Michel Collon est un journaliste et essayiste belge, fondateur du média Investig’Action. Spécialisé dans les guerres de terrain comme d’information depuis trente ans, celui qui revendique un journalisme engagé – ce que certains considèrent comme un euphémisme – vient de sortir un livre-enquête sur l’attaque du 7 octobre en Israël. L’occasion d’aborder la propagande de guerre, les «médiamensonges» et le système d'intérêts qui a précipité les conflits armés d'hier et d'aujourd'hui.

Amèle Debey, pour L’Impertinent: Un accord de cessez-le-feu a enfin été trouvé à Gaza. Qu’en pensez-vous?
Je le vois comme une victoire pour les Palestiniens, pour la cause des peuples, mais il faut rester très vigilant. Netanyahu s'était officiellement donné comme objectif d'éliminer le Hamas. En réalité, il voulait surtout tourner la population palestinienne contre le mouvement. Et, si possible, se débarrasser des Palestiniens en occupant tout Gaza. Sur ce plan, il a complètement échoué et n'a pas éliminé le Hamas. Il lui a porté des coups très durs, il a tué des dirigeants, mais le Hamas est toujours actif.
On en parle tout le temps, mais il ne faut pas oublier que d'autres milices ont participé aux opérations du 7 octobre et qu'elles continuent à les soutenir, à appeler à la résistance. Les citoyens palestiniens ne se sont absolument pas tournés contre la résistance, ils l'ont soutenue. Si Israël avait trouvé des personnalités du mouvement de Gaza qui avaient critiqué le Hamas, ils les auraient montrées jour et nuit sur toutes les chaînes de télévision.
On le voit aussi dans la presse israélienne: des coups durs ont été portés, beaucoup d'officiers et de soldats ont été tués. Il y a une grande lassitude, voire carrément des dépressions, des rejets plus nombreux que ce qu'on dit parmi les soldats, hormis les militaires les plus engagés. Je sais qu'il y en a beaucoup qui veulent continuer, qui, quelque part, prennent un plaisir sadique à torturer et assassiner des Palestiniens. Mais l'armée est essoufflée. Au Liban aussi.
«Il faudra surveiller la reprise d'une offensive d'une manière ou d'une autre»
De plus, le fait que cette guerre dure si longtemps a provoqué un exode important de citoyens d’Israël, ainsi que de gros problèmes économiques et un grand déficit. Selon moi, Netanyahu était vraiment acculé et n'avait d'autre choix que de faire une trêve. Bien que, dans son idée, ce soit reculer pour mieux sauter et qu’il veuille repartir à l'attaque. Il l’a dit à ses troupes. Il faudra donc être très vigilant.
Enfin, je n’ai pas confiance en Trump. Je crois que c'est un type malin qui a compris que la méthode employée n'aboutissait pas. Mais, sur le fond, je pense qu’il est d'accord avec Netanyahu : il veut se débarrasser des Palestiniens, il veut éliminer la résistance et il faudra donc surveiller la reprise d’une offensive d'une manière ou d'une autre.
Pensez-vous que Trump a pu avoir une quelconque influence sur cette décision? Et, plus généralement, quel regard portez-vous sur sa réélection, sachant qu’il a eu un comportement moins va-t-en-guerre que ses prédécesseurs lors de son premier mandat?
Sur la question de Trump, c'est un fait qu’il n'a pas déclenché une grande guerre comme tous ses prédécesseurs démocrates. Il a commis des crimes, bien sûr. Il a orchestré des assassinats, tenté des coups d'État et des changements de régime, mais il n'a pas initié une grande guerre comme Obama, Biden ou encore Bush. D’ailleurs, c'est Chomsky qui disait: «Si on appliquait les lois de Nuremberg qui, en 1945, ont jugé les criminels nazis, tous les présidents des États-Unis auraient été pendus.» Il n’y a pas un président des États-Unis qui n'ait pas commis de crimes gravissimes, de crimes de guerre, ou de crimes contre l'humanité.
Trump est malin, contrairement à ce qu’on dit. Il voit bien que Biden et Hillary Clinton – qui était l'instigatrice originelle de la politique américaine sous Obama – ont tous échoué dans leurs objectifs. Les États-Unis sont en déclin sur le plan économique, et il faut quand même une économie solide pour soutenir des guerres. Ils sont en déclin sur le plan militaire, incapables de produire autant d'armes qu'il le faudrait, et leur industrie n'a pas suivi la demande en Ukraine. Ils sont également en déclin sur le plan politique, avec de grandes divisions entre les différents camps, ainsi que sur le plan moral, avec un pessimisme et une désillusion énormes dans la population, pour toutes sortes de raisons.
Trump est plutôt de l'école Kissinger. Selon ce dernier, on ne doit pas attaquer tous nos grands ennemis en même temps. Il faut identifier le plus dangereux et essayer de rallier ou neutraliser les autres. Ils l’avaient fait sous Nixon, en s’alliant temporairement avec la Chine contre l'Union soviétique. Ce qui, de leur point de vue, n’avait pas trop mal fonctionné.
«Je ne pense pas que le président des États-Unis soit aussi puissant qu'on le dit»
Désormais, c’est un peu l'inverse : Kissinger a dit que l’on pouvait s’accommoder de la Russie, car après tout, elle est bien capitaliste. Poutine voulait même adhérer à l’OTAN. Ils se sont dit qu’en mettant la Russie de leur côté, ils pouvaient se concentrer sur le plus dangereux, c’est-à-dire la Chine, sans forcément penser à une guerre classique, qui ne serait pas très raisonnable. Mais un conflit indirect, des guerres par procuration ou une bataille économique restaient envisageables.
