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Photo du rédacteurAmèle Debey

Pédocriminalité, un combat perdu d’avance?

Dernière mise à jour : 22 févr.

Depuis les années 2000 et l’avènement d’internet, les pédocriminels ont élargi leur «terrain de jeu». La pédopornographie, plus accessible et plus facilement diffusable, est passée, en dix ans, de moins d’un million à 45 millions de photos et vidéos diffusées en ligne. Désormais, les prédateurs vont directement chasser leur proie dans leur chambre, via les webcams et les smartphones. En Suisse, plus de 30% des jeunes ont déjà été interpellés en ligne par une personne inconnue qui avait des intentions sexuelles indésirables. «La technologie a créé un monstre» dont la lutte nécessite une réactivité et un engagement calibrés des autorités. Les forces de l’ordre semblent souffrir d’un manque de moyens, les élans citoyens efficaces sont désavoués et nos politiques sont bien trop occupés avec leurs petites guéguerres de cour d’école. Il y a donc des progrès à faire. Mais encore faudrait-il que ce ne soit pas vain.

© Pixabay


V síti (Caught in the Net en anglais) est un documentaire réalisé en République tchèque par Vít Klusák et Barbora Chalupová et diffusé il y a quelques mois, y compris sur la RTS. Le film souligne les dangers que les enfants encourent sur internet. Trois jeunes actrices sont mises dans la peau d’adolescentes par les réalisateurs du documentaire qui ont créé un faux profil Facebook à leur alter ego mineur, et ont attendu de voir. Résultat: plus de 2400 hommes ont contacté ces jeunes filles supposées avoir 12 ans.


«Je m’attendais à être confrontée à un mal très sophistiqué, à une manipulation, à un chantage peut-être, raconte une des trois actrices à une radio tchèque. Mais ce qui m’a le plus surprise, c’est l’arrogance de ces hommes. Ils n’investissent aucune énergie dans la conquête de leur victime. Ils vont droit au but et c’est cette impatience qui me frustrait le plus.»


Facebook, encore et toujours, incapable de gérer l’ampleur de son succès! Impossible pour les modérateurs du réseau social de déceler la menace sans surveiller toutes les conversations de leurs 2,3 milliards d’utilisateurs actifs. Interrogée sur la question, la firme bleue explique notamment que les adultes ne peuvent pas contacter sur Messenger un mineur avec lequel ils ne sont pas connectés. Sauf que, dans les faits, il est impossible de savoir si un membre a bien les 13 ans révolus théoriquement nécessaires à la création d’un compte, et rien de plus simple que d’accepter une demande d’amitié sans connaître réellement son auteur… qui ne l’a jamais fait?


«Lorsque nous apprenons qu’un délinquant sexuel a un compte, nous le supprimons immédiatement, explique le service de communication français de Facebook. Nous avons largement investi dans les intelligences artificielles, la technologie pour détecter de façon proactive les contenus qui violeraient potentiellement nos règles, afin de pouvoir les supprimer automatiquement, avant que quiconque ait besoin de les signaler. Nos équipes dédiées à la sécurité sont passées, aujourd’hui, à 35’000 personnes, dont 15’000 exclusivement en charge de la modération.»


Souvent montré du doigt pour sa politique de modération, YouTube se défend et se déclare satisfait de la lutte contre l'abus sexuel d'enfants sur sa plateforme: «Dans les deux dernières années, nous avons remis des dizaines de milliers de rapports au National Center for Missing & Exploited Children, conduisant à de nombreuses enquêtes policières.»

En pratique, malheureusement, la bonne volonté ne suffit pas. Comme le révélait une enquête de la BBC en 2016, Facebook tend à devenir un repaire de pédophiles. Et, puisque le géant de Mark Zuckerberg ne semble pas en mesure de lutter efficacement contre ce fléau, des collectifs citoyens se sont créés spontanément afin de prendre les choses en main.


