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Article rédigé par :

Damien Lefauconnier

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L’extrême droite, les Juifs et l’ultranationalisme israélien

Dernière mise à jour : il y a 2 jours

Le Rassemblement national a commencé à polir son discours sur Israël et la judéité bien avant le 7 octobre. À la faveur d’une invitation du gouvernement Netanyahou à une conférence sur l’antisémitisme, il espère accélérer sa normalisation, et convaincre que ses liens avec le négationnisme et la collaboration avec le nazisme sont rompus. Et pourquoi pas rallier des électeurs préoccupés par la sécurité des juifs de France.

bhl, netanyahou, bardella
© DR/Flickr/X

Damien Lefauconnier, Paris

 

C’est l’un des énièmes rebondissements médiatico-politiques des conflits en cours au Proche-Orient, et non des moindres, car il mêle l’histoire de France et celle d’Israël: le 12 mars dernier, le philosophe et documentariste Bernard-Henri Lévy annonçait l’annulation de sa participation à une conférence sur l’antisémitisme, qui se tiendra les 26 et 27 mars prochains à Jérusalem, et où il devait prononcer le discours d’ouverture. 

 

«J’ai informé le président Herzog que je ne participerai pas à l’évènement», a expliqué BHL au journal Le Monde. «J’aurai maintes occasions, dans les semaines et mois à venir, de venir manifester ma solidarité avec Israël. Comme je n’ai cessé de le faire depuis le 7 octobre», ajoutait-il. Une décision qui n’a rien à voir avec un problème d’agenda, mais avec la venue de Jordan Bardella, le président du Rassemblement national (RN), et de Marion Maréchal, députée européenne également affiliée à l’extrême droite. Les jours suivants, d’autres personnalités ont annoncé leur absence: le grand rabbin britannique Ephraim Mirvis, le commissaire allemand à la lutte contre l’antisémitisme Felix Klein et David Hirsch, directeur du Centre pour l’étude de l’antisémitisme contemporain, basé à Londres. «Je n’ai pas de problème avec la droite, j’ai un problème avec les politiques populistes», a déclaré David Hirsch à ce propos, au journal Times of Israel.

 

Le président du RN ne sera pas seulement présent dans l’auditoire, il doit monter à la tribune:  «Jordan Bardella y prononcera un discours sur la montée de l’antisémitisme en France depuis le 7 octobre», a indiqué son entourage à l’AFP.

 

Le Rassemblement national pour défendre les intérêts des Juifs, au sein même de l’État juif? Voici encore quelques années, cette phrase aurait sonné comme une blague de mauvais goût. Apprenant la nouvelle, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) a utilisé sur X une expression imagée pour exprimer autant son étonnement que sa réprobation, s’interrogeant sur ce «parti qui a autant à voir avec la lutte contre l'antisémitisme que les moustiques avec la lutte contre le paludisme.»

 


Le 15 mai 2024, Marine Le Pen déclarait pourtant: «Le meilleur bouclier pour les Français de confession juive, c’est le Rassemblement national», une idée qu’elle avait déjà exprimée dix ans plus tôt.

 

Le RN n’est pas le seul parti français à effectuer des déplacements au Proche-Orient – les répercussions internationales de ce nouvel embrasement sont des enjeux politiques de premier ordre. Le 12 mars dernier, Gabriel Attal, président de Renaissance, se rendait en Israël en compagnie de plusieurs députés de son parti. En février 2024, une délégation d’élus de gauche se rendait à Rafah, à la frontière entre la bande de Gaza et l’Égypte, pour réclamer un cessez-le-feu.


encadré

Mais, pour le Rassemblement national, l’événement est une étape majeure et peut-être décisive dans son effort de normalisation, depuis le retrait de la vie politique du fondateur du Front national – ancien nom du RN – Jean-Marie Le Pen, dont les sorties antisémites et négationnistes sont restées dans les mémoires. Il l’est aussi pour le gouvernement israélien, en quête de soutiens à l’international, qui doit, pour son maintien, compter sur la présence d’ultranationalistes en son sein.

