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«Paul Watson ne négociera pas d’accord avec les Japonais et il ne s’excusera pas»

Le défenseur des océans et fondateur de Sea Shepherd, Paul Watson, croupit dans une prison groenlandaise depuis le 21 juillet, où il attend de savoir s’il sera ou non extradé vers le Japon. En cause, une altercation avec un baleinier japonais qu’on l’accuse d’avoir fomentée, en blessant un membre d’équipage. Or, les images, visibles ici, démontrent le contraire, mais le juge refuse de les regarder. Avec Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France, nous revenons sur les manigances qui ont permis son arrestation, ainsi que sur la responsabilité d'Interpol dans ce coup plus politique que judiciaire.

Lamya Essemlali et Paul Watson
Lamya Essemlali et Paul Watson en juin dernier, à Lausanne. © A.D

Amèle Debey, pour L’Impertinent: Comment va Paul Watson?

 

Lamya Essemlali: Ses enfants lui manquent. Il est content de tout le courrier qu’il reçoit et il aimerait répondre à tout le monde, mais comme ils lui ont blessé la main avec leurs menottes lors de l’audition du 15 août, il a beaucoup de mal à écrire. Ils ne veulent pas nous laisser lui donner un ordinateur, ni une machine à écrire. Il y a une salle informatique dans la prison, mais il n’y a pas accès, on ne sait pas pourquoi. Il est frustré par rapport à ça et par rapport au fait que le juge ne veuille pas regarder les preuves de son innocence; cela prouve que les dés sont pipés. Mais sinon, il garde le moral.

 

Quelles justifications le juge donne-t-il pour ne pas vouloir regarder ces preuves?

 

Il dit qu’il n’a pas à juger de l'extradition et que ce n’est pas de son ressort. Ce qui l’est en revanche, c’est la décision du maintien de Paul en détention. Sur la base des éléments que l’on apporte, le dossier saute complètement. C’est là que la dimension politique de l'affaire devient évidente. Le juge groenlandais voit bien que, derrière tout ça, il y a le Danemark et le Japon et il n’a pas envie d’être celui qui laissera Paul Watson leur échapper.

 


Sur la base des faits qui lui sont reprochés, quand bien même il serait coupable, ce qui n’est pas le cas, cela ne mérite pas deux mois de prison. C’est passible d’amende. Son traitement paraît donc incompréhensible et illustre à quel point la justice peut être instrumentalisée.

 

Ce que je trouve délirant, c'est qu’ils se permettent de faire ça sur un cas aussi médiatique, qui est quand même suivi par beaucoup de monde. C’est effrayant de constater ce que cela nous dit sur le traitement réservé à des lanceurs d'alerte et des activistes qui seraient moins connus que Paul. Une telle parodie de justice avec quelqu’un d’aussi médiatisé nous démontre que ceux-ci n’ont aucune chance.

 

Comment se fait-il qu’un pays de l’Union européenne puisse se comporter comme ça, sans conséquences?

 

Cela décrédibilise et ridiculise complètement la justice danoise. On verra ce que fera l’Europe. Rien que le fait qu’il n’y ait pas d'interprète lors de la première audience est complètement lunaire. On ne comprenait rien au réquisitoire de la procureure, c’est du jamais vu. Dans un pays de l'Union européenne, c'est un droit fondamental d'avoir un interprète quand tu fais l'objet d'un procès.

 

Quelle est la prochaine étape?

 

Paul repasse devant le juge groenlandais, donc on risque d'avoir exactement la même farce. Le magistrat ne risque pas d’avoir le courage, l'intégrité ou le sens du devoir qui lui a manqué jusqu’à maintenant.

 

Les avocats attendent de voir ce qu’il va se passer avec la Cour suprême du Danemark. On ne pense pas qu'elle aura la même attitude, car ce serait encore plus dérangeant. Puis le recours ultime sera à la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). Qu’on n’imagine pas pouvoir autoriser une extradition sur un dossier pareil, vers un pays pointé du doigt par celle-ci et des ONG humanitaires pour son traitement des prisonniers. La CEDH est en mesure d’imposer un veto sur cette extradition et elle est en mesure de le faire.

