Requiem pour le journalisme
- Invité de la rédaction
- il y a 11 heures
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Ce billet, signé Serena Tinari, a initialement été publié sur le compte Substack de Tom Jefferson et Carl Heneghan. Il est traduit et republié ici avec l'autorisation des précités*.
Une vague inéluctable. Une armée de journalistes qui, à la vitesse de la lumière, se sont improvisés experts en épidémiologie des maladies infectieuses, en développement, en homologation, en efficacité et en sécurité des médicaments et des vaccins. Tous sont devenus, du jour au lendemain, des experts en statistiques, capables d'interpréter la conception et les résultats des essais cliniques, conscients de l'omniprésence des conflits d'intérêts en médecine. Est-il possible d'acquérir une spécialité en un clin d'œil, a fortiori sous la pression d'un climat de panique généralisé? Non. Et trois années de couverture médiatique le prouvent.
En 2010, j'ai couvert la grippe porcine (H1N1) pour la télévision suisse. Pendant plusieurs années, j'avais été journaliste d'investigation spécialisée dans la santé publique et l'industrie pharmaceutique. Du jour au lendemain, mes collègues sont devenus obsédés par la pandémie de grippe. J'avais une impression de déjà-vu: des similitudes frappantes avec la grippe dite aviaire (H5N1) étaient flagrantes. J'ai commencé à faire des recherches et j'ai réalisé que nous étions confrontés à un media spin retentissant. Cette enquête a donné naissance aux documentaires Le Fantôme de la pandémie et La grippe économique. La saga Tamiflu.
Une enquête qui a changé ma vie. J'ai rencontré les chercheurs de la Collaboration Cochrane qui travaillaient sur le Tamiflu, l'antiviral censé nous sauver de la grippe porcine. J'ai notamment rencontré le chercheur et médecin Tom Jefferson, qui m'a beaucoup appris. Je me suis mise à étudier la méthodologie des essais cliniques et la «cuisine des statistiques». Deux citations l'expliquaient bien: «Les statistiques peuvent prouver tout ce que vous voulez», disait Darrell Huff en 1954; Ronald H. Coase, de son côté, nous en propose une synthèse sublime: «Si vous torturez les données suffisamment longtemps, la nature confessera n'importe quoi.»
Durant ces années, j'ai eu l'occasion d'observer la dynamique du «journalisme de meute» et d'aborder le mécanisme qui aboutit sur un article d'actualité. D'un communiqué de presse est publié un communiqué d'agence de presse, qui devient une «brève», un reportage télévisé et souvent un article. Ainsi, il devient un «fait», touche chaque foyer et influence profondément les individus et les institutions. J'approche de mes 30 ans de carrière, et les histoires que j'ai racontées m'ont laissé une perception aiguë du non-sens journalistique, ainsi qu'une attitude critique envers la manipulation propagandiste et le phénomène d'excitation compulsive – le soi-disant hype – qui caractérise les médias.
Nous pensions que si nous transmettions des outils à nos confrères, ils feraient mieux. Nous avions tort
En 2015, avec Catherine Riva, j'ai fondé Re-Check, Investigating and Mapping Health Affairs, une organisation à but non lucratif à la croisée du journalisme d'investigation et de la médecine fondée sur des preuves. Au début de Re-Check, nous nous sommes consacrées à la transmission de nos connaissances. Nous avons beaucoup enseigné, notamment lors des conférences du Global Investigative Journalism Network (GIJN). Nous étions parties d'un postulat: la couverture médiatique de la médecine et de la santé publique reproduit des schémas toujours identiques.
Il y a les «informations», un simple «copier-coller» de communiqués de presse, des articles de presse triomphants célébrant les prétendues avancées miraculeuses de la médecine (que les professionnels du secteur savent rares). Et puis, il y a les «journalistes scientifiques», qui traduisent les communiqués de presse des gouvernements, des entreprises et des universités dans un langage accessible au grand public. Nous observions un manque chronique de recul et d'esprit critique, notamment sur la justification des affirmations des soi-disant «experts». Nous pensions que si nous transmettions des outils à nos confrères, ils feraient mieux. Nous avions tort. Des années d'efforts n'ont abouti à aucun résultat.
En 2020, le GIJN nous a demandé de rédiger le guide Investigating Health and Medicine. Par un heureux hasard, il a été publié en pleine période COVID. Pour aider nos collègues à s'y retrouver dans la masse d'informations sur la pandémie, le GIJN a organisé des webinaires auxquels nous avons participé. J'ai donné des interviews et publié des articles sur le site web de Re-Check et dans le British Medical Journal. J'ai donné de nombreux cours, certains prestigieux. Résultat? Zéro. Ou plutôt: durant les trois années d'obsession médiatique pour le COVID, un média m'a offert carte blanche à condition que je ne couvre pas la médecine. Un autre m'a rémunérée en tant que consultante pour un documentaire qui s'est avéré être un cortège d'erreurs méthodologiques flagrantes. Des collègues m'ont gardé au téléphone pendant des heures, pour finalement écrire le contraire de ce que j'avais dit. J'ai passé des jours et des nuits à faire des recherches. Et j'en suis arrivée à la conclusion que les médias, l'industrie et les gouvernements nous imposaient une situation qui présentait trop de similitudes avec l'époque de la grippe porcine. Avec quelques différences, dont une qui est rapidement apparue comme une particularité du SARS-CoV-2: il peut être dangereux pour les personnes âgées, en particulier celles atteintes d'autres maladies. C'est censé être une différence intéressante par rapport aux virus grippaux classiques, qui ne s'embarrassent pas de la démographie.
