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Article rédigé par :

Julien Monchanin

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Même les défunts n’échappent plus à la crise du logement

Dernière mise à jour : il y a 1 jour

Le régime français d’administration des cimetières, mal connu et pas toujours bien appliqué, génère souvent l’incompréhension des familles, qu’il s’agisse de la procédure légale de reprise des concessions ou des tarifs pratiqués par les mairies pour loger les défunts.

concession
© DR
 

Josiane*, 58 ans, a parcouru deux cents kilomètres en voiture pour se rendre au cimetière du village de son enfance et se recueillir devant la tombe de ses grands-parents. N’ayant pu y retourner depuis plusieurs années, elle a prévu un petit nettoyage de la sépulture… et même acheté des fleurs. Or sur place, c’est la stupéfaction: la tombe a purement et simplement disparu!


Éric*, lui, a eu plus de chance et pu faire valoir ses droits. Il a trouvé à temps la traditionnelle petite étiquette apposée sur la tombe de son arrière-grand-oncle, mort pour la France en 1915: «Cette concession réputée à l'état d'abandon fait l'objet d'une procédure de reprise. Prière de s'adresser à la mairie». Une tombe pourtant très bien entretenue par l’association locale dédiée à la mémoire des victimes de la Première Guerre mondiale.


Bien qu’aucune étude statistique officielle n’ait jamais été publiée sur le sujet dans l’Hexagone, tout indique que beaucoup ont connu le même genre de déconvenue que Josiane et Éric. «Vous n’imaginez pas le nombre de cas qui nous ont été signalés», commente Maud Batut, qui dirige le magazine professionnel Résonance Funéraire.


Droit ambigu, héritiers mal informés


En France, le droit des cimetières est régi par le Code général des collectivités territoriales. Il autorise la reprise par les communes de ces concessions dites abandonnées, perpétuelles ou juste échues, pourvu que celles-ci aient plus de trente ans et qu’on n’y ait pas inhumé de défunt il y a moins de dix ans. Mais les textes ne précisent pas cet état d’abandon, notion qui reste donc à l’appréciation des mairies et que l’ancien sénateur Jean-René Lecerf, coauteur en 2006 d’un rapport sur les pratiques funéraires, juge lui-même «pour le moins ambiguë et hypocrite». C’est un fait: «Des tombes ont été reprises qui n’auraient pas dû l’être».


La procédure en elle-même est claire, mais mal connue. Un délai de trois années devait jusqu’à récemment s’écouler entre le constat d’abandon d’une concession et sa reprise effective. Le temps d’informer les familles, si possible directement ou, à défaut, par un affichage en mairie et au cimetière. Bien entendu, il est facile pour les mairies d’arguer qu’elles ne disposent pas de coordonnées d’héritiers distants, ou encore que les ressources manquent pour les contacter un par un. Une idée simple serait de mettre en place un portail d’information sur internet à destination des familles, ou tout du moins que les municipalités ajoutent systématiquement à leur affichage réglementaire des avis accessibles sur leurs sites web. Mais rien n’est entrepris en ce sens pour le moment.


Dans le cas de Josiane, la municipalité concernée possédait pourtant ses coordonnées. Pire: la tombe de ses grands-parents a été enlevée avant le terme du délai légal. Délai qui, en 2022, a d’ailleurs été réduit à un an par décret, dans l’indifférence générale.


encadré

Des cimetières en manque d’espace?


L’autre ancien sénateur auquel on doit la dernière grande loi française sur les opérations funéraires (2008), Jean-Pierre Sueur, alertait déjà le ministre de l’Intérieur sur ce point épineux en 2013. Il évoquait alors les «sentiments d’incompréhension, de désarroi ou d’hostilité» que ces reprises de concessions, légitimes ou non, suscitaient au sein de certaines familles qui les découvraient a posteriori. Depuis, la situation ne s’est guère arrangée. En 2021, la sénatrice Christine Herzog s’est même adressée au ministère de la Cohésion des territoires pour lui demander «si un maire peut déléguer, temporairement, à une entreprise privée, la gestion de la déclaration de vétusté et d’abandon des tombes, de leur mise en procédure de désuétude, pour après-coup, la reprendre».


La réponse est encore négative, mais fait vivement réagir Antony Fallourd, directeur général du réseau Funéplus, qui regroupe 400 opérateurs funéraires indépendants: «Certains acteurs privés n’ont pas attendu cette question de Mme Herzog pour faire le ménage dans les cimetières, mandatés par certaines mairies, parfois même en se rémunérant au nombre de concessions reprises!»


À la décharge des municipalités, elles manquent souvent de ressources pour cette mission de gestion d’un cimetière, qui exige du temps, de la méthode et une réflexion à court autant qu’à long terme. Antony Fallourd plaide pour un effort sur la formation des agents communaux, et invite les mairies à se faire accompagner: «Nous en avons conseillé une dans la Manche pendant dix ans, qui enterrait au départ ses défunts jusque dans les allées de son cimetière et qui, par une saine gestion, a résolu tous ses problèmes d’espace». Le fameux problème d’espace dans les cimetières, fréquemment invoqué par les mairies pour justifier les reprises de concessions, n’implique donc pas forcément la mise en œuvre d’une «politique du bulldozer». L’essor de la crémation, qui intervient aujourd’hui dans plus de 40% des obsèques, contribue d’ailleurs à sa résolution. Pour Jean-René Lecerf, un partage de la compétence de gestion des cimetières entre mairies et intercommunalités serait une autre solution.


Un enjeu financier pour les familles


Ces cas de reprise posent aussi le délicat problème éthique du traitement des restes humains. Les restes de défunts n’ayant pas exprimé de souhait particulier avant leur mort sont systématiquement crématisés, puis placés dans un ossuaire communal. Une pratique qui peut choquer: qui pense à se prononcer sur ce point de son vivant? La loi de 2008 prévoit heureusement un compartimentage des ossuaires, notamment à la demande de communautés juive et musulmane rigoureusement opposées à la crémation. Il faut donc se déclarer pour ne pas finir en cendres…


Au-delà de cette procédure, les mairies ont aussi toute latitude au chapitre des tarifs des concessions, qui varient d’une localité à l’autre, mais qui se montent souvent à plusieurs centaines d’euros pour la durée de base de 15 ans. Des prix élevés qui perpétuent les inégalités sociales dans la mort et contribuent à un abaissement structurel de la durée moyenne des concessions. «Il est assez scandaleux d’exiger de familles modestes des sommes importantes pour des espaces réduits», approuve Jean-René Lecerf.


Quel que soit leur niveau de revenus et indépendamment des régimes de concessions, les familles endeuillées peuvent néanmoins solliciter la mise à disposition gratuite d’un terrain commun pour une durée de 5 ans. Un droit souvent méconnu des particuliers et «oublié» par les mairies, qui confondent régulièrement leurs terrains communs avec leurs anciens carrés d’indigents.

 

*Les prénoms ont été modifiés

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