Charles Gave est un économiste et financier français, fondateur du think thank indépendant L’Institut des libertés. Réputé pour ses analyses au vitriol, le fondateur de Gavekal revient, sans langue de bois, sur l'état de l'Occident et le désastre qui l'attend sous la coupe de ce qu'il appelle «les hommes de Davos» dans son dernier livre, La vérité vous rendra libre.

Amèle Debey, pour L’Impertinent: A quel moment vous êtes-vous dit que quelque chose clochait dans notre gestion de la crise Covid?
Charles Gave: J’avais eu, si j'ose dire, la chance d'être à Hong Kong pendant la crise H5N1, qui a précédé celle du Covid de deux ou trois ans. J’avais vu tout le monde paniquer, courir partout, comme des poulets sans tête d'ailleurs… et puis il ne s’était rien passé. Si ce n’est quelques morts par-ci, par-là.
Je m’étais rendu à Hong Kong, parce que quand la crise a commencé, tout le monde disait qu'on allait tous mourir et les types commençaient à se barrer du bureau. Donc mon fils m'a dit: il faut que tu viennes pour remonter le moral des troupes et montrer que les vieux n’ont pas peur. J’ai donc pris l'avion avec ma chère épouse, pour aller démontrer qu'on n'avait pas peur.
De façon générale, je n'ai pas une peur panique des épidémies. J'ai beaucoup plus peur, philosophiquement, des idées à la con que des épidémies. Elles tuent plus de gens.
Assez rapidement, je me suis rendu compte qu'on était dans un cas assez grave d'idées à la con. Je me suis dit que c’était une façon de voir si les Français allaient obéir si on les empêchait d'aller à la messe, de se réunir, de bouffer ensemble. Personne n’a rien dit. Les Français se sont comportés en veaux qui applaudissent à l'abattoir.
Est-ce que, selon vous, cela s'inscrit dans l'idéologie malthusienne de ceux que vous appelez les «hommes de Davos»?
C’est plutôt que, dans leur monde, il y a le monde de l'obéissance et le monde de la compétence. Eux sont compétents et nous sommes censés être obéissants. C'était pour voir si nous étions aussi obéissants qu'ils le pensaient et je crois qu’ils ont dû être pleinement satisfaits.
Vous vous présentez comme un libéral. Pour vous, il s’agit de «laisser les gens faire ce qu'ils veulent», «favoriser leur liberté de choix». N’est-ce pas contradictoire avec les idées des politiciens que vous soutenez, qui sont pour la plupart très à droite et qui s'opposent à ce que les gens fassent ce qu'ils veulent sur pas mal de sujets, notamment la fin de vie, le port du voile ou la transition de genre, par exemple?
Ça dépend. La liberté telle que j’essaie de la définir dans mon dernier livre qui s’intitule
La liberté vous rendra libre, c’est de pouvoir et de vouloir faire ce que l'on doit faire.
Prenez la transition de genre: si un type veut changer de sexe, il n'y arrivera pas puisqu’il n’a pas les bons chromosomes. Un homme ne sera jamais qu'un homme et une femme ne sera jamais qu’une femme. Il peut essayer de prendre l'apparence physique de notre sexe si c’est ça qui lui chante. Mais à ce moment-là, il le fait quand il est majeur. Vous ne pouvez pas imposer ça à quelqu'un qui n’est pas en état de prendre la décision parce qu'il a douze ou treize ans. C'est un crime. La liberté individuelle s'applique à soi-même.
Depuis des années, on nous impose, qu'on le veuille ou non, ce que j'appelle une «civilisation de la mort». Ça a commencé avec la contraception obligatoire, si j'ose dire, puis l'avortement. Maintenant, on arrive à l'euthanasie.
50% des jeunes femmes aux États-Unis de 30 ans ou plus n’ont pas d'enfants. On a tellement dénigré le fait pour une femme d’avoir des enfants, disant que c'était l'empêcher de se réaliser… Ce qui ne me gêne pas, si c'est son choix à elle, mais on a mis une telle pression sur les femmes pour qu’elles n’aient plus d'enfants, qu’une sur deux aux Etats-Unis n’en aura jamais.