Quand le prédateur devient la proie


Bien connu en Grande-Bretagne depuis environ dix ans, le mouvement des «chasseurs de pédophiles» s’est développé dans de nombreux pays du monde. En France, c’est la Team Moore qui officie régulièrement pour traquer les délinquants sexuels sur internet. Selon son leader, un Réunionnais qui se fait appeler Steven Moore, l’équipe est soumise à des règles strictes afin d’agir en accord avec la loi: interdiction d’utiliser les photos de véritables enfants pour se constituer un faux profil sur les réseaux sociaux, interdiction de provoquer un échange avec quiconque et interdiction de diffuser des informations concernant le criminel présumé sur internet.


«La Team Moore compte une cinquantaine de membres, qui ont permis la formation de 1600 personnes, ainsi que la création d’une vingtaine d’équipes à travers le monde», explique Steven Moore, qui relate avoir notamment des recrues en Suisse, en Belgique, au Canada et aux Etats-Unis. A ce jour, la Team a permis 25 arrestations et une dizaine de condamnations, selon le leader. «On a des Suisses qui sont dans le mouvement, qui nous aident et qui ont permis de compromettre numériquement des Français.»


«Investiguer à la place des services dédiés, policiers ou gendarmes, ça nous dérange un peu... »

La question de la Team Moore dérange en France où on aimerait bien remettre en cause sa légalité, car le principe du citoyen justicier passe mal. Le site Popup révélait les propos du commissaire Philippe Guichard, fin 2019: «Investiguer à la place des services dédiés, policiers ou gendarmes, ça nous dérange un peu parce que c’est un travail de spécialiste.» Pourtant, si des arrestations peuvent avoir lieu grâce à la Team Moore, un peu partout en France, c’est bien parce que les autorités prennent leurs dossiers en compte.


Contactée, la Direction générale de la police nationale (DGPN), a refusé de s’exprimer sur le sujet. Tout comme le procureur de Dijon, qui a pourtant autorisé récemment le placement sous contrôle judiciaire d’un individu signalé par la Team Moore. Il existe un malaise au sein même de l’Etat sur cette question, on peut donc imaginer que le travail des uns comme des autres n’est, en conséquence, pas simplifié.


En Grande-Bretagne, l’inspecteur en chef de l’Online child abuse activist groups (OCAGs), explique que les forces de l’ordre britanniques ne travaillent pas avec les chasseurs de pédophiles, mais prend en compte leurs résultats: «Si ces groupes dénoncent un individu à la police et fournissent des preuves, ou s’ils confrontent un individu dont ils rapportent l’activité, une enquête proportionnée est entreprise par les forces de police.»


La Suisse à la hauteur de l’enjeu?


Dans notre pays également, on rechigne à ce que les citoyens fassent le travail des enquêteurs. Interrogé sur la question, le porte-parole de la police cantonale vaudoise, Jean-Christophe Sauterel, déclare notamment: «Ce sont des enquêtes extrêmement compliquées, extrêmement sensibles, avec des investigations préliminaires. Même la police ne peut pas le faire de façon secrète, car elle doit obtenir l’aval des Tribunaux des mesures de contrainte. Les policiers peuvent faire des investigations sous une fausse identité, mais pas de leur propre initiative. De manière encadrée et contrôlée. Donc je vois mal comment le législateur pourrait admettre que de simples citoyens puissent faire ce type d’investigation.» De plus, il n’y a aucune base légale pour une collaboration entre les forces de l’ordre et la population dans ce cas précis.


Le porte-parole précise en outre: «Les dénonciations en tant que telles sont déjà traitées aujourd’hui. Il y a un formulaire d’annonce sur le site de la Confédération où on peut dénoncer ce genre de délit, donc ce lien entre le citoyen et la police existe déjà.»


L’émission Mise au point du 24 février 2019 mentionne que 1 à 5% des hommes ressentiraient des fantasmes sexuels envers des enfants, ce qui représente jusqu’à 66’000 personnes en Suisse. Dans le canton de Vaud, par exemple, il n’y a que deux policiers spécialisés dans la traque des pédophiles sur internet. Et même s’ils sont entourés d’une équipe, les forces paraissent bien faibles face à l’ampleur de la tâche.