 

Jusqu’à quand vont durer ces audiences? Quand Paul Watson doit-il se présenter devant la Cour suprême?

 

On n'a pas de date pour l'instant, on est dans l'expectative totale. On attend la décision du ministère de la Justice qui est en train d’analyser le dossier.


Craignez-vous que Paul Watson soit extradé? Est-ce que cela vous semble possible? Sachant que cela équivaudrait à une condamnation à mort, à son âge?

 

Je serais assez étonnée, parce que le dossier est complètement fabriqué. La parodie est tellement grossière, cela me surprendrait qu’on ne parvienne pas à stopper cette extradition en épuisant tous les recours disponibles. Mais personne ne peut être sûr à 100% du contraire.

 

J’ai entendu dire que Macron était intervenu publiquement, mais ne sommes-nous pas encore sur un cas de blabla politicien plutôt que sur des actions concrètes?

 

Il a pris une position publique au début, mais je n’ai pas vu passer grand-chose d'autre depuis. Je sais que ça a énervé le Japon, qui a dit que la France défendait des écoterroristes.

 

En revanche, le nouveau Premier ministre Michel Barnier s’était manifesté au moment de l’arrestation de Paul. Il a été interrogé par le média militant Vakita il y a deux jours et il a déclaré être «très attentif à son sort». Cela veut tout et rien dire, c’est une réponse un peu langue de bois.

 

Pensez-vous que cette situation se débloquera au niveau politique? Sur quoi comptez-vous pour faire avancer les choses?

 

Il faut que ce soit complet. On sait aujourd’hui que ce sont les Féringiens qui ont alerté la police groenlandaise, qui elle a alerté la police danoise, qui elle a prévenu les Japonais pour aboutir à l’arrestation de Paul. (Sea Shepherd met des bâtons dans les roues depuis des années aux Iles Féroé pour s’opposer au massacre annuel de centaines de dauphins, ndlr).



Ça on le sait car c’est une députée danoise qui a posé la question de manière officielle au ministre de la Justice danois, qui a été obligé de répondre. C’est donc bien que cette justice soit challengée par des politiques danois et européens. Nous comptons aussi sur le soutien de l'opinion publique et des médias. Plus on en parle et plus c'est difficile pour eux de faire n'importe quoi. Bien que je trouve déjà délirant qu’ils se permettent de faire des choses aussi hors des clous avec l'audience que l’on a. Cela en dit long sur la traque des opposants politiques.

 

A travers l’histoire de Paul, on découvre aussi l'ampleur de l'impunité de certains Etats, du détournement des systèmes judiciaires à des fins politiques pour des intérêts privés. C'est assez effrayant quand même.


Vous avez lancé plusieurs pétitions pour demander sa libération. A quoi servent-t-elles concrètement et qu'est-il possible de faire pour être utile?


Les pétitions ont un poids politique. Elles permettent de chiffrer le soutien et sont citées dans les articles de presse. C'est une sorte de thermomètre de l'opinion publique. Ce qu'on peut faire sans être membre de Sea Shepherd, c'est relayer les informations le plus possible afin qu'un maximum de monde soit au courant. Il est également possible d'écrire à l'ambassade du Danemark. C'est en en faisant un sujet médiatique que l'on peut avoir espoir de faire basculer les choses.

 

La France s’est positionnée contre l’écoterrorisme, avez-vous l'impression que l'on utilise ce qualificatif pour Paul comme une façon de se laver les mains de son sort?

 

Ce qui est certain, c'est que le Japon transpose l’accusation d’écoterrorisme sur Paul. Dans un contexte où on est dans un sanctuaire baleinier international, avec un Etat qui tue illégalement des baleines, en violation du sanctuaire et du moratoire sur la chasse commerciale. Un état qui a été condamné par la Cour internationale de Justice de La Haye et par la Cour fédérale de justice australienne. Clairement, ceux qui agissent comme des criminels et des écoterroristes, c’est le gouvernement japonais.