C’est sa liberté.
J’entends bien, mais n'a-t-elle pas été l'objet d'une petite pression sociale? Logiquement, les impôts devraient favoriser la liberté de choix. Le système fiscal devrait être neutre. Aujourd'hui, il favorise massivement la non-naissance d'enfants. C’est une monstruosité.
Si je puis me permettre, j’ai l’impression que la pression sociale sur les femmes les pousse plutôt à avoir des enfants et à se mettre en couple.
Non, pas vraiment. En France, par exemple, si vous n'êtes pas marié et que vous avez des enfants – je le sais, puisque j'ai un neveu qui fait ça depuis quarante ans – vous avez des allocations familiales à n'en plus finir. Des aides à la femme célibataire, des logements sociaux gratuits qui ne sont pas disponibles pour les couples mariés. On favorise l'absence de mari. Les hommes de Davos ont comme vocation aujourd'hui que le père soit remplacé par l'État, de façon à maintenir les femmes dans un état de soumission totale.
Elles cessent d'être soumises soi-disant à leur mari pour devenir soumises au type qui leur verse des allocations pour les enfants. Ça ne me paraît pas être un progrès.
Parlons un peu d’économie. Comment est-ce que vous expliquez l'état actuel de la dette française?
Vous connaissez la blague? J’ai un de mes amis à qui on a dit qu’il y avait un ministère de la marine en Suisse. Ce à quoi on a répondu qu’il y avait bien un ministère des finances en France… C’est à peu près la même chose.
Pour répondre à votre question, c’est assez simple: la dette, n'est pas du tout un problème
si les taux d'intérêt que vous observez sur votre dette sont inférieurs au taux de croissance de l'économie. Si vous empruntez à 4% et que les taux d'intérêt sont à 2, il n’y a aucun problème. Mais si vous empruntez à 3% et que la croissance est à zéro, vous ne pouvez pas ne pas faire faillite.
«La France est la définition même de l’inaptocratie»
Le problème de la France, ce n’est pas la dette, mais toutes les mesures qui ont été prises depuis des lustres pour empêcher la croissance, le développement de l'entrepreneuriat, la croissance du secteur privé, toujours au profit du secteur public, qui a une caractéristique essentielle, c'est d’être toujours en déficit, donc d’avoir besoin de dette. Le secteur privé qui a besoin de dette disparaît. Le secteur public qui a besoin de dette embauche de plus en plus de gens et devient de plus en plus indispensable.
La question de la dette, c'est typiquement la mauvaise question. Celle que vous devriez poser, c'est: pourquoi avons-nous, en France, une croissance à zéro?
Alors? Pourquoi?
Essayez d’être un entrepreneur en France! Par exemple, j'ai embauché une jeune personne il y a quelque temps. Je la paie deux mille euros par mois et elle me coûte quatre mille. Il y a deux mille euros qui partent à l’État pour les filer à des gens qui ne travaillent pas. Si vous passez votre temps à taxer ceux qui bossent et à subventionner ceux qui ne bossent pas, il ne faut pas s'étonner si le chômage augmente.
Aujourd’hui, en France, on est dans ce qu’un sociologue anglais appelle l’«inaptocratie». Les
gens les moins capables de gouverner sont élus par les gens moins capables de travailler pour pouvoir piller tranquillement à deux la troisième catégorie. La France est la définition même de l’inaptocratie.
Vous dites souvent qu'on est globalement dirigés par des cons et des incompétents, mais…
Non, pas du tout. On est gouvernés par des gens très intelligents qui cherchent leur intérêt personnel. La plupart des gens pensent fondamentalement que celui qui est au pouvoir cherche ce qu'on appelle le «bien commun». Pas du tout!
Pour la première fois dans l'histoire de France depuis quarante ans, les hauts fonctionnaires cherchent à s'enrichir personnellement, à prendre avantage sur le reste de la population. A s'en mettre plein les fouilles et à dominer les autres. Ils sont tout sauf bêtes, ils sont extrêmement intelligents. Leur projet marche du tonnerre de Dieu d’ailleurs.