A Genève, «nous avons actuellement quinze spécialistes qui luttent contre cette problématique à la Brigade de criminalité informatique, dont cinq sont spécialisés et amenés à effectuer des opérations plus avancées dans ce domaine.»


Le responsable communication de la police bernoise, quant à lui, explique qu'il n'y a pas de personnel spécifiquement affilié à cette traque, mais que les agents d'équipes interdisciplinaires sont affectés en fonction des besoins.


Dans le canton du Jura, où la loi a été adaptée afin que les enquêtes secrètes soient facilitées, «on a tous les outils nécessaires», mais pas encore le personnel dévolu à l’exercice, selon le responsable de la brigade des mœurs, Olivier Clory, qui précise que son service compte 2,1 à 2,5 postes traitant également, mais pas exclusivement, la cyberpédocriminalité.


A Fribourg, aucun spécialiste n’est en charge de la traque proprement dite des pédophiles sur internet, «mais les inspecteurs et inspectrices de la Police judiciaire sont à même de traiter toute affaire portée à notre connaissance en lien avec la cyberpédocriminalité», rapporte le service de communication.


En Valais, trois inspecteurs gèrent cette problématique au sein de la police cantonale.


Le chef de la police judiciaire neuchâteloise déclare cependant: «Les polices judiciaires discutent en ce moment des questions liées à la veille sur Internet en matière de pédophilie. Les ressources cantonales romandes seront coordonnées pour gagner en efficience. D’ici là, il est prématuré de se prononcer de manière individuelle, sachant qu’un travail de ce type n’est pertinent que s’il est imaginé au minimum au niveau régional.»


Le fédéralisme, un frein à la lutte?


L’année prochaine, l’Office fédéral de la police (fedpol) cessera d’épauler les cantons dans les enquêtes secrètes contre des pédophiles présumés. «C’était une décision politique, une demande des cantons, désormais en mesure de reprendre ces tâches eux-mêmes, explique la responsable communication de fedpol. La plupart des serveurs internet ont leur base en Amérique. S’ils découvrent une adresse IP suisse, on la reçoit et on fait le tri par canton.»


Du côté de la Protection de l’enfance Suisse, on voit d’un mauvais œil ce qui ressemble tout de même à une diminution des effectifs voués à cette lutte: «Ceci nous préoccupe, explique Tamara Parham, responsable de la communication de la fondation. En effet, une analyse interne de fedpol rendue publique en 2019 et portant sur les années 2015-2017 a montré que chaque canton n’octroyait en moyenne qu’un poste à 15% à la lutte contre la violence sexuelle contre des enfants en ligne. Il est donc à craindre que les moyens investis par les cantons ne soient pas suffisants pour lutter efficacement contre ce phénomène en augmentation, notamment au moyen d'enquêtes secrètes. De plus, il existe le risque de disparités cantonales, en fonction des moyens alloués par chaque canton. Or, tout enfant vivant en Suisse a droit à la même protection, quel que soit son lieu de domicile.


La prise en charge des tâches d’enquête, là où les compétences entre les cantons sont peu claires, ou que les ressources cantonales font défaut, aurait garanti une certaine protection. Nous regrettons donc que cette possibilité disparaisse.»


«Il y a tout un travail effectué pour améliorer la réponse à la cybercriminalité en Suisse, rétorque Jean-Christophe Sauterel. Les cantons latins ont créé le centre de compétence Cyber à Genève. On augmente les moyens, la formation des policiers.»


La pédocriminalité est donc traitée avec les autres cybercriminalités, comme le phishing, et les fraudes. «L'échange d'expériences et d'informations sur les enquêtes en cours est assuré par le réseau national de soutien aux enquêtes dans la lutte contre la criminalité informatique (NEDIK), explique la police bernoise. La mission générale de NEDIK est de promouvoir la coopération entre les forces de police pour lutter contre les infractions commises sur Internet, ou par l'intermédiaire d'instruments numériques.»


