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Article rédigé par :

Amèle Debey

«Israël est le plus grand fabricant d'antisémitisme et de terrorisme»

Dernière mise à jour : 14 avr.

Michel Collon est un journaliste et essayiste belge, fondateur du média Investig’Action. Spécialisé dans les guerres de terrain comme d’information depuis trente ans, celui qui revendique un journalisme engagé ce que certains considèrent comme un euphémisme vient de sortir un livre-enquête sur l’attaque du 7 octobre en Israël. L’occasion d’aborder la propagande de guerre, les «médiamensonges» et le système d'intérêts qui a précipité les conflits armés d'hier et d'aujourd'hui.

Michel Collon
© DR

Amèle Debey, pour L’Impertinent: Un accord de cessez-le-feu a enfin été trouvé à Gaza. Qu’en pensez-vous?

 

Je le vois comme une victoire pour les Palestiniens, pour la cause des peuples, mais il faut rester très vigilant. Netanyahu s'était officiellement donné comme objectif d'éliminer le Hamas. En réalité, il voulait surtout tourner la population palestinienne contre le mouvement. Et, si possible, se débarrasser des Palestiniens en occupant tout Gaza. Sur ce plan, il a complètement échoué et n'a pas éliminé le Hamas. Il lui a porté des coups très durs, il a tué des dirigeants, mais le Hamas est toujours actif.


On en parle tout le temps, mais il ne faut pas oublier que d'autres milices ont participé aux opérations du 7 octobre et qu'elles continuent à les soutenir, à appeler à la résistance. Les citoyens palestiniens ne se sont absolument pas tournés contre la résistance, ils l'ont soutenue. Si Israël avait trouvé des personnalités du mouvement de Gaza qui avaient critiqué le Hamas, ils les auraient montrées jour et nuit sur toutes les chaînes de télévision.


On le voit aussi dans la presse israélienne: des coups durs ont été portés, beaucoup d'officiers et de soldats ont été tués. Il y a une grande lassitude, voire carrément des dépressions, des rejets plus nombreux que ce qu'on dit parmi les soldats, hormis les militaires les plus engagés. Je sais qu'il y en a beaucoup qui veulent continuer, qui, quelque part, prennent un plaisir sadique à torturer et assassiner des Palestiniens. Mais l'armée est essoufflée. Au Liban aussi.


«Il faudra surveiller la reprise d'une offensive d'une manière ou d'une autre»

 

De plus, le fait que cette guerre dure si longtemps a provoqué un exode important de citoyens d’Israël, ainsi que de gros problèmes économiques et un grand déficit. Selon moi, Netanyahu était vraiment acculé et n'avait d'autre choix que de faire une trêve. Bien que, dans son idée, ce soit reculer pour mieux sauter et qu’il veuille repartir à l'attaque. Il l’a dit à ses troupes. Il faudra donc être très vigilant.


Enfin, je n’ai pas confiance en Trump. Je crois que c'est un type malin qui a compris que la méthode employée n'aboutissait pas. Mais, sur le fond, je pense qu’il est d'accord avec Netanyahu : il veut se débarrasser des Palestiniens, il veut éliminer la résistance et il faudra donc surveiller la reprise d’une offensive d'une manière ou d'une autre.

 

Pensez-vous que Trump a pu avoir une quelconque influence sur cette décision? Et, plus généralement, quel regard portez-vous sur sa réélection, sachant qu’il a eu un comportement moins va-t-en-guerre que ses prédécesseurs lors de son premier mandat?


Sur la question de Trump, c'est un fait qu’il n'a pas déclenché une grande guerre comme tous ses prédécesseurs démocrates. Il a commis des crimes, bien sûr. Il a orchestré des assassinats, tenté des coups d'État et des changements de régime, mais il n'a pas initié une grande guerre comme Obama, Biden ou encore Bush. D’ailleurs, c'est Chomsky qui disait: «Si on appliquait les lois de Nuremberg qui, en 1945, ont jugé les criminels nazis, tous les présidents des États-Unis auraient été pendus.» Il n’y a pas un président des États-Unis qui n'ait pas commis de crimes gravissimes, de crimes de guerre, ou de crimes contre l'humanité.


Trump est malin, contrairement à ce qu’on dit. Il voit bien que Biden et Hillary Clinton – qui était l'instigatrice originelle de la politique américaine sous Obama – ont tous échoué dans leurs objectifs. Les États-Unis sont en déclin sur le plan économique, et il faut quand même une économie solide pour soutenir des guerres. Ils sont en déclin sur le plan militaire, incapables de produire autant d'armes qu'il le faudrait, et leur industrie n'a pas suivi la demande en Ukraine. Ils sont également en déclin sur le plan politique, avec de grandes divisions entre les différents camps, ainsi que sur le plan moral, avec un pessimisme et une désillusion énormes dans la population, pour toutes sortes de raisons.


Trump est plutôt de l'école Kissinger. Selon ce dernier, on ne doit pas attaquer tous nos grands ennemis en même temps. Il faut identifier le plus dangereux et essayer de rallier ou neutraliser les autres. Ils l’avaient fait sous Nixon, en s’alliant temporairement avec la Chine contre l'Union soviétique. Ce qui, de leur point de vue, n’avait pas trop mal fonctionné.