De chien de garde de la démocratie à caniche de salon
Maintenant que même l'OMS a cessé de nous harceler avec son hit-parade insensé de tests positifs, une conclusion s'impose: trois années de crise sont devenues le requiem du journalisme. À savoir la mission de raconter une histoire après l'avoir vérifiée. Le devoir de comparer différentes sources. La nécessité de poser des questions dérangeantes à ceux qui gouvernent et à ceux qui profitent de la crise.
De chien de garde de la démocratie à caniche de salon – ou chien de compagnie, comme l'a écrit Martina Pastorelli. Finie la curiosité pour l'ombre; finie l'importance de préserver l'esprit critique; oubliée la mission de se tenir aux côtés de ceux qui ont moins de pouvoir. Les piliers de la profession ont été remplacés par des statistiques dénuées de contexte, des graphiques rouges anxiogènes et des phénomènes déroutants comme l'invention des «télévirologues».
Le COVID a principalement été couvert par des journalistes politiques et d'actualité, qui ont continué à «copier-coller» les déclarations du gouvernement et de l'industrie. Un malentendu tragique a pris le dessus: mes collègues se sont sentis investis de rôles qui ne sont pas du ressort du journalisme. Comme appeler à davantage de répression («ne faudrait-il pas davantage de confinement?»), et servir de porte-voix et de sténographes aux autorités, aux soi-disant experts et aux laboratoires pharmaceutiques. La complexité de la santé publique a été réduite à un seul virus et à une seule maladie. Présentée selon un récit dénué de preuves, propagé par les gouvernements et l'industrie.
Les scientifiques qui n'étaient pas d'accord ont été exclus de l'antenne
Pendant ce temps, les véritables experts ont été réduits au silence. Il est faux de prétendre que les «scientifiques» étaient «tous d'accord». La vérité est que ceux qui ne l'étaient pas ont été exclus de l'antenne. Il est également erroné de prétendre qu'«il n'y avait pas de données». Une avalanche d'études et de connaissances se sont accumulées, pointant du doigt des failles cruciales dans le récit. Des études importantes, comme celles de Tanveer, Rowhani-Farid, Hong, Jefferson et Doshi sur le manque flagrant de preuves ayant conduit à l'approbation des vaccins contre le COVID-19, ont été ignorées.
Au silence s'est ajouté la «machine à boue». Consternée, j'ai assisté à la lapidation de scientifiques universellement considérés comme des maîtres. L'ère du COVID a laissé le journalisme en difficulté: du quatrième pouvoir au porte-parole. Des communiqués de presse d'entreprise à la une, des PDG chargés de pontifier sur des politiques de santé complexes. Vérification? Non. Et tandis que la plupart de mes collègues s'occupaient d'amplifier les conférences de presse gouvernementales, les fact checkeurs se sont occupés du reste.
Le «ministère de la vraie science» orwellien est né
Comme si l'analyse, les preuves et les vérifications n'étaient pas le sel du journalisme, ces figures extravagantes se sont vu confier la certification de la vérité. Alors que les journalistes se perdaient dans le culte de l'expert en blouse blanche, le «ministère de la vraie science» orwellien est né. Troublant mélange de journalistes scientifiques et d'experts du jour au lendemain, le monde des fact checkeurs pandémiques a vu collaborer gouvernements, ONG, célébrités du journalisme d'investigation, services de renseignement et réseaux sociaux. La liste des désastres causés par ce phénomène, au profit d'une machine de propagande qui a créé, entretenu et dirigé la crise, est interminable.
Soutenus par ces «vérificateurs de faits», les journalistes sont tombés dans des pièges orchestrés par les services de presse des entreprises et des gouvernements. Une entreprise connue pour son obstruction systématique s'est transformée en bienfaitrice de l'humanité. Des décennies de connaissances sur les maladies infectieuses et les moyens de les contenir ont disparu derrière un mur d'affirmations erronées, pourtant diffusées en prime time. Les médias ont réinventé la roue, se concentrant sur la «guerre des variants» et présentant des médicaments douteux comme révolutionnaires.
Le vieux vice des formules accrocheuses a été fatal au journalisme et a donné naissance à des monstres: «antivax», «anti-masques» et «coronasceptiques». Des néologismes qui ont divisé la société et ont même été appliqués à des universitaires brillants. Des personnes reconnues par les agences réglementaires comme lésées par ces vaccins ont été présentées comme antivax. De porteur d'une mission de service public, le journalisme s'est transformé en une machine infernale de manipulation des masses, galvanisée par la haine d'autrui.
Tous les arguments qualifiés de complotistes étaient pourtant vrais...