«Le pédopiégeage en ligne n’est pas puni sous toutes ses formes dans l’ordre juridique suisse»

«Les moyens investis sont insuffisants, tranche Tamara Parham, de la Protection de l'enfance. La recherche de statistiques sur le pédopiégeage en ligne est rendue difficile par le fait que les cas ne sont, en l’état, découverts que lorsqu’il y a une rencontre entre l’adulte et l’enfant et que ce comportement tombe alors sous le coup d’une norme pénale.

De plus, le pédopiégeage en ligne n’est actuellement pas puni sous toutes ses formes dans l’ordre juridique suisse. Un adulte motivé par des intentions sexuelles qui ‘chatte’ en ligne avec un enfant n’est pas clairement punissable. C’est pourquoi Protection de l’enfance suisse exige et s’engage pour que l’art. 198 du Code pénal (harcèlement sexuel) soit révisé afin d'englober toutes les formes de harcèlement sexuel en ligne. Lorsque la victime est âgée de moins de 16 ans, le délit doit être poursuivi d’office.»

Bisbilles politiciennes


Grâce au mouvement la Marche Blanche, fondé en 2001 par Christine Bussat, deux initiatives populaires pour lutter contre la pédocriminalité sont acceptées en Suisse, en 2008 et 2014. L’une est intitulée Pour l’imprescriptibilité des actes de pornographie enfantine, l’autre Pour que les pédophiles ne travaillent plus avec des enfants. Aux deux occasions, la Marche Blanche rencontre une opposition forte du Parti socialiste et en particulier de Carlo Sommaruga, qui dénonce une «chasse aux sorcières» dans un article publié dans les Pages de gauche.


La participation de l’ancien UDC Oskar Freysinger dans le mouvement ne serait pas étrangère à cet antagonisme, selon Christine Bussat, qui estime aujourd’hui que son mouvement a été instrumentalisé à des fins politiques.


L'article de Carlo Sommaruga dans © Pages de gauche


Cette hostilité, Oskar Freysinger l’explique par la contradiction interne du Parti socialiste, qui aurait du mal à trancher entre liberté et égalité: «Dans les années 60, les mouvements de gauche, les Verts allemands par exemple, disaient qu’il fallait réveiller la sexualité le plus tôt possible chez les enfants, donc la gauche était idéologiquement coincée. Carlo Sommaruga nous a combattus violemment au Parlement, arguant que tout le monde avait droit à une deuxième chance. Nous répondions que l’enfant, lui, a droit à une première chance.


La gauche était très, très mal à l’aise face à ces interdictions, analyse-t-il. Pour eux, le contrôle de la sexualité était ce qui permettait à la société bourgeoise de maintenir le contrôle sur les individus. Et donc, il fallait que la sexualité soit totalement libérée. C’est comme avec le voile islamique: ils veulent des femmes libérées, mais prônent également le multiculturalisme. Dans le voile islamique, les deux valeurs se contredisent. C’est schizophrénique!»


Quant au fait que les enquêtes secrètes sont désormais à la charge des cantons, l’ancien politicien devenu écrivain est sceptique: «Dès le moment où ils ont été découverts quelque part, les pédocriminels changent de canton, changent d’identité, arrivent à se noyer dans l’anonymat. On l’a vu par le passé: on avait des cas de prédateurs qui voyageaient et qui s’arrangeaient toujours pour devenir moniteurs de camp, par exemple et qui passaient d’un canton à l’autre.»


Contacté, Carlo Sommaruga n’a pas répondu à nos demandes d’interview.


Les droits des enfants, un concept récent


Contrairement à ce qu’on pourrait croire – et à ce que nous dicte notre instinct –, la protection universelle des enfants est une problématique récente. La Convention relative aux droits de l’enfant a été adoptée par les Nations Unies en novembre 1989 (la Déclaration universelle des droits de l’homme date de 1948). «Pour la première fois, des droits ont été reconnus pour tous les enfants du monde entier – le droit à la survie, au développement, à la protection et à la participation», peut-on lire sur le site de l’Unicef, elle-même créée en 1946.