N’est-ce pas un peu facile de critiquer dans votre position? Que feriez-vous autrement, vous?
La première chose que je ferais, c'est je dirais que tout fonctionnaire est inéligible au pouvoir.
Une chambre des députés composée de garçons coiffeurs ne prendra que des mesures favorables envers les coiffeurs. Une chambre des députés où il n'y a que des fonctionnaires va prendre des mesures favorables aux fonctionnaires.
Dans toutes les grandes démocraties du monde (Angleterre, Allemagne, Etats-Unis), le fonctionnaire est inéligible. Celui qui prépare les lois ne peut pas être celui qui les vote, ce n’est pas possible.
«La dette, c'est de l'impôt différé»
En France, il y a une espèce de copulation frénétique entre la haute fonction publique et la politique. Ce qui fait que nous n'avons plus de politique. Tous les hommes au pouvoir sont des fonctionnaires, donc ils favorisent l'État. Parce que c'est dans leur nature, qu'ils n'aiment pas le risque et qu'ils ne comprennent pas la création de richesse. Pour être fonctionnaire, il faut avoir étudié des trucs complètement idiots, avoir une mémoire de cheval et aucun caractère. Ce qui ne marche pas dans le secteur privé.
La facilité pour l'État, c'est d'augmenter les impôts puisqu'il le peut. Si l’impôt était voté par les citoyens comme cela devrait être le cas, l’État serait obligé d'être rationnel et efficace.
Ce que les gens ne comprennent pas, c'est que la dette, c'est de l'impôt différé que vous mettez sur vos petits-enfants. La base de la démocratie, comme vous le savez très bien en Suisse, c'est le vote des impôts par les citoyens. Dans un pays normal, la seconde mesure que je prendrais serait de rendre la dette inconstitutionnelle, puisque les impôts qui seront payés par mes petits-enfants n'ont pas été votés par eux.
Où va l'argent? En France vous êtes énormément taxés, vous payez énormément d'impôts, pourtant tous les services de l'État semblent souffrir d’un manque de moyens. Aussi bien l’hôpital, que l’école, que la police. Où va cet argent?
Dans les transferts sociaux. Il ne va dans aucun des secteurs régaliens, qui sont tous dans la misère la plus totale, il va dans le personnel.
Par exemple, il y a quarante ans, l'hôpital de base était géré par les patrons de la médecine avec l'aide des syndicats d’un côté et puis il y avait le maire, ou le conseiller général du coin, qui était le président de l'hôpital et qui faisait rentrer le système politique pour vérifier un peu tout ça.
Aujourd'hui, 40% du personnel des hôpitaux c’est du personnel administratif. Comme il faut vérifier la façon dont le professeur de médecine dépense le pognon, il faut qu'on ait des tas de grattes-papiers, de petits hommes gris. Ils sont partout.
Et les petits hommes gris détestent les gens compétents. Ils ont une vie emmerdante, une femme laide, des enfants grognons, ça les fait chier. Ils veulent passer leur colère sur les gens un peu différents, créatifs et beaux. Le petit homme gris est triste et il vous en veut si vous êtes gai.
Vous parlez aussi beaucoup du fait qu'il faut laisser les gens bosser autant qu'ils veulent, que le travail doit être une passion. Mais il faut bien qu’il y ait des gens pour faire les métiers moins passionnants, non?
Dans toutes mes affaires, j'ai eu des gars qui disaient adorer le volet administratif. Des compteurs de haricots absolument remarquables qui adoraient ça. Moi je me flingue si je fais ça, mais eux étaient très contents. Il faut trouver des gens qui apprécieront faire ce genre de métiers. Et tout faire pour qu’ils puissent prendre leur retraite le plus vite possible.
C’est donc assez logique que les petits hommes gris chiants fassent des métiers chiants?
Oui, mais il ne faut pas les laisser prendre le pouvoir. Il ne faut pas que ce soit eux qui fassent tout. Courteline disait: «Le but des fonctionnaires c'est de ne rien faire et de ne rien laisser faire. C'est ce que dit Didier Raoult, qui est un type puissamment intelligent: il y a deux sortes d'organisation dans la vie: celles qui sont fondées sur la compétence et celles qui sont fondées sur l’obéissance.
