Marie-Estelle Dupont est psychologue clinicienne et psychothérapeute. Formée en psychologie transgénérationnelle, elle accompagne des patients de la naissance à l'âge adulte et connaît bien les troubles dont souffrent les enfants. Durant la pandémie de Covid, elle n’a cessé de tirer la sonnette d’alarme sur le traitement infligé aux jeunes. Pour L’Impertinent, elle revient sur les conséquences catastrophiques de cette période sur les générations sacrifiées à qui on a compliqué la tâche déjà bien lourde de bâtir l’avenir.

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Amèle Debey, pour L’Impertinent: A quel moment vous êtes-vous dit que quelque chose clochait dans notre gestion de la crise Covid?
Dr Marie-Estelle Dupont: Quand on a été confinés, qu’on ne connaissait pas encore bien la maladie, je ne l’ai pas prise à la légère. J’étais très soucieuse de ne pas contaminer les personnes âgées. Mais deux choses m’ont choquée. La première cela a été l’attestation: je me suis dit que si on devait soi-même se signer une autorisation de sortie pour aller faire ses courses, c’est qu’il y avait quelque chose du domaine de la mascarade et de l’infantilisation.
Si c’était la peste noire, il n’y aurait pas besoin d’attestation, les gens resteraient chez eux. Si ce n’est pas la peste noire, il n’y a pas besoin d’un tel contrôle social.
L’autre chose, c’était Jérôme Salomon qui nous égrainait le nombre de morts tous les soirs à la télévision. On balançait des chiffres sortis de leur contexte, mais on ne donnait pas ceux du cancer, ou d’autres maladies. Ça ne pouvait être qu’effrayant. En tant que psychologue, je me demandais quel était le but d’une telle mise en scène si ce n’était de faire très peur aux personnes âgées.
Très vite, quand j’ai vu les conditions du confinement, je me suis dit que ça allait être une catastrophe pour les petits.
Quelles sont les principales conséquences des mesures sanitaires sur les enfants?
Les troubles psychologiques qui sont apparus chez les mineurs ne sont pas des troubles psychologiques dus au Covid, mais à la gestion de la crise sanitaire. Les petits étaient tout à fait outillés contre le virus, mais ils ne l’étaient pas pour s’adapter aux mesures.
Un adulte qui a fini sa construction identitaire, cognitive et sociale peut supporter un moment d’isolement sans séquelles majeures. Il a des ressources. Malgré cela, les adultes et les personnes âgées ont été touchés par une vague psychiatrique. A fortiori un enfant, au niveau neurobiologique, a des besoins de stimulations, d’interaction, de tendresse. Par exemple les gestes barrières allaient à l’encontre des contacts dont les petits ont besoin pour ne pas être en dépression et pour favoriser les défenses immunitaires. Les bébés qui ne sont jamais câlinés ont des dépressions et des défenses immunitaires abaissées.
Les troubles psychologiques que l’on a vus ont été des retards de parole chez les tout petits, parce que l’apprentissage de la parole se faisait mal quand les adultes étaient masqués dans les crèches. Des études neurobiologiques longitudinales ont montré une diminution des aires liées aux compétences sociales. Donc les bébés nés pendant la crise sanitaire ont des compétences sociales réduites par rapport aux bébés nés avant Covid. Cela veut dire moins d’empathie, moins de capacité à décoder les émotions de l’autre, donc inévitablement plus d’agressivité qui découle du mal à se faire comprendre tout de suite.
«On a aujourd’hui une génération incroyablement isolée, qui a beaucoup de mal à aller vers l’autre»
Chez les enfants un peu plus grands, il y a eu beaucoup de phobie scolaire, de symptômes somatiques anxieux importants: j’ai peur de tuer papi, mamie, d’être puni si mon masque est mal mis. Toute la somatisation de l’anxiété avec des céphalées, des maux de ventre, des pleurs, des troubles alimentaires, des troubles du sommeil, des TOC.
Chez les ados, cela a beaucoup impacté la sphère sociale: c’est un âge où faire du sport, poser des questions aux profs, être avec ses pairs, ce n’est pas facultatif mais essentiel au développement des compétences sociales et de la sphère cognitive. On a aujourd’hui une génération incroyablement isolée, qui a beaucoup de mal à aller vers l’autre. En France, les troubles alimentaires ont été multipliés par six. Ce sont des jeunes qui ont décompensé dans l’anorexie ou la boulimie et évidemment qu’aujourd’hui ils n’en sont pas sortis.