En 1997, Martine Bouillon écrit le livre Viol d’anges, un magistrat contre la loi du silence. «Depuis vingt ans, je suis magistrat et je suis ulcérée de voir mes contemporains utiliser des enfants comme objets sexuels, dans l’indifférence générale», écrit-elle en préambule. Son livre, qui sort juste après l’affaire Dutroux et juste avant celle d’Outreau, livre un témoignage captivant et une analyse pointue de cette problématique. Extraits:


  • «Rien n’a plus de signification profonde. Ce qui est privilégié est la satisfaction immédiate du désir, ce qui induit une déresponsabilisation démentielle. L’homme ne peut plus tellement posséder la femme: elle est souvent aux commandes. Alors il possède les enfants.

  • «Et il est plus facile d’abuser d’un enfant que d’un être qui est votre égal, ou qui le devient de plus en plus. Je pense à nouveau ici aux nouveaux rôles des femmes, qui ont pris un certain ascendant sur les hommes, ont le droit de vote, et d’autres droits récents, ce qui déstabilise beaucoup d’hommes. Le fait de pouvoir posséder à nouveau ces dernières, y compris via leurs enfants, permet de redorer les blasons d’une virilité déficiente.»

  • «En réalité, il y a chez tout pédophile une volonté d’autodestruction qu’il ne peut combler; son plus grand machiavélisme consiste à donner à l’enfant l’impression de sa valeur, de son amour, au moment même où il tue l’enfant en lui et chez l’autre; au moment où il veut s’approprier l’ange et toute sa symbolique, sa pureté, sa jeunesse; au moment où tous deux perdent leur dignité, leur caractère sacré.»

  • «Tout se passe comme si la société tout entière était enlisée dans un processus de régression complète et qu’elle retombait au stade infantile et anal, où seuls comptent la possession, le désir immédiat... Il y a une espèce de consensus dans la libération des mœurs qui débouche sur une crise d’amoralité. Les gens qui font la morale sont des ringards, je l’entends tous les jours. Et au nom de l’absence de morale, on fait n’importe quoi, on retombe dans le pire.»

  • «Certes, on l’a vu, en règle générale, le véritable machiavélisme d’un pédophile est de donner à l’enfant la sensation d’une certaine valorisation de soi. La manipulation consiste à lui faire croire qu’il est aimé, mais en réalité, ce n’est pas lui qu’on aime, mais plutôt l’image de soi. C’est un marché de dupes: on laisse penser à l’enfant qu’on l’aime, parce qu’on s’occupe de lui, alors qu’on n’aime pas l’enfant, cet enfant-là, on s’aime d’abord soi-même, et aussi l’enfant qu’on a été ou plus encore surtout celui qu’on n’a pas été.»

  • «Ce n’est pas le respect de l’autre, c’est le respect de soi. C’est utiliser l’enfant comme un miroir de soi-même, ce qu’on peut également appeler du narcissisme.»


Des criminels potentiels en détresse


Dans le documentaire de LCP Pédophilie: de la pulsion à l'interdit, Badr Eddin Smaini reconnaît avoir une attirance pour les fillettes. Des pulsions qu’il s’acharne à combattre. De son propre chef, il s’est dénoncé à la police, qui lui a répondu qu’elle ne pouvait rien faire tant qu’il n’était pas passé à l’acte. Dès lors, l’homme se retrouve désemparé face à sa déviance et il dénonce le fait que rien n’est mis en œuvre pour porter assistance aux pédophiles qui ont peur de passer à l’acte. Selon lui, la diabolisation de ces personnes est contre-productive dans la lutte pour mettre fin au fléau: «Pour protéger les enfants, il faut que les pédophiles aient le courage de parler», témoigne-t-il. Il faut rejeter le mensonge, l’hypocrisie, la lâcheté et le silence».


En Suisse romande, l’association DisNo porte assistance à ces pédophiles qui cherchent de l’aide. «Au début, la mission de l’association consistait à apprendre aux enfants à dire 'non', d’où son nom. Mais petit à petit, nous nous sommes aperçus que ce n’était pas à eux de porter cette responsabilité, explique le directeur, François Boillat. On s’est dit que l’auteur potentiel ou avéré était un peu oublié dans la prévention, c’est pourquoi nous sommes partis sur cette piste.»