 

Si on prend la racine étymologique du mot écoterrorisme, ceux qui sèment la terreur de manière complètement illégale, ce sont les Japonais. Ils sont dans la transposition, dans l'inversion victimaire aussi, parce qu’ils nous accusent d'être violents, alors que c’est eux qui ont coulé un bateau, c’est eux qui ont fait un trou dans la coque du Bob Barker, c’est eux qui nous ont envoyé des grenades à concussion. Le niveau de violence de la flotte baleinière japonaise contre nous est sans commune mesure. De plus, ils mentent comme des arracheurs de dents.

 

N'est-ce pas également le cas du Danemark? On a encore vu récemment les images de leur sanglante tradition qui consiste à massacrer des dauphins impunément…

 

Complètement. Là où le Danemark sort vraiment complètement des clous, c’est que non seulement ils tolèrent les massacres de dauphins aux Iles Féroé pour «exception culturelle», mais en plus ils mobilisent des frégates militaires pour nous empêcher de sauver des dauphins. Donc ils vont très, très loin dans la démarche, alors qu’ils ont signé les conventions et les traités de protection des mammifères marins qui stipulent qu’il est interdit de tuer les dauphins dans les eaux danoises! Pourtant, ils déploient des moyens militaires pour permettre à ces massacres d’avoir lieu et nous empêcher de sauver ces dauphins. C’est complètement délirant.

 
 

Ce que j'ai appris là, avec tout ce qui se passe, c'est que, contrairement à ce que je pensais, l'opinion publique danoise et les médias danois ne sont pas au courant. Je pensais que tout le monde le savait au Danemark, que tout le monde s'en fichait. Et bien en fait, pas du tout. Il y a une vraie campagne de communication à faire auprès de l'opinion publique danoise pour qu’elle se rende compte de ce que le gouvernement fait avec l’argent public.

 

Mais ça, même au niveau de l'Union européenne, c’est interdit. On a dénoncé ces actions auprès de la Commission européenne, qui nous a dit «circulez, y a rien à voir». Cette hypocrisie est délirante! Les lois et les traités existent surtout sur le papier, mais quand il s'agit de les faire appliquer, s’il y a une puissance économique derrière, elle fait ce qu'elle veut. C’est ce que cela nous révèle.

 

Cette stratégie n'est-elle pas contre-productive? Car le mouvement survivra à Paul Watson.

 

Ce qu'il pense, c'est qu’ils veulent en faire un exemple. On va dire: regardez, il va croupir en prison pour le reste de sa vie. C’est un avertissement à tous les autres activistes. Paul inspire énormément de gens. Le mettre en prison, c’est une façon, pensent-ils, de décapiter le mouvement.

 

Je pense qu’ils ne sont pas très malins. Ils ont sous-estimé le soutien dont bénéficie Paul. Je ne pense pas qu'ils s'attendaient à une telle levée de boucliers en sa faveur. Là où ils font un très mauvais calcul, c'est que si Paul est extradé au Japon (je n’ai pas envie d’imaginer ce scénario, mais admettons) cela va déclencher un tel mouvement de colère, un tel sentiment d'injustice et d'indignation, que cela va avoir des répercussions qu’on ne peut pas prévoir. Au lieu de tuer le mouvement, cela va le raviver.

 

Déjà maintenant, on n'a jamais autant parlé de la chasse baleinière qu’en ce moment. Ce sont des gens qui se sentent tellement au-dessus des lois, qui ont l'habitude de l'impunité, qui se sentent tout-puissants, donc ils pensent avec leur logiciel.

 

Il y a pas mal de similitudes avec le traitement réservé par le passé à Julian Assange. Est-ce que cela vous inspire également des parallèles?

 

Honnêtement, je ne connais pas bien le cas de Julian Assange. Mais là où le cas de Paul est plus simple, entre guillemets, c’est que c’est quelqu’un qui défend les baleines. Ce qui lui est reproché, c’est d’avoir lancé une bombe puante. Alors que ce n’est pas lui qui l’a lancée. Le dossier est bancal et, entre guillemets, plus facile à défendre.

 

Julian Assange vient d’être libéré après avoir passé un accord avec les Américains. Est-ce que Paul pourrait envisager de faire une sorte de deal avec les Japonais?

 

Non, non, non. Je le dis tout de suite: non. Aucun deal. Ce n’est pas possible. La suggestion a déjà été faite par quelques personnes qui lui ont demandé de négocier une peine. Mais c’est hors de question.