Les sociétés fondées sur l'obéissance ne supportent pas celles qui sont fondées sur la compétence, par définition, et font tout pour les liquider. Ce qui entraîne un écroulement de la croissance. C’est l’histoire de l’URSS.
Comment peut-on avoir une économie libre puisqu’il n’y a pas d’argent sans dette?
Il faut que la dette soit émise pour des activités rentables.
Si vous faites de la création monétaire qui ne correspond pas à la valeur créée, c'est automatiquement inflationniste. Si vous faites une création monétaire qui a comme origine une centrale nucléaire qui sera bâtie dans les sept ans qui viennent, ce sera inflationniste au début, parce que vous distribuerez du pouvoir d'achat qui n'existe pas, la monnaie sera détruite. On n’aura jamais la même quantité de monnaie à la fin qu'au début.
La création monétaire doit être la conséquence d'une création de valeur. Et les crétins qui nous gouvernent pensent que si on crée de la monnaie, on va créer de la valeur derrière. Cela ne marche jamais.
Pour qu’il y ait des riches libres, ne faut-il pas qu’il y ait des pauvres fondamentalement moins libres? La liberté n’est-elle pas un truc de riches, finalement?
Non, je connais des gens riches qui ne sont pas libres parce qu'ils ont peur de tout. Et des gars qui n’ont pas un rond, mais qui sont parfaitement libres parce que personne ne les emmerde. On est libre si on fait ce qu'on veut, si on fait ce qu'on doit et si on fait ce qu'on aime. Ce n’est pas difficile.
La liberté est une drôle de notion. Elle est tout sauf la licence. Ce que disait Rousseau, qui était un type de chez vous: les gens n'imaginent pas à quel point il faut être vertueux pour être libre. La liberté n'existe que dans un monde où tout le monde est vertueux.
Et pas égalitaire? Vous dites aussi que la liberté et l’égalité sont antinomiques.
Non, ce que je dis, c'est que le but de chaque homme est d’être libre et non pas égal. Toutes les sociétés qui cherchent la liberté arrivent à une forme d'égalité, au moins d'égalité dans le bonheur et la satisfaction des gens. Toutes les sociétés qui cherchent l'égalité terminent toujours au goulag.
L’idée que de la liberté naît l'inégalité est fausse, puisque de la liberté naît la possibilité pour chacun de faire ce qu'il veut et donc de se foutre de ce que les autres font.
Vous avez dit récemment que la faillite aboutissait toujours sur la guerre.
C’est une idée assez communément partagée. Quand les États sont mal gérés, pour s'en sortir et guérir, ils envahissent le pays d'à côté pour essayer de cacher les dettes et surtout pour essayer de piller le pays d'à côté.
C’était un truc qui marchait dans le temps. Mais d'abord on n'a plus d'enfants, on n'a plus d'argent, on n'a que des dettes, et on n'a plus d'armée. La France devient un pays que les autres devraient envahir, pour cacher leurs échecs. D’ailleurs c'est ce qu'il se passe: la France est envahie pour cacher l'échec de l'Algérie.
Je pensais plutôt aux velléités de Macron d’envoyer des troupes en Ukraine…
Mais on n'en a pas! Vous me faites rigoler. Pour avoir des soldats, il faut des enfants. On a 19’000 soldats en état. On pourrait réunir l’armée française dans le stade de France et il serait à moitié vide. Tout ça c’est du baratin.
La grande question qui va se poser en Europe dans les vingt ans qui viennent, c’est laquelle des deux armées restantes préférez-vous? A savoir l’armée turque ou l’armée russe.
Et l’armée européenne?
On n’a pas d’enfant! La natalité est à 0,9. Chaque enfant italien a quatre grands-parents dont il est le seul petit enfant. Vous allez envoyer ce gars-là se faire tuer? Quand il y avait dix-huit enfants, on se foutait d’en envoyer un ou deux à la guerre.
Vous semblez approuver le système démocratique suisse, vous l'avez dit à plusieurs reprises, mais quelle critique, s'il y en a, pourriez-vous faire sur son économie?