«Les personnes qui nous appellent nourrissent des fantasmes sexuels envers les enfants. Certaines en souffrent et demandent de l’aide. Nous leur fournissons une écoute, nous faisons le bilan et les guidons dans leur démarche de recherche d’aide. Mais ce n’est pas facile de trouver des thérapeutes qui acceptent de prendre ces personnes en charge. Nous rencontrons des difficultés à ce niveau-là.»


Pédophiles ou pédocriminels?


Pour lutter efficacement contre un fléau, encore faut-il pouvoir l’appeler par son nom. Il semblerait que, même sur ce point, il subsiste un désaccord abordé dans un article de Slate: «La plupart de ces hommes n'ont pas une attirance précise et exclusive pour les enfants – contrairement au récit qu'ils ont réussi à nous imposer. Un récit qui tend à les dédouaner en nous faisant croire qu'il s'agirait d'une orientation sexuelle, et même d'une forme d'amour, et qui peut lutter contre ses sentiments? Ce récit, encore une fois, vise à les transformer en victimes de leur propre sexualité (…) Il faut le marteler, le répéter, se l'enfoncer dans le crâne: la pédophilie, telle que définie en psychiatrie, reste infiniment minoritaire chez les coupables d'actes pédocriminels.»


Cette distinction est également abordée dans le documentaire V síti: «Il est avéré, et c’est ce que nous ont confirmé les experts, qu’il s’agit souvent d’hommes blasés du porno, relatent les créateurs. Seuls 3 à 5% de ceux qui approchent les mineurs sur internet sont des pédophiles. Tous les autres sont des hommes avec un profil psychosexuel normal. Simplement, le porno ne les excite plus et c’est pourquoi ils cherchent une personne en chair et en os qui leur fournisse des photos ou des vidéos dénudées.»


Et les femmes dans tout ça?


Sur le site de l’association DisNo, qui rassemble quelques témoignages, on peut en lire certains rédigés par des femmes qui se reconnaissent comme pédophiles. «Il arrive que des femmes nous contactent, explique François Boillat. C’est un petit pourcentage et il n’y a pas beaucoup de données là-dessus. Statistiquement, 4 à 7% des personnes interpellées pour consommation de pédopornographie sont des femmes.» Du point de vue de la justice, qui considère qu’un viol nécessite pénétration, il est difficile d’établir la culpabilité des femmes qui passent à l’acte.


Il y a 23 ans, Martine Bouillon évoquait d’autres chiffres: «Dans neuf cas d’inceste sur dix, la femme, consciemment ou non, activement ou non, y participe d’une manière ou d’une autre.» A l’image de Ghislaine Maxwell, dont on peut se demander si elle restera en vie encore bien longtemps…


Un combat perdu d’avance?


L’affaire Dutroux, puis l’affaire Epstein plus récemment, tendent à le démontrer: les trafics d’êtres humains et les abus sexuels sur mineurs impliquent des gens extrêmement puissants qui parviennent toujours à passer entre les mailles du filet. En particulier si lesdits filets sont déjà troués à la base. Il peut donc sembler décourageant de s’attaquer au pédophile qui représente une menace à une échelle locale lorsqu’on sait qu’il n’est qu’une goutte dans des eaux internationales polluées.


«De temps en temps, surgit une partie émergée de l’iceberg: c’est l’affaire Dutroux, manifestement un tout petit membre d’un réseau considérablement plus vaste, écrit Martine Bouillon dans Viol d’anges. Car Dutroux n’est qu’un pourvoyeur d’enfants, un rabatteur, et tout le monde a compris que, derrière lui, se cachait toute une structure. Il faut bien voir que ces réseaux fonctionnent à l’image de la mafia. Ce sont d’ailleurs, à proprement parler, d’authentiques systèmes mafieux, tenus par de vrais gangs, dans le style des triades asiatiques, des mafias italienne ou russe... Chacun a sa façon d’agir, mais les règles de fonctionnement et les structures sont les mêmes: on y retrouve toujours les porte-flingues, les sous-chefs, les chefs et les commandants de bord.»

 

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