Vous dites dans votre livre Être parent en temps de crise que ce n’est pas parce que les mesures sont levées que les troubles disparaissent.
Non. Une fois que l’être humain s’est déformé pour survivre à quelque chose d’anormal et qu’il a pris des habitudes, il va lui être douloureux et difficile de remodifier ses habitudes pour revenir à un état normal. C’est ce qu’on appelle le syndrome de la cabane, ou de l’escargot chez les gens qui n’ont jamais pu quitter le télétravail et qui ne supportent plus d’être avec des collègues.
Chez les ados, les addictions ont augmenté, avec beaucoup d’agressivité. On a des ados qui passent beaucoup plus à l’acte avec des conduites très violentes, parce que tous les mécanismes de gestion de l’impulsivité à travers le sport, ou de la vie sociale ont été perdus pendant de nombreux mois. Et puis ils ont vécu dans un climat de culpabilisation. On leur disait qu’il était normal qu’ils restent enfermés dans leur chambre, derrière un écran, parce que sinon ils allaient tuer les personnes âgées. On a beaucoup effondré leur estime d’eux-mêmes.
Les 18-25 ans sont la tranche de la population qui va le plus mal, chez qui on constate une augmentation affolante de consommation des psychotropes. Au Canada, par exemple, la prise de psychotropes a augmenté de 300% depuis 2021. Quand on parle avec les pharmaciens en France, ils confirment qu’ils n’avaient jamais vendu autant d’antidépresseurs et de benzodiazépines à des jeunes.
Est-ce que tout cela est réparable?
Le cerveau atteint sa maturité au niveau neurobiologique – un état stable, qui n’est plus un état de développement – à 25 ans. Ce qui veut dire qu’entre 0 et 25 ans, vous êtes en croissance et en construction. Celle-ci se fait par périodes sensibles: une période propice à l’apprentissage de la marche, ou du langage, etc. Et lorsque l’on perturbe ces périodes, que l’on ne donne pas à l’individu la nourriture nécessaire pour actualiser son potentiel biologique à ce moment-là, cette capacité sera extrêmement compliquée à développer.
Ce qui est perdu dans la construction identitaire de ces adolescents à ce moment-là laisse des traces. On a modifié leur perception de leur place dans le monde; on leur a fait sentir qu’ils n’étaient pas légitimes dans leurs besoins, qui devaient passer après un chiffre de circulation virale… Donc on les a mis dans une injonction paradoxale en leur disant: pour être un bon citoyen, tu dois renoncer à tout ce qui va faire de toi un adulte équilibré.
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Il n’y a pas de fatalité chez l’être humain, la plasticité cérébrale est très grande et évidemment qu’il y a des jeunes qui vont bien aujourd’hui, fort heureusement. Mais cela laisse une empreinte traumatique de cette perte totale de contrôle sur leur existence et ce message envoyé par la société que finalement ils avaient tout intérêt à être débrouillards et individualistes parce que le monde des adultes ne les protège pas et ne leur offre pas une véritable place.
L’adolescence est une forme de deuil lors duquel on s’aperçoit que nos parents ne sont ni omniscients ni omnipotents et où l’on pénètre dans l’âge adulte. A-t-on forcé cette étape sur des enfants qui n’étaient pas encore prêts à cela?
Oui, il y a eu un déni de la différence des générations: on a mis tout le monde sur le même plan en infantilisant les adultes et en surresponsabilisant les enfants. Et l’adolescence, qui est une répétition d’une période très précoce du développement qui est la période de séparation-individuation, où le cerveau va revivre un chamboulement hormonal pour arriver à se séparer, à s’autonomiser. On a coupé cet élan.
Il y a bien sûr des familles qui ont su métaboliser les choses et des enfants qui vont bien, mais on a mis un cran d’arrêt dans leur construction identitaire et dans leur envie de se projeter. J’ai vu beaucoup de jeunes arrêter leurs études pendant la crise. Beaucoup disent qu’ils ne veulent pas d’enfants. Quel est le narratif et le climat social qu’on leur offre pour qu’ils aient autant de mal à se projeter et à avoir envie de construire quelque chose?