Trump s’inscrit plutôt dans cette logique. Par intérêt, et non par morale, il pourrait chercher un accord avec la Russie. Nous verrons bien. Cela dit, je ne pense pas que le président des États-Unis soit aussi puissant qu'on le prétend. Il dépend des multinationales et de leur budget autant que de leur influence. Mais aussi de toute une administration et des services secrets qui exercent un véritable pouvoir. Il tentera peut-être de les contrôler, de faire le ménage. Mais réussira-t-il, ou sera-t-il, comme lors de son premier mandat, progressivement mis au pas?
Quant à savoir ce qui va arriver, je ne réponds jamais à ce genre de question, car trop de facteurs nous échappent. L'avenir sera ce que nous en ferons. Si la résistance des peuples est forte, si la bataille de l'information et de la contre-information est efficace, alors nous aurons des moyens de pression qui peuvent faire échouer leurs stratégies. C’est pour moi la question la plus importante.
Pour revenir à l’attaque du 7 octobre, à propos de laquelle vous avez écrit un livre, on parle de génocide à Gaza perpétré par l’armée israélienne contre les Palestiniens, mais n’omet-on pas la responsabilité du Hamas dans cette situation?
Il s'agit d'un phénomène colonial, c'est-à-dire qu’il y a un colonisateur et un colonisé.
Vous avez un agresseur et un agressé. Vous avez un régime sioniste qui, avec nos armes et notre soutien, massacre, depuis des années, bien avant le 7 octobre, des femmes et des enfants, leur rendant la vie impossible. Les autres ont-ils le droit de résister, oui ou non ? Et quand ils résistent et qu'ils portent des coups à l'agresseur, doit-on le leur reprocher ?
Résister, oui, mais à quel prix?
Je ne suis pas d'accord. Écoutez ce que disent les Palestiniens et les Palestiniennes. Ils souffrent terriblement. Ils ne veulent pas reculer. Ils sont fiers de ce qui a été fait et souhaitent rester. Ils savent que s’ils partent, ils ne reviendront pas.
Comme je l'ai dit, le colonisateur a utilisé une violence incroyable depuis 1948, et elle s'est renforcée en 2023 avec des agressions contre Gaza et la Cisjordanie, où l'on comptait près de 700 à 800 morts à cause d’Israël. Les sondages dans ces territoires montrent un soutien très large aux actions du Hamas. Ils ne veulent pas d'une deuxième Nakba. Ils se disent : on nous faisait crever, et on ne va pas crever à genoux. Peut-être qu'on va mourir, mais debout. Le rapport de force a changé.
«Ils ont remis la question de la Palestine sur la table, alors que plus personne n’en parlait»
En 2023, le soutien à la colonisation était sans faille de la part des États-Unis, de l'Europe, et de la France. On manœuvrait pour ce qu'on appelle la « normalisation » entre les monarchies arabes et Israël. La normalisation, cela signifie la capitulation, le sacrifice des Palestiniens. Le 7 octobre a tout changé. Plus aucune monarchie n’ose parler de normalisation avec Israël, du moins officiellement. En coulisses, elles continuent à le faire, mais c’est hors de l’agenda.
Je pense que, dans la situation où ils étaient, ils n’avaient pas le choix. Ils ont remis la question de la Palestine sur la table, alors que plus personne n’en parlait. Ils ont forcé les médias à en parler – d’une manière lamentable, malheureusement – et ils ont permis une solidarité internationale très forte. Regardez ce que l'Afrique du Sud a fait : déposer plainte pour génocide, obtenir des jugements. Toute une série d'autres pays se sont également mobilisés.
Avant, les officiers sionistes voyageaient dans le monde avec une arrogance dont j'ai pu être le témoin. Ils allaient se reposer de leurs exactions dans de beaux endroits touristiques, ce qu’ils n’osent plus faire aujourd’hui. La peur a changé de camp.
Dans votre livre, vous semblez invalider l'hypothèse selon laquelle Israël aurait laissé faire l'attaque du 7 octobre pour pouvoir justifier ses actions à l’encontre des Palestiniens. Pourquoi?
Je n’ai pas lu mon livre de la même façon que vous ! (rires) Je pense que nous sommes plus nuancés. Plusieurs facteurs expliquent le 7 octobre et, pour le moment, en l’absence de grandes révélations à ce sujet, on ne peut pas trancher. Voici ces différents facteurs :
D'une part, l'arrogance traditionnelle du colonisateur : il s'habitue à faire souffrir, à humilier, à mépriser, à maltraiter les colonisés, et finit par se convaincre qu'il est très fort, qu'il est très malin et que les esclaves ne réagiront jamais. Deuxièmement, le Hamas a déclaré qu’il avait bien joué la comédie pendant deux ans, afin de donner à Israël l'impression qu’ils allaient se concentrer sur la gestion de Gaza et qu'ils avaient renoncé à la résistance armée.
Troisièmement, cette arrogance s’est manifestée dans le fait que Netanyahu a fait installer une grande clôture tout autour de Gaza – ce qui a sûrement rapporté beaucoup de bénéfices à quelques entreprises – en pensant être protégé. Or, faire confiance à la technologie face à un peuple opprimé et agressé n’est jamais une bonne idée, car qui dit technologie dit aussi moyen de la contourner.