Parmi les créatures inquiétantes du journalisme pandémique figurent les désobéissants, dont les droits fondamentaux peuvent être spoliés. Le journalisme, bras armé du pouvoir, diabolise ceux qui posent des questions ou expriment leur désaccord. Les journalistes se sont transformés en censeurs, en juges, en exécutants des jugements. Le journalisme tire de cette expérience un cortège d'erreurs. Certaines flagrantes, d'autres embarrassantes. La crise médiatique en ressort accentuée, car la méfiance envers un journalisme qui trahit sa mission est inévitable.
Jusqu'à présent, il n'y a eu ni autocritique, ni correction. Le titre serait pourtant magnifique: «Nous nous sommes trompés». Tous les arguments qualifiés de complotistes étaient pourtant vrais. Du taux de mortalité du virus à l'efficacité et à la sécurité des vaccins contre le COVID; des méfaits des mesures non pharmaceutiques au confinement des personnes en bonne santé, en passant par la fermeture des écoles, jusqu'au nombre de «décès dus au COVID» dus à des traitements inappropriés …
Enquêtez sur des contrats de plusieurs milliards de dollars et redonnez la parole aux experts censurés.
Une chose que j'ai apprise et que je répète à ma nièce: la vérité éclate toujours en médecine, en journalisme et en propagande. Malheureusement, cela peut prendre des décennies.
*Il s'agissait du premier événement universitaire italien consacré à Covid-19. Des mois de préparation, sous le patronage du Politecnico de Turin. Un comité scientifique a travaillé pendant des mois sur le panel international d'orateurs pour POLI-COVID-22. Le comité a été en dialogue constant avec les autorités de santé publique, qui auraient fait appel à leurs propres «experts». Le programme a été divisé en cinq domaines thématiques: biologie, médecine, droit, bioéthique, droit biologique et biopolitique, sociologie et communication. Des universitaires d'institutions italiennes et étrangères devaient présenter l'état des divers domaines scientifiques et participer au débat ouvert sur les preuves qui sous-tendent les politiques de lutte contre les pandémies, qui avait jusqu'alors fait cruellement défaut. Quelques jours avant l'événement, l'Istituto Superiore di Sanità, l'équivalent italien du NIH, et le groupe de travail sur la pandémie (Comitato Tecnico Scientifico) se sont retirés, et le Politecnico a retiré son patronage. Les locaux n'étaient plus disponibles. L'événement a néanmoins eu lieu, dans un centre sportif délabré, et les enregistrements sont disponibles ici. Cette expérience douce-amère a donné un livre, qui a également dû surmonter des difficultés et des résistances pour être publié. Critique of Pandemic Reason, 770 pages avec, entre autres, des contributions en anglais de Peter Doshi, John Ioannidis, Sunetra Gupta, et al. La journaliste d'investigation médicale Serena Tinari (Re-Check.ch) a participé au congrès et ce texte est un extrait de sa contribution au livre, adapté pour Trust The Evidence.
Je vous remercie pour cet article qui ne fait que rappeler l'évidence en matière de journalisme : esprit critique, questionner et restituer au public qui se fera son avis.Cependant, il est terrible, après coup, de se dire qu'il faille faire un tel article; c'est une preuve de plus du niveau abyssal desdits journalistes. D'ailleurs, "grâce" au covid, je n'ai plus allumé la TV et je n'ai plus lu un journal traditionnel.
Encore merci pour votre travail.
Depuis cette pandémie qui a bien servi certains pouvoirs en place et permis à des acteurs de l'ombre d'avancer leurs pions totalitaires, les principales victimes ont été la démocratie et les médias dits mainstream, ainsi que les relations autrefois de confiance avec la médecine, soumise aux multinationales pharmaceutiques.
Ainsi, je ne me rends désormais chez mon médecin (qui m'avait conjuré de me faire vacciner, ce que je n'ai pas fait fort heureusement) que pour renouveler mon ordonnance pour un léger diabète type 2 (sous contrôle) et je me suis détourné des journaux tenus en laisse par les oligarques, de la télévision et de la radio. Mes sources, désormais, se limitent à des médias réellement indépendants, de tous bords... et je…
Je me souviens d'une connaissance médecin, une femme de moins de 50 ans, toute contente un jour de m'annoncer qu'elle a réussi à se faire vacciner contre le covid. C'était au début de la vaccination, qui était alors réservée aux personnes âgées.
S'il y a un inventaire à faire des faits et gestes des journalistes et des médias durant la" pandémie", il y aurait aussi un inventaire concernant nos médecins: entre les rares corrompus et achetés de longue date par ce monstre froid Big-pharma, les rares qui ont exprimé leurs doutes sur la doxa officielle, la masse qui a suivi docilement les consignes de "sécurité", un nombre statistiquement décelable de médecins qui se sont soignés et ont fait semblant de…
Merci pour ce magnifique article qui confirme ce qu'une minorité tant maltraitée a pensé et pense encore, à savoir que les mainstreams étaient lobotisés. Heureusement, quelques médias, dont l'Impertinent, étaient là. Je vous en suis infiniment reconnaissante, vous m'avez permis de préserver ma santé mentale tant j'étais en colère contre ces journaleux sans scrupules.