Cette réalité-là existait-elle avant le Covid?
Oui, le Covid en a été le paroxysme. Le problème, c’est qu’il n’y a toujours pas de changement de paradigme. On est dans le même schéma concernant toutes les crises qui arrivent depuis. On leur relaie un discours catastrophiste où, de toute façon, tout est très grave, ce qui justifie qu’ils n’aient pas de besoins, qu’ils se sacrifient, qu’ils renoncent à avoir des enfants, qu’on leur confisque leur liberté, leur libre arbitre, qu’on décide à leur place avec des solutions uniformes à tous les problèmes.
S’il y a un virus, vous restez chez vous et vous ne posez pas de question, etc. C’est extrêmement humiliant, infantilisant, culpabilisant et ça les coupe dans leur élan de créativité. Précisément parce qu’il y a des défis à relever à chaque génération, on a intérêt à ce que les enfants de demain soient créatifs et soient debout. Or, on constate un glissement vers une forme de totalitarisme: on ne veut pas qu’ils réfléchissent, mais juste qu’ils obéissent.
Quelles conséquences ces mesures ont-elles eues sur les adultes?
En France, j’ai été assez frappée par la servitude volontaire et la docilité d’acceptation de ces mesures. Cela m’a frappé mais pas étonnée. Ces mesures sont précisément acceptées parce que plusieurs éléments à l’œuvre depuis 40 ans font que c’est possible: la baisse du niveau de l’instruction, l’anthropologie de jouir et se divertir sans entrave, cela a rendu les gens dociles à la servitude car on les a tellement détournés d’eux-mêmes qu’il n’y a plus de réflexion. «Je me repose de moi-même et c’est l'Etat-nounou qui va décider pour moi.» Avec le bénéfice secondaire de ne pas se poser de questions et de suivre le mouvement.
On voit bien comment l’idéologie du jouir sans entrave a fabriqué des gens extrêmement dépendants qui se sont défaits de leur liberté à une vitesse édifiante.
Il y a aussi tout le management par la peur, les ressorts de la communication dans les médias, cette manière de faire croire aux gens qu’ils ont le choix puisque nous sommes en démocratie, alors qu’on voit que s’ils ne font pas le bon choix, ils seront ostracisés. Jouer sur la peur de l’ostracisation. Ce n’était pas la peine de les forcer, il suffisait d’agiter la peur du rejet, de la stigmatisation. Par exemple, je me suis faite traiter de criminelle sur un plateau télé parce que je disais aux parents qu’il fallait continuer à faire des câlins aux bébés. On a beaucoup joué sur le besoin d’appartenir au groupe.
«Quand on ne croit plus à une transcendance, on est très vulnérable à toute forme d’endoctrinement»
Et puis il y a pour moi un facteur très important qui est l’effondrement de la spiritualité. Plus une population croit en quelque chose qui est plus grand qu’elle et qui la dépasse, plus elle a des éléments intérieurs pour gérer les angoisses de mort, de maladie, etc. Comme nous vivions dans une société où nous avions, de manière très factice, tué la mort et la maladie en nous racontant que la médecine allait nous sauver de tout, la peur a pris le dessus sur les esprits. D’où qu’elle vienne.
Quand on ne croit plus à une transcendance, on est très vulnérable à toute forme d’endoctrinement. On va se raccrocher au discours politique qui nous donne le confort d’une certitude, à la technologie, aux discours des médecins même si on ne peut pas les vérifier.
La crise a révélé à quel point l’Homme occidental contemporain, vidé de sa spiritualité et réduit à sa dimension matérielle, était fragile et vulnérable à l’emprise, la manipulation et la peur.
Ne pensez-vous pas que la religion est la première responsable de l’effondrement de la spiritualité, en tentant d’instrumentaliser cette dernière par le biais de l’être humain?
La dimension politique de la religion a pu faire du mal à la spiritualité en déconnectant paradoxalement l’Homme de son intériorité et en le mettant dans une position très infantile d’obéissance à des rituels. Néanmoins, je pense que chez les populations qui ont des pratiques religieuses fortes, en général, le déplacement sur le politique du phénomène religieux se fait beaucoup moins.