J'aime beaucoup la Suisse, tous mes premiers actionnaires étaient suisses, c’étaient des gens très bien.
Ce qu’il y a de bien en Suisse, c’est l’éducation. Car vous n’êtes pas tombés dans la trappe imbécile selon laquelle tout le monde doit avoir le bac et tout le monde doit être prof d'université. Chez vous, ceux qui sont particulièrement doués peuvent aller vers l'université, ce n’est pas pour ça qu'ils sont mieux considérés, d'ailleurs et les autres vont vers de vrais boulots. Ils vont dans les banques pour apprendre comment ça marche, ils apprennent sur le tard et prennent des cours à l'université.
«Le niveau de vie des Français va baisser d'1% par an»
Vous êtes sortis de cette espèce d'imbécillité qui veut que plus il y a de diplômes, meilleure est la société. L'apprentissage est un truc absolument génial, parce que tout le monde n'est pas doué pour manipuler des idées. Et lorsqu’il y en a trop qui manipulent des idées dans un pays comme la France, cela cesse de marcher. Il y a des tas de gars – en particulier à l’Assemblée nationale – qui auraient mieux fait de faire un apprentissage. Ils feraient moins de dégâts.
En Suisse, la part de l’industrie dans le PIB est menacée par la montée du protectionnisme, comme c’est le cas un peu partout. Quel regard portez-vous sur toutes les barrières douanières?
Je ne vois aucun problème avec la Suisse, si elle continue à faire de bons produits dont tout le monde a besoin... Je ne me fais pas de soucis pour eux.
Pourtant, le concept de l’obéissance contre la compétence est encore plus flagrant en Suisse. Comment expliquer que le pays ne tombe pas dans les mêmes écueils que la France?
Je ne peux pas répondre, n'étant pas Suisse, mais j'ai l'impression que pour un Suisse dans une entreprise de mécanique, par exemple, si vous trouvez une nouvelle façon de faire des boulons, ça marchera tout de suite. Tandis qu’en France il faudra d'abord passer devant quarante-cinq commissions de contrôle.
Il est possible que le degré de liberté dans la société suisse, à l'échelle la plus basse, soit beaucoup plus élevé qu'en France et qu'à l'échelle des idées, ce soit plus contrôlé. Mais dans le fond, tout le monde se fout des idées des intellectuels, ce ne sont pas eux qui créent de la richesse.
Les Suisses sont plus pragmatiques?
En tout cas, si vous expliquez à un Suisse qu’il va gagner beaucoup d'argent en travaillant un peu plus, il se précipite. Les Français ne se précipitent pas, ils essaient de comprendre comment ils pourraient vous le voler par les impôts et l’État.
Comment pensez-vous que la France va sortir de ce marasme?
On a une dette de plus de 3000 milliards. Dont 50% sont détenus à l'étranger, ça fait 1500 milliards. Si les taux d'intérêt sont à 3%, ça fait 450 ou 500 milliards à filer à l'étranger.
On sait donc qu'à partir de maintenant, avec des taux d'intérêt à trois, une croissance à un et la moitié de la dette à l'étranger, ça veut dire que le niveau de vie des Français va baisser d'un pour cent par an pour toujours. Il y a bien un moment où les gens vont s’emparer de leurs fourches.
La France va tomber en faillite?
L’Etat français va tomber en faillite, ce n’est pas la même chose. Dès que l’État sera tombé en faillite et qu’on pourra enfin gérer ce pays normalement et mettre à la porte ceux qui ne foutent rien, peut-être que les Français de l’étranger reviendront à toute allure pour redévelopper le pays.
Un exemple: la France n’a plus d’industrie. Mais elle a au moins cinq ou six énormes sociétés industrielles qui travaillent dans le monde entier, sans aucune usine en France (Total, Air Liquide…) Lorsque le pays tournera mieux, ils reviendront. On n'a pas perdu le savoir-faire.
Est-ce que Macron a dépiauté l’industrie française?
Il a tout fait pour toucher des commissions. Il s’est pris pour un banquier d'affaires, et c'est pour ça aussi qu'il devrait être jugé. Il gère le pays comme un pilleur d'épaves.