 

La participation du Rassemblement national à cette conférence sur l’antisémitisme implique son rapprochement d’un exécutif israélien imprégné de kahanisme néomessianique (du nom de Meir Kahan, fondateur de la Jewish Defense League, et des partis politiques israéliens Kach et Kahane Chai), un courant de pensée qui mêle religion et idéologie d’extrême droite, né à la fin des années 1960. Outre la présence de Bezazel Smotrich, ministre des Finances, très actif concernant la gestion des colonies en Cisjordanie, qui prône l’émigration volontaire des Gazaouis. L’exécutif israélien rappelait au gouvernement, le 19 mars dernier, Itamar Ben-Gvir en tant que ministre de la Sécurité nationale, connu dans le pays pour son militantisme ultranationaliste depuis son plus jeune âge, et Isaac Wasserlauf. Tous deux sont membres du parti d’extrême droite Otzma Yehudit, et avaient quitté leurs fonctions à l’annonce de la seconde trêve militaire décidée dans la bande de Gaza.

 

Mais revenons en France, et aux conséquences électorales potentielles, en regard de la montée de l’antisémitisme, un phénomène observé depuis plusieurs années, bien avant le 7 octobre. 

 

Un électorat en mutation?

 

Historiquement, le vote dit «juif» pour l’extrême droite a été décrit, jusque dans les années 80, comme largement inférieur à l’ensemble de la population. L’absence de données récentes sur la question, par l’application du principe de laïcité (loi Informatique et Libertés de 1978) observé par la plupart des instituts de sondage sur la collecte des données, complique cet examen. La question se pose aussi de considérer toutes les personnes d’origine juive, celles qui affirment l'être culturellement, ou simplement celles qui se déclarent croyantes. 


Des informations existantes tendent à prouver qu’une partie de cet électorat aurait évolué: selon un sondage de l’IFOP effectué après l’élection présidentielle de 2012, 13,5% des votants se déclarant «juifs» quant à leur religion, auraient choisi Marine Le Pen, alors que l’institut situait ce même segment à 4% en 2006 – un sondage effectué en prévision de l’élection présidentielle de 2007, et à laquelle Jean-Marie Le Pen était candidat. 

 

Cette tendance s’accompagnerait d’un glissement à droite: si, aux élections présidentielles de 1981 et 1988, la gauche est apparue – selon nos historiens – majoritaire au sein de cet électorat, Nicolas Sarkozy aurait recueilli 45% de ses suffrages en 2012, toujours selon l’IFOP.

 

Depuis le 7 octobre, une barrière qui semblait infranchissable est brisée, et le phénomène s’exprime à travers des figures de renom, associées à la judéité et à la lutte contre les politiques d’extrême droite. Serge Klarsfeld, adulé en Europe pour son passé de chasseur de nazis, s’exprimait le 15 juin 2024 sur LCI en faveur du vote RN, si un scrutin l’opposait à une «extrême gauche» associée à la France insoumise (LFI). Une alliance qui, selon lui, «a des relents antisémites et un violent antisionisme». Celui qui, encore en 2022, signait une pétition contre Marine Le Pen – texte qui la qualifiait de «fille du racisme et de l’antisémitisme» – a changé d’avis en quelques mois: «J’ai constaté une évolution très nette concernant l’antisémitisme avec l’arrivée de Marine Le Pen. Elle affirme une solidarité avec les Juifs (...) et l’État d’Israël. Dans les périodes difficiles, il faut des alliés. Pour ma part, un parti d’extrême droite ne peut être d’extrême droite que s’il est antijuif», déclarait-il au Monde en décembre 2023.