Le besoin liturgique et symbolique est très fort chez l’Homme. On voit bien que plus la religion est évacuée, plus on a une classe politique qui se vit de manière religieuse. Dans les débats politiques, on joue à être celui qui représente le camp du bien et qui doit anéantir le démon en face de lui. On est dans une démonologie politique. La vie religieuse, sans tomber dans le traditionalisme ou le communautarisme, est un frein à ce déplacement.
En France, on a un président qui se prend pour Jupiter, alors ça n’aide pas… Mais pendant le Covid, dans la liturgie, les mots inventés, les rituels obsessionnels, on n’était plus dans la raison, mais dans une hystérisation du débat, une impossibilité de réfléchir, une évacuation de la nuance… et cette démonologie politique je la trouve toujours aussi présente aujourd’hui. Plutôt que d’argumenter, on insulte. On dirait que la politique s’est embrasée de quelque chose de l’ordre de la démonologie. Je pense donc que le phénomène religieux reste important pour que les choses restent à leur place.
Après, je suis d’accord avec vous: je différencie beaucoup le religieux du spirituel et bien souvent je me rends compte à quel point le religieux a cassé la spiritualité.
L’un des prochains débats au centre des discussions en France, c’est celui sur la fin de vie. Quel est votre avis là-dessus?
Je suis extrêmement inquiète de l’évolution progressiste actuelle qui consiste à dire que c’est toujours un progrès de tuer quelqu’un. On a l’impression que le summum du progrès, c’est d’avorter et d’euthanasier le plus possible.
C’est un débat éminemment complexe, subtil, intime, qui demande beaucoup de casuistique. Ce n’est pas pareil d’aider une jeune fille de 20 ans déprimée à se suicider, ou un tétraplégique de 80 ans qui ne peut plus respirer. Je pense qu’il y a beaucoup de cas par cas à faire dans ces situations. Personnellement, je suis contre, car la loi Léonetti en France fonctionne très bien. Je trouve qu’il s’agirait donc d’un déni du travail des soignants en soins palliatifs en plus de tout ce qui est mis en place aujourd’hui.
On a déjà des moyens d’accompagner un enfant condamné à partir. On n’a pas besoin d’aller plus loin pour que la souffrance des individus soit prise en compte. J’ai très peur des effets pervers: une famille peut essayer de se débarrasser d’un aïeul duquel elle attend un héritage. Attention à ne pas basculer dans le meurtre déguisé. Le fait-on pour aider l’individu qui est en souffrance ou pour nous, qui sommes mal à l’aise d’accompagner quelqu’un dans l’agonie? Il y en a de longues et de courtes, mais chacun a besoin d’un temps différent pour partir.
Les enfants sont-ils suffisamment protégés dans notre société? Je pense notamment à la pédocriminalité.
Non. On est dans une société où, après mai 68, l’adulte devait jouir sans entrave. Il ne pourra donc pas être un parent mature. On a créé une génération d’adulescents, d’ados attardés qui ne veulent pas s’emmerder.
Je ne pense pas que l’on protège les enfants, mais au contraire qu’on leur dénie leur vulnérabilité. Que ce soit la pédocriminalité, le harcèlement scolaire ou toutes les questions liées à l’enfance, on n’a pas envie d’admettre que l’enfant a des besoins spécifiques. J’ai passé la crise à marteler que l’enfant n’était pas un adulte, mais qu’il n’était pas personne.
Un enfant peut être la variable d’ajustement des problèmes que les adultes ne sont pas capables de régler, on le voit bien dans les divorces. En France, concernant le harcèlement scolaire, on a des adultes incapables d’être secourables. Ils voient des enfants se faire harceler, mais pour que leur petite carrière ne soit pas remise en cause, ils ne font pas de vague et ils proposent de changer l’enfant victime d’établissement dans le cas d’une plainte des parents. Ce n’est pas une posture d’adulte.
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On voit bien comment un grand nombre d’adultes dans la société refuse de prendre cette position de verticalité par rapport à l’enfant: «je te protège en te mettant à l’abri des choses que tu n’es pas en mesure de gérer tout seul, mais je te protège aussi en t’outillant et en t’armant progressivement pour gérer petit à petit les situations sans avoir besoin d’un tiers pour le faire à ta place. En construisant ta liberté».
