilisation..L'occidental d'aujourd'hui,..un être docile, maladif et médiocre..L'individu grégaire obéit sans penser, se laisse conduire comme un mouton dans un troupeau.!
Et on en est toujours là..!