 

Pourquoi?

 

Parce qu'il est complètement innocent, parce que les criminels ce sont les Japonais. Tu ne fais un deal que quand tu as quelque chose à te reprocher. Il assume complètement ce qu'il a fait. La seule chose acceptable c’est qu'il soit relâché et qu’Interpol assume ses responsabilités.


«La notice rouge d’Interpol est de plus en plus utilisée de manière abusive»

 

Interpol a mis son nom sur la notice rouge sans faire le moindre début d'enquête, sur un dossier complètement fabriqué et motivé politiquement, alors que c’est contre son propre règlement interne. Interpol a une grosse responsabilité dans cette affaire.

 

La notice rouge d’Interpol est utilisée de plus en plus de manière abusive par des Etats pour traquer leurs opposants politiques et les activistes.

 

Lorsque vous avez rejoint la cause Sea Shepherd, Paul vous a demandé si vous seriez prête à mourir pour sauver une baleine. Désormais, l’hypothèse de donner sa vie pour cette cause n’est plus théorique pour Paul. Est-ce quelque chose à laquelle il pense?

 

Bien sûr. La privation de liberté et la mort ont toujours été du domaine du possible. On espère évidemment que cela n’ira pas jusque-là. Mais il ne s’excusera jamais, même s’il doit finir en prison au Japon.

 

Ce qui est effrayant, c’est qu’on sait que les Japonais feront tout pour lui soutirer des excuses s’il va là-bas. Toute sorte de tortures et d’humiliation. Mais il ne le fera pas. C’est pourquoi je ne veux même pas envisager ce scénario. Cela relève du film d’horreur.

 

Quel est le rôle de Sea Shepherd Global, dans cette affaire?

 

Ce sont des pleutres, des traîtres aux abonnés absents, qui profitent de la notoriété que Sea Shepherd a obtenue en partie grâce aux campagnes et dont ils se repaissent aujourd'hui. Ils ne nous aident absolument pas. Ils ont fait un post sur les réseaux suite à son arrestation parce que les gens les ont sollicités, mais ils effacent les mots-clés «free Paul Watson» sur leurs réseaux.

 

Vous n’avez jamais imaginé que Sea Shepherd Global puisse avoir quelque chose à voir avec son arrestation?

 

Non, jamais. Parce que, pour eux ce qui se passe n’est pas bon. Cela braque les projecteurs sur Paul, alors qu’ils voulaient le faire oublier complètement. Or, on n’a jamais autant parlé de lui.

 

C’est là qu’on se rend compte qu'il y a plein de gens qui ne sont pas au courant de la scission. Paul reçoit des courriers qui disent qu’ils ont fait un don à Sea Shepherd Allemagne pour le soutenir, par exemple, alors que ceux-ci l’ont viré comme un malpropre. Beaucoup de gens s’étonnent du silence de Global dans cette affaire.

 

Cette arrestation est l’illustration d’une énorme inversion des valeurs, d’une perte de sens de notre société. L’argent supplante l’humanité. Qu’est-ce que cela vous inspire?


Je pense que c’est une photo instantanée du monde dans lequel on est, mais cela éveille aussi les consciences sur ce qui se passe, à mon avis. Cela crée un électrochoc chez beaucoup de gens. C’est tellement grossier, tellement évident que cela en fait réfléchir certains. Si cela pouvait amorcer une prise de conscience et un changement, ce serait bien.

 

Le pire dans la déviance et dans l'inversion des valeurs, c'est quand c’est fait de manière sournoise et invisible. Alors que là, c’est très visible. C’est intéressant parce que c'est comme ça que ça peut éveiller les gens.

 

Vous êtes donc optimiste pour l’avenir?

 

Ni optimiste, ni pessimiste. Je ne fais pas de prédiction. Je me dis juste que l’on vit un moment de vérité. Une forme de test. Et que de l'issue de cette affaire vont découler beaucoup de choses.

 

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1 Comment


Alain de Crisenoy
Alain de Crisenoy
il y a 4 jours

Cette affaire pue la politique pourrie par le fric!! Notre Président auras t_il le courage de le défendre?


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