Ce n’est pas du tout ainsi qu’est faite la scolarité dans le public. Dans les crèches, on maltraite tellement le personnel qu’on maltraite les enfants indirectement. Quand on pense qu’on va protéger les enfants des abus sexuels en leur montrant des images quasi pornographiques à l’école, évidemment que l’on nie complètement les stades de maturité de la croissance de l’enfant.
Je me suis rendue à une séance d’information de ces cours d’éducation sexuelle pour enfant et je n’ai pas été particulièrement choquée par leur contenu. Vous êtes contre?
Je ne sais pas comment ces cours sont faits en Suisse, mais la circulaire française dit vouloir prévenir les abus sexuels et les agressions homophobes, transphobes, etc. Pour moi, ce serait plus l’objet d’un cours civique et moral où on rappelle à l’enfant qu’il n’agressera pas autrui sur la base de son orientation sexuelle ou autre. Le problème est que cette circulaire n’a pas donné lieu à un livret destiné aux établissements. C’est fait de manière complètement arbitraire: un coup, c’est l’infirmière scolaire, un autre, c’est un membre de la communauté LGBT. C’est très opaque et le contenu n’est pas du tout uniformisé.
«Avec les cours d'éducation sexuelle on est dans la fabrique du consentement»
Pour moi, non seulement cela ne prévient pas les abus sexuels, mais c’est carrément de la fabrique du consentement. Une petite fille qui aura entendu en classe que pour le plaisir elle peut lécher les testicules d’un garçon, le jour où elle est interpellée par un pervers qui lui rappelle qu’il s’agit de plaisir, pas sûr qu’elle sache réagir.
Peut-être qu’en Suisse les cours sont bien faits, mais en France cette circulaire n’a pas donné lieu à une formation spécifique, on ne sait pas qui délivre ces cours. L’école est un droit universel à l’instruction, pas un lieu où l’on risque aléatoirement d’être entraîné dans telle ou telle idéologie.
Comprenez-vous que les jeunes n’aient plus envie d’avoir d’enfant?
Comme on a créé des adulescents à qui on a dit que pour être heureux il ne fallait pas trop se prendre la tête, alors que la réalité de la psychologie humaine est que les gens engagés sont moins déprimés que ceux qui ne s’engagent pas, on a menti aux gens depuis mai 68.
On a cassé la figure paternelle, on a dévalorisé la famille, on a des taux de divorce qui ont énormément augmenté, on a monté les hommes et les femmes les uns contre les autres au lieu d’insister sur la complémentarité, vous ajoutez à cela qu’on leur raconte que s’ils font un bébé ils vont tuer un arbre, avec la crise économique aujourd’hui, avoir des enfants dans les villes, c’est difficile d’être logé correctement... Quand vous additionnez tout cela et que vous y ajoutez le fait qu’on les a déspiritualisés: quand on se projette dans quelque chose qui nous dépasse, on a envie de transmettre, alors que quand notre propre confort est l’horizon de notre existence, on n’a pas envie de s’enquiquiner.
Alors oui, je comprends que 30% des jeunes femmes disent ne pas vouloir avoir d’enfants.
Que pensez-vous du projet de «réarmement démographique» d’Emmanuel Macron destiné à lutter contre l’infertilité?
Visiblement ce sont les mêmes cabinets de conseils qui lui font ses discours depuis le Covid, puisqu’on était en guerre. Il est dans sa logique jupitérienne et martiale avec cette espèce de pseudo-virilité de surface grotesque d’adolescent de 14 ans.
Et puis c’est très hypocrite comme discours, parce qu’on sait très bien qu’on a des gouvernements qui passent leur temps à casser la famille, à jouer à saute-moutons avec l’autorité parentale, à mettre en scène dans les médias des scénarios catastrophes en permanence qui mettent les gens dans des états d’anxiété…
«La famille a été disqualifiée»
Vous voulez dire que les raisons de la baisse démographiques sont plutôt celles que vous avez citées plus haut que l’infertilité biologique?
Il y a des problèmes de fertilité, mais en amont il y a la question du désir d’enfant qui a été disqualifiée de façon socio-politique: la famille a été disqualifiée, les cadres ont été cassés. On vous explique que le bonheur ultime dans la vie, c’est la consommation, ce qui ne donne pas envie d’avoir d’enfants.