«Les paroles du RN après les événements du 7 octobre ont montré une empathie pour Israël qu’on aurait aimé trouver ailleurs»

Sur son blog personnel, le 4 juillet 2024, l’ancien président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), Richard Prasquier, arrivait, peu ou prou, à la même conclusion: «Toute ma vie, j’ai tenu le parti de Jean-Marie Le Pen en abomination. Cependant, il fallait admettre que le discours de Marine Le Pen diffère de celui de son père depuis plusieurs années. (…) les paroles du RN après les événements du 7 octobre ont montré une empathie pour Israël qu’on aurait aimé trouver ailleurs», écrivait-il.

 

Ce sentiment de normalisation du parti ne semble pas partagé par tous les membres du CRIF: début mars, son actuel président, Yonathan Arfi, ne se privait pas d’une cinglante réplique sur X à Julien Odoul, élu du Rassemblement national, alors que le député se targuait d’avoir fait visiter l’Assemblée nationale à des élèves de l’école Lucien Le Hirsch «plus ancienne école juive de France», écrivait-il. «L’histoire et les valeurs portées par l’école Hirsch sont aux antipodes de l’histoire et des valeurs du RN. Cela aurait dû suffire pour que cette visite ne se fasse pas avec un député RN», lui lançait, en commentaire, Yonathan Arfi.

 

Antisémitisme et mémoire historique

 

Sur la question de l’antisémitisme, l’extrême droite ferait-elle preuve d’hypocrisie par pur électoralisme? De nombreux médias ne manquent pas de rappeler fréquemment, par exemple, le passé de Waffen-SS de Pierre Bousquet, trésorier et cofondateur du FN, qui avait rejoint la division Charlemagne en 1944. Ainsi que l'édition de chants nazis par Jean-Marie Le Pen, par l’entremise de sa maison de disques, la Société d’études et de relations publiques (SERP).

 

«Je ne suis pas là pour juger», explique Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l’extrême droite, et lui-même juif pratiquant. «Ce qui nous rassemble est d’être tous attachés à ce qu’existe un État d’Israël. Je dis bien: à ce qu’il existe. Ainsi, quand, dans les manifestations, on entend des slogans sur la Palestine «de la mer au Jourdain», on regarde la carte et on comprend que cela signifie sans Israël», affirme-t-il, en faisant référence à la présence fréquente, dans ces manifestations, de politiciens de gauche, dont La France insoumise.


«On ne peut pas imputer à Marine Le Pen les mêmes sentiments qu’à son père»

 

«Aujourd’hui, quand on veut combattre le RN et que l’on se contente de dire que c’est un parti héritier de Vichy et de la collaboration, cette façon de voir les choses n’est plus efficace. J’ai connu des collabos qui avaient des responsabilités au FN, ils ne cachaient pas leur passé. Mais c’était en 1972. Le dernier que j’aie connu est mort en 2012 et la majorité des militants du RN sont arrivés lorsque Marine Le Pen a pris la présidence, c’est-à-dire en 2011», estime-t-il. «Le signe égal entre FN-RN-nazisme-fascisme tend à disparaitre. On ne peut pas imputer à Marine Le Pen les mêmes sentiments qu’à son père. C’est une conviction que j’ai acquise au fil des ans, en la rencontrant, en l’écoutant. Elle n'est pas obnubilée par la Seconde Guerre mondiale, elle n’est pas antisémite, elle ne nie pas l’existence des chambres à gaz», affirme le politologue.

 