«C’est très bon marché de corrompre des journalistes»
Le but de cette classe n’est pas du tout que la France soit riche, belle, forte et que les gens soient contents. Un peu comme au Mexique où les présidents, il y a une vingtaine d'années, savaient que cela pouvait rapporter deux milliards de dollars. Vous partez enrichi, le pays est appauvri, mais vous vous en foutez. Aujourd’hui, on a une classe de criminels au pouvoir. C’est pareil aux Etats-unis, en Angleterre ou encore en Allemagne.
N'est-ce pas inhérent à la politique en général?
Non, pendant dix siècles, il n’y a jamais eu de hauts fonctionnaires corrompus en France. Ils étaient d’une intégrité totale. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
Et l’influence des médias?
C’est très bon marché de corrompre des journalistes, je parle de vraie corruption.
En tant qu’économiste, quel regard portez-vous sur les BRICS et leur évolution et pourquoi est-il si difficile depuis chez nous d'investir dans les BRICS et dans les émergents en général? Car c'est plutôt découragé par les banques qui recommandent à 90% les USA et l'Europe et sont devenues très orientées lorsqu'il s'agit de marchés émergents?
Le système de monopole centralisé autour du dollar est en train de sauter.
Autrefois, le système d'information et de paiement qu'on avait dans le monde s’appelait un ordinateur central. C’était une société hiérarchique contrôlée par le haut. Comme les sociétés ne sont plus hiérarchiques, mais deviennent des espèces de grosses méduses étalées, il n’y a plus de hiérarchie.
Désormais, on travaille de petit ordinateur à petit ordinateur, sans besoin de passer par un ordinateur central. Ce qui veut dire que la raison pour laquelle les banques ne veulent pas que vous investissiez dans ces pays-là, c'est que vous sortez de leur monopole, vous sortez de la hiérarchie. Si vous achetez des obligations en Amérique latine, vous passez par une banque locale.
Vous avez un mécanisme de contrôle d'argent qui passe par SWIFT – c'est-à-dire les grandes banques, l'État américain et les grandes banques américaines – et la dernière des choses qu'ils veulent, c'est que vous sortiez de ça et que vous deveniez libre.
Qu’est-ce qu’on fait alors? On ne va tout de même pas planquer notre fric sous notre matelas?
Rien ne vous empêche d’acheter des obligations sud-américaines ou chinoises, il y a des fonds. Ou même de l’or. Vous n’êtes pas obligés de rester en obligations françaises. Reprenez votre liberté et dites-vous que vous ne voulez pas être là où on vous maintient en esclavage, à savoir dans les banques européennes et américaines.
C’est à vous de chercher, personne ne va vous aider.
Est-ce que la doctrine qui dit qu’il n'y a pas d'alternative au dollar est une réalité ou du marketing, notamment matraqué par Bloomberg?
C’est une foutaise!
J’ai grandi à une époque où il n'y avait pas d'alternative au socialisme scientifique. Sartre nous répétait tous les jours que le marxisme était l'horizon indépassable de la pensée humaine. Cela n’a pas marché terrible.
Quand quelqu'un vous dit qu'il n'y a pas d'alternative, il faut la chercher tout de suite. Il y en a sûrement une et comme vous serez parmi les premiers, vous ne l’achèterez pas trop cher.
Bien sûr qu'il y a une alternative, bien sûr que le dollar va disparaître, comme toutes les autres monnaies avant lui, bien sûr qu’il y a une solution de rechange, mais c’est à vous de la trouver.
Quelle influence les USA vont-ils pouvoir conserver sur les prix des matières premières et sur l'utilisation du dollar dans leur négoce?
Dans la mesure où ils avaient une influence très forte – si vous n’achetiez pas en dollars, ils envoyaient leurs canonnières – les gens étaient obligés d'acheter en dollars. Les espérances de vie de Saddam Hussein et de Kadhafi ont baissé rapidement à partir du moment où ils ont dit qu’ils allaient faire payer leur pétrole en autre chose qu’en dollar. Ça a été vite liquidé. Mais maintenant, comme c'est la Chine et l'Arabie saoudite, ça devient difficile.