Pour revenir à la santé mentale des jeunes, vous dites dans votre livre qu’elle se dégrade depuis 2014. J’aimerais savoir pourquoi et si les écrans ont un impact là-dedans?
Les études montrent que, depuis 2014 déjà, il y a une augmentation de la dépression et de l’anxiété chez les jeunes, ainsi que de la polytoxicomanie. On voit bien la courbe monter progressivement entre 2014 et 2021, pour y faire un pic, avec une explosion des tentatives de suicide et des consommations de psychotropes. Le délitement de la société, la baisse de l’instruction, tout cela est palpable depuis dix ou quinze ans.
Quant aux écrans, pour moi c’est l’arbre qui cache la forêt. Ils sont surtout mal utilisés. Mais les écrans sont la fabrique du crétin digital, comme le dit Michel Desmurget. On sait, au niveau biologique, qu’il s’agit d’une drogue dure qui désynchronise les hormones cérébrales, qui perturbe le sommeil et la concentration. On sait que les enfants qui regardent trop d’écrans sont sept fois plus exposés à la dépression et à la violence. C’est l’inverse du sport. Cela vous coupe de toute votre sensorialité.
Mais on ne peut pas se défausser sur les écrans. C’est à nous de réfléchir à l’utilisation de l’outil duquel l’homme est devenu esclave.
Notez-vous un problème de surmédicalisation des enfants aussi?
Oui, bien sûr.
En France, nous avons une offre en soins très restreinte, avec seulement 35 professeurs de pédopsychiatrie et environ 500 pédopsychiatres dans tout le pays. Donc évidemment, vu l’état de la population, on n’a pas d’accès aux soins. Qu’est-ce qu’on fait dans ces cas-là? On va chez le généraliste qui donne une molécule qui n’a pas été testée sur le cerveau d’un enfant, dont on ne connaît donc pas les effets.
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Il y a un report sur les médicaments du fait de la baisse de l’offre de soin. On a tendance à penser que sédater l’enfant va remplacer la thérapie. La molécule vient remplacer la parole. On a fabriqué une génération de drogués. Le médicament, c’est la solution de facilité, avec le risque de développer une dépendance à l’âge adulte.
Sans parler du fait que ça les zombifie complètement et qu’il n’est pas sûr que cela les protège des passages à l’acte dangereux. Car, quand les molécules sont mal dosées, cela peut avoir des effets paradoxaux. Et on a vu des adolescents passer à l’acte sur leur professeur ou sur eux-mêmes alors qu’ils étaient sous traitement. C’est évidemment beaucoup trop utilisé et c’est une question de rapport au temps. On ne le prend plus.
On a aussi un peu tendance aujourd’hui à psychiatriser et pathologiser des symptômes qui sont, chez l’enfant, le seul outil qu’il a pour exprimer son mal-être.
Il me semble qu’aujourd’hui on diagnostic du HPI à toutes les sauces, non?
Il ne faut pas confondre un enfant haut potentiel avec un enfant surstimulé. Mais ce qui est inquiétant, c’est l’évolution de l’anthropologie qui sous-tend la formation des psychiatres. Le manuel qui répertorie les maladies mentales et les troubles de la personnalité est un peu plus garni à chaque réédition. Une émotion = une pathologie. Par exemple, le deuil est devenu une pathologie. Cela vous dit qu’en gros: chaque émotion = une pilule. On a donc plein d’acronymes: HPI, TDHA…
Je ne dis pas que ces diagnostics sont faux dans tous les cas, je dis juste que le problème est que l’on a absolument envie de se rassurer, de se croire tout puissant, au lieu d’humblement écouter l’expression d’un enfant, d’essayer de comprendre. On va directement chercher l’acronyme à quoi il correspond.
Moi qui aime profondément le psychisme, ça m’est insupportable. On étiquette ce qu’on ne comprend pas au lieu d’accepter notre incompréhension. Et c’est grave, car on va mettre l’enfant dans une case, cela va le poursuivre toute sa scolarité, il va être médiqué, construire son identité sur le fait qu’il est malade.