Une analyse à l’opposé de celle de Claude Sarcey, coprésident de l’Union des juifs pour la résistance et l’entraide (UJRE), un mouvement laïc créé en 1943, durant l’occupation allemande, et qui compte encore plusieurs centaines de membres. «Aujourd’hui, le premier parti qui défend le gouvernement israélien, c’est effectivement l’extrême droite. Mais nous ne sommes pas dupes. Nous n’avons pas de doutes sur le fondement antisémite de ces organisations que sont le RN et le FN. L’extrême droite a basé son discours sur une politique migratoire qui vise principalement les musulmans. Aujourd’hui, le fer de lance de l’extrême droite, ce sont les musulmans. Quoi de mieux pour aiguiser ce fer de lance que se dire pro-israélien, pro-sionistes», affirme-t-il. «Il y a une confusion dans la tête d’un certain nombre de juifs, avec ce soutien de l’extrême droite pour le gouvernement israélien:  sous ce prétexte, ils pensent que l’extrême droite n’est plus un parti antisémite. Je pense qu’un certain nombre de juifs, souvent religieux ou croyants, tombent dans le panneau», estime M. Sarcey. «Je suis convaincu qu’un vote juif plus important s’est tourné vers le RN ces trois ou quatre dernières années et que cela s’est renforcé depuis le 7 octobre. J’en ai côtoyé, certains nous ont appelé et critiqué, car ils se sentent proches du RN», ajoute-t-il. 

 

Le RN, premier rempart contre l’antisémitisme?

 

Claude Sarcey confirme que des membres de l’association craignent d’être agressés en raison de leur origine, et ne dévoilent pas leur nom pour éviter de «rendre leur judéité trop visible». Deux synagogues de Paris, contactées en vue d’un reportage pour rencontrer des fidèles, ont refusé pour ne pas attirer l’attention. «Nous leur avons dit, ainsi qu’aux enfants, d’être particulièrement prudents, de ne pas porter d’insigne religieux et d’être discrets dans leurs allées et venues», confie la secrétaire de l’une d’elles, en précisant qu’aucun signe d’hostilité envers des membres de la communauté n'avait été signalé.

 

Par cette appropriation de la lutte contre l’antisémitisme, le RN pourrait, dans ce climat de peur, réussir à convaincre au-delà de l’électorat juif français (en 2020, le Jewish Policy Research Institute estimait à 449'000 le nombre de juifs vivant en France, correspondant à des personnes affirmant se sentir juives sur le plan religieux, culturel ou ethnique), parmi les votants que la question de l’antisémitisme taraude depuis le 7 octobre.

 

Virage pro-israélien assumé

 

Sur le Proche-Orient, le RN assume depuis plusieurs années un virage pro-israélien sur la question du Proche-Orient, le Rassemblement national assume, depuis plusieurs années, un virage pro-israélien, après que Jean-Marie Le Pen a, durant des décennies, critiqué l’État d’Israël, et notamment sa politique envers les Palestiniens. Mais le nouveau dirigeant du parti et la petite fille du «Menhir» ont, eux aussi, par le passé, exprimé des positions qui ne correspondent pas à celles de l’actuel gouvernement Netanyahou, ni d’une majorité d’Israéliens. En 2014, Jordan Bardella citait sur X un tweet de Florian Philippot, alors vice-président du Front national: «L’honneur de la France, c'est de reconnaître un État palestinien. Tout vote en ce sens est une avancée». La veille de ce retweet, Marion Maréchal postait sur le même réseau social: «Au FN, nous sommes pour la reconnaissance de l’État palestinien». Des messages effacés depuis.


Aligné sur la ligne de Benjamin Netanyahou depuis le 7 octobre, Jordan Bardella affirme que reconnaître l’État de Palestine «au moment où nous parlons (…) serait reconnaître le terrorisme», tout en rappelant la tradition diplomatique française d’un soutien à la solution à deux États.


Un repositionnement politique qui soulève une question de fond: faut-il croire à une mutation idéologique sincère, ou assiste-t-on à une stratégie d’image visant à redorer le blason d’un parti encore marqué par son passé?

 

Damien Lefauconnier est diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille (ESJ) et de l’Institut National de l’Audiovisuel (INA). Il a notamment travaillé pour France Télevisions, France 24, Le Monde diplomatique, L'Obs et Libération, au cours d'une riche carrière lors de laquelle il s'est principalement concentré sur l’actualité française, la géopolitique du Moyen Orient et des territoires de l’ex-URSS. Il est basé à Paris.

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