En plus les Américains ont perdu toutes les guerres depuis 1945. Les gens ont de moins en moins peur d’eux.
Prenons un horizon à deux, trois ans: le service de la dette aux Etats-unis sera de 1200 milliards de dollars. Ce qui est monstrueux. La Défense sera de 1000 milliards par an et la
Sécurité sociale, ce sera 2000 milliards. Comme ils n’auront plus de sous, parce qu'ils ont des déficits monstrueux, cela veut dire qu'un de ces trois postes va disparaître.
Ce ne sera pas la sécu, ce ne sera pas le service de la dette, car ce n’est pas possible. Donc dans deux, trois ans, les Etats-Unis vont dire: vous savez quoi? Vous vous défendez tout seul.
Ils feront le coup du Viêtnam.
Pour des pays comme la Lettonie, la Lituanie et l'Estonie ou la Pologne, cela posera un problème que les Etats-Unis s’en aillent d’Europe.
Êtes-vous favorable au Frexit?
J'étais défavorable à l'euro dès le premier jour. J’ai dit que c’était une connerie, que ça allait détruire l'Europe que j'aimais. C’est fait. Le plus tôt on en sortira, le mieux on se portera. C’est une imbécillité du début à la fin. Ça n'a jamais marché.
Pourquoi?
Parce que vous ne pouvez pas maintenir dans un taux de change fixe des pays qui ont des productivités différentes. Cela n'a jamais existé.
«L’euro a créé trop de maisons en Espagne, trop de fonctionnaires en France et trop d’usines en Allemagne»
Par exemple, il y a 70% de fonctionnaires de plus en France pour dix mille habitants qu'en Allemagne. Qui paye les fonctionnaires? C’est le secteur privé français, par les impôts. Le siège social français est donc beaucoup plus cher que le siège social allemand. Si vous voulez bâtir une usine, vous la mettrez en Allemagne, parce que ce sera moins cher. Sauf si le franc français baisse petit à petit vis-à-vis du deutschemark. A partir du moment où vous bloquez, toutes les usines ferment en France et vont en Allemagne. Quand ce n’est plus compensé par le taux de change, la variable d'ajustement devient l'usine.
Je disais il y a quarante ans que l’euro créerait trop de maisons en Espagne, trop de fonctionnaires en France et trop d’usines en Allemagne. Cela s'est exactement passé comme ça.
Pour qui avez-vous voté aux Européennes?
La bonne question est pour qui je n'ai pas voté. Tous ceux qui ont voté pour cette Europe technocratique, abominable, inhumaine, il faut les virer. Tous les gens qui ont soutenu cette caste monstrueuse de Davos, il faut voter contre. A part là, vous votez pour qui vous voulez, cela n’a aucune importance. Mais ces gars-là, il faut les virer. Il faut rendre la parole au peuple.
Et vous alors, une carrière en politique, ça ne vous dit pas?
Vous rigolez? A 80 balais!
Richelieu disait «Quiconque gouverne un royaume, se condamne à la damnation». Parce que vous devez faire des trucs abominables.
Et à 80 balais, proche de mon jugement, je ne suis pas pressé de me damner.

Toujours roboratif ce cher Charles Gave et toujours excellent vulgarisateur, il remet systématiquement l’église au milieu du village. Désormais la Macronie est morte et enterrée, du moins on l’espère! On attend la suite!
Merci d'avoir osé dire qu'on nous impose une civilisation de la mort! Ce constat me turlupine depuis des années, d'autant que l'on nous fait croire que c'est une garantie d'égalité et de liberté. Il n'y a pas de liberté dans la mort. Et comme vous le dites, seule la liberté assure l'égalité.
quelle personnalité Charles Gave ! il n'est en aucun cas un des ces petits hommes gris dont il fait mention ! quel plaisir de le lire ! ses arguments me convainquent, quoique je ne sois pas spécialiste... merci Monsieur Gave, on a besoin de personnes authentiques et charismatiques comme vous
Je n’y connais rien en finances, et j’ai trouvé cet article accessible, savoureux, intelligent, instructif, drôle et très intéressant !
Un grand merci !