Le plus souvent, quand on prend le temps de parler à un enfant, les choses se débloquent. Quand ça n’arrive pas, c’est que le blocage vient de vous. J’ai parfois des parents qui viennent au cabinet et qui n’ont pas envie d’entendre qu’eux-mêmes refoulent tellement leurs émotions que c’est leur enfant qui vit leur dépression à leur place.
Pour revenir au Covid, je voudrais savoir pourquoi on a tellement de mal à faire un bilan de cette crise? Est-ce dû à la culpabilité de nos dirigeants? J’entends beaucoup de monde qui ne cesse de répéter qu’il faut «passer à autre chose».
Ce n’est effectivement pas très agréable pour l’égo de se rendre compte qu’on a été manipulé. C’est compliqué pour l’être humain de réaliser que les instances dans lesquelles il met sa confiance ont abusé de lui. Ceux qui se rendent compte qu’ils nous ont traités de fous alors que c’était nous qui avions raison, ont plutôt envie de changer de sujet, oui.
A part les difficultés à passer à autre chose pour ceux qui ont souffert, justement, quelles conséquences peut-il y a avoir à ce syndrome de l’autruche?
Quand on n’admet pas qu’on s’est trompé, on peut facilement commettre à nouveau la même erreur. On aurait pu tirer beaucoup de leçons du Covid et notamment analyser la novlangue managériale du pouvoir politique pour se poser des questions lorsqu’on nous la sort à d’autres sauces.
Il y a des gens pour qui le Covid a quand même été un moment de basculement, de réveil et de prise de conscience. La classe politique et la population étaient tellement décorrélées que l’on avait cessé de s’intéresser à ce que racontaient les politiques, avec pour conséquence de les laisser faire n’importe quoi sans se poser de question. C’est du bullshit managérial, mais si on ne s’y intéresse pas, on se fait piéger.
Durant cette crise, on a aussi pu constater que les gens les plus lettrés n’étaient pas forcément les moins dupes de cette manipulation. Comment l’expliquez-vous?
Les intellectuels et les gens lettrés ont quelque chose à perdre: leur place dans l’establishment. De par mon métier, j’ai été amenée à beaucoup travailler sur moi et sur le regard de l’autre. J’ai une très grande liberté par rapport à ce que les autres pensent de moi. Alors qu’on me traite de complotiste parce que je disais qu’il ne fallait pas enfermer les gosses, ça ne me fait ni chaud ni froid.
«Il y a un égo lié au statut d’intellectuel»
Les intellectuels qui ont leur rond de serviette dans les hautes sphères et souhaitent continuer à y être invités sont prisonniers de ça. C’est ce que Coluche appelait les «milieux autorisés». Ils veulent rester du côté des sachants, continuer à apparaître dans les journaux. Ils sont donc frileux par rapport à leur propre perception. Ils sont capables d’affirmer des choses publiquement qu’ils savent être complètement absurdes, mais cela leur permet de continuer à faire partie de l’establishment. Il y a un égo lié au statut d’intellectuel.
Le paysan qui voit des vaches mourir tous les jours ne panique pas face à une maladie d’une létalité inférieure à 0,05 ni à l’idée de la mort, et sa place dans l’establishment, il ne risque pas de la perdre.
Il y a une différence entre être un intellectuel et être intelligent, sans véritable connexion à son instinct, à ses émotions et au réel.

Interview très riche, là encore. J'ai beaucoup apprécié la réflexion sur la nécessité de faire appel à la vie intérieure et la spiritualité pour lutter contre ces "grands envoûtements" de masses mis en oeuvre par l'élite politico-médiatico-énconomique.
Encore une excellente et passionnante interview ! Merci Amèle de nous faire découvrir des personnalités qui ont une telle capacité de réflexion.
Magnifique interview, merci à l'Impertinent de faire connaître des personnes aussi remarquables de lucidité et de franchise que Mme Marie-Estelle Dupont.
Comme toujours, elle est excellente et maîtrise son sujet.
Pour ceux que cela intéresse et dans le même ordre d'idée, il suffit de l'écouter interrogée
par The Epoch Times : https://youtube.com/watch?v=DYCDcNxAW4A&si=kFDVTuHLBhlR5SmR
Passionnant! Un très bon bilan psychologique de ces années hallucinantes qu’on n’est pas près d’oublier.