Je veux parler de ces gens qui, naguère plus au moins connus, sont tombés un peu dans l’oubli et tiennent mordicus à nous prouver leur reliquat d’importance. Pétris de certitudes, ils nous bassinent leurs avis d’experts autoproclamés sur tout et rien à longueur de journée, aussi bien dans les media que sur les réseaux sociaux.
Comme Pierre Desproges (que je cite), j’ai toujours été fasciné par les détenteurs de vérité qui, débarrassés du doute, se jettent tête baissée dans tous les combats que leur dicte la tranquille assurance de leurs certitudes aveugles. Mes favoris du moment:
Le doyen: Jean Ziegler, 91 ans. Nous nous connaissons depuis près de 60 ans. Il a été le trublion le plus utile de notre pays et je lui reste reconnaissant de n’avoir cessé de dénoncer les pourris de la finance en Suisse (triste à dire, mais ils ont hélas tout sauf disparu…). Rapporteur de l'ONU pour le droit à l'alimentation, il ne voyageait alors qu’en classe affaires séjournant dans des palaces dont le prix d’une nuit aurait suffi à nourrir une famille cambodgienne ou congolaise pendant 6 mois. «C’est comme ça à l’ONU» m’avait-il dit en substance. «Tout est payé et j’encaisse mes per diem, comme les autres». Heureux d’avoir construit sa légende autour de Che Gevara, il devrait se souvenir que Marchais et Brejnev sont morts et faire évoluer son vocabulaire, tout en évitant de profiter des systèmes qu’il condamne.
Il est suivi de Jacques Pilet, moraliste en chef, 82 ans. Un grand Monsieur du journalisme en Suisse, mais aussi en mal d’être après avoir été. Dans son media en ligne il nous gratifie chaque semaine de ses opinions, à peine cachées dans ce qu’il appelle, un peu pompeusement, des analyses. Versatile, aucun sujet ne lui est étranger. Il a des avis sur tout, que cela concerne les élections allemandes, la disparition des éléphants roses, les défis de l’OTAN, ou la production de cacao en Côte d’Ivoire. Il faut toutefois lui laisser cette remarquable capacité de ne jamais laisser de vulgaires faits influencer ses opinions.
Vient ensuite l’inénarrable Micheline Calmy Rey, 79 ans dont on disait, alors qu’elle accumulait les gaffes, qu’il fallait «excuser son manque d'expérience». Elle fut et reste capable de remarquables âneries. Interrogée naguère sur ses relations avec Hashim Thaçi, suspecté de trafic d’organes et accusé de crimes de guerre, elle répondit: «Je ne me permets pas de jugement sur mes interlocuteurs politiques. Il était Premier ministre du Kosovo. Il connaissait très bien la Suisse et son suisse allemand est également très bon». Vous êtes étonnés que malgré cela qu’on la retrouve sur des plateaux TV? Moi aussi!
Le petit suivant est plus modeste, et à juste titre: il n’a rien crée et sa notoriété n’a guère dépassé le canton de Genève. Ce qui n’empêche pas Guy Mettan, 69 ans, aimer se voir en photo avec les grands de ce monde qui faisaient une apparition au Club de la presse, dont il fut longtemps président et directeur. Souvent critiqué pour sa Poutinophilie quasi obsessionnelle, il faut lui reconnaître des connaissances que d’autres, encore plus prolixes que lui, sont loin d’avoir. Ni acheté, ni vendu (à ses dires), mais peut être loué (?), il se plait, lui aussi, à dispenser ses avis urbi et orbi, y compris sur des sujets qui sortent clairement de son domaine de compétence.
Enfin, la petite dernière, Myret Zaki, 55 ans, moralisatrice en sous-chef. Comme le chef, elle a des avis sur tout et aime à rappeler qu’elle n’est pas n’importe qui, ayant été naguère au WEF à Davos, une parmi les nombreux journalistes invités pour chanter la gloire de Klaus Schwab. Elle se veut chantre de la liberté de parole (sauf pour ceux qui osent la critiquer) et comme le grand Jacques, peine à être après avoir été. Guère étouffée par la modestie, mais heureusement dotée d’une mémoire agréablement sélective, elle a publié il y a 14 ans un ouvrage intitulé La fin du dollar prédisant la fin imminente du statut de monnaie de réserve du dollar. Certes, n’est pas Mme Soleil qui veut, mais un peu d’humilité ne lui ferait pas de mal. Elle pourrait, sans paraître idiote, émettre parfois des hypothèses plutôt que d’assener ses certitudes. Ce d’autant plus que, sur certains sujets, ses compétences et connaissances ne sont pas à la hauteur de ses croyances.
Ah oui! j’ai oublié le soussigné, 77 ans. Naguère viré du Temps par le rédenchef de l’époque, Benêt-Godoit pour non-conformisme à la ligne éditoriale, j’ai encore et toujours envie de m’exprimer (ah! avoir été et être…) et je remercie L’Impertinent de m’accueillir. Dans cette chronique mensuelle, je compte partager avec celles et ceux qui voudront bien me lire ce qui m’indigne, me révolte et m’attriste. Vos commentaires, critiques, suggestions, etc. seront toujours bienvenus.
avec l'âge et l'expérience on prend un peu de recul et peut-être que l'on voit mieux les choses, avec plus de hauteur. Je lis volontiers les articles des personnes dont vous avez parlé, il me semble que ce sont des articles de fond. Avec en prime l'avis personnel de l'écrivain, on le lit et on peut être d'accord, ou pas. Au moins ce sont des articles de caractère. Je me réjouis de lire les vôtres.
Une rubrique plutôt aigre, mais si vous vous comptez parmi les détenteurs de vérité ayant été et voulant être, pourquoi pas?