«Je ne pense pas que le président des États-Unis soit aussi puissant qu'on le dit»

 

Désormais, c’est un peu l'inverse : Kissinger a dit que l’on pouvait s’accommoder de la Russie, car après tout, elle est bien capitaliste. Poutine voulait même adhérer à l’OTAN. Ils se sont dit qu’en mettant la Russie de leur côté, ils pouvaient se concentrer sur le plus dangereux, c’est-à-dire la Chine, sans forcément penser à une guerre classique, qui ne serait pas très raisonnable. Mais un conflit indirect, des guerres par procuration ou une bataille économique restaient envisageables.


Trump s’inscrit plutôt dans cette logique. Par intérêt, et non par morale, il pourrait chercher un accord avec la Russie. Nous verrons bien. Cela dit, je ne pense pas que le président des États-Unis soit aussi puissant qu'on le prétend. Il dépend des multinationales et de leur budget autant que de leur influence. Mais aussi de toute une administration et des services secrets qui exercent un véritable pouvoir. Il tentera peut-être de les contrôler, de faire le ménage. Mais réussira-t-il, ou sera-t-il, comme lors de son premier mandat, progressivement mis au pas?


Quant à savoir ce qui va arriver, je ne réponds jamais à ce genre de question, car trop de facteurs nous échappent. L'avenir sera ce que nous en ferons. Si la résistance des peuples est forte, si la bataille de l'information et de la contre-information est efficace, alors nous aurons des moyens de pression qui peuvent faire échouer leurs stratégies. C’est pour moi la question la plus importante.

 

Pour revenir à l’attaque du 7 octobre, à propos de laquelle vous avez écrit un livre, on parle de génocide à Gaza perpétré par l’armée israélienne contre les Palestiniens, mais n’omet-on pas la responsabilité du Hamas dans cette situation?

 

Il s'agit d'un phénomène colonial, c'est-à-dire qu’il y a un colonisateur et un colonisé.

Vous avez un agresseur et un agressé. Vous avez un régime sioniste qui, avec nos armes et notre soutien, massacre, depuis des années, bien avant le 7 octobre, des femmes et des enfants, leur rendant la vie impossible. Les autres ont-ils le droit de résister, oui ou non ? Et quand ils résistent et qu'ils portent des coups à l'agresseur, doit-on le leur reprocher ?

 

Résister, oui, mais à quel prix?

 

Je ne suis pas d'accord. Écoutez ce que disent les Palestiniens et les Palestiniennes. Ils souffrent terriblement. Ils ne veulent pas reculer. Ils sont fiers de ce qui a été fait et souhaitent rester. Ils savent que s’ils partent, ils ne reviendront pas.


Comme je l'ai dit, le colonisateur a utilisé une violence incroyable depuis 1948, et elle s'est renforcée en 2023 avec des agressions contre Gaza et la Cisjordanie, où l'on comptait près de 700 à 800 morts à cause d’Israël. Les sondages dans ces territoires montrent un soutien très large aux actions du Hamas. Ils ne veulent pas d'une deuxième Nakba. Ils se disent : on nous faisait crever, et on ne va pas crever à genoux. Peut-être qu'on va mourir, mais debout. Le rapport de force a changé.


«Ils ont remis la question de la Palestine sur la table, alors que plus personne n’en parlait»

 

En 2023, le soutien à la colonisation était sans faille de la part des États-Unis, de l'Europe, et de la France. On manœuvrait pour ce qu'on appelle la « normalisation » entre les monarchies arabes et Israël. La normalisation, cela signifie la capitulation, le sacrifice des Palestiniens. Le 7 octobre a tout changé. Plus aucune monarchie n’ose parler de normalisation avec Israël, du moins officiellement. En coulisses, elles continuent à le faire, mais c’est hors de l’agenda.


Je pense que, dans la situation où ils étaient, ils n’avaient pas le choix. Ils ont remis la question de la Palestine sur la table, alors que plus personne n’en parlait. Ils ont forcé les médias à en parler – d’une manière lamentable, malheureusement – et ils ont permis une solidarité internationale très forte. Regardez ce que l'Afrique du Sud a fait : déposer plainte pour génocide, obtenir des jugements. Toute une série d'autres pays se sont également mobilisés.


Avant, les officiers sionistes voyageaient dans le monde avec une arrogance dont j'ai pu être le témoin. Ils allaient se reposer de leurs exactions dans de beaux endroits touristiques, ce qu’ils n’osent plus faire aujourd’hui. La peur a changé de camp.

 

Dans votre livre, vous semblez invalider l'hypothèse selon laquelle Israël aurait laissé faire l'attaque du 7 octobre pour pouvoir justifier ses actions à l’encontre des Palestiniens. Pourquoi?

 

Je n’ai pas lu mon livre de la même façon que vous ! (rires) Je pense que nous sommes plus nuancés. Plusieurs facteurs expliquent le 7 octobre et, pour le moment, en l’absence de grandes révélations à ce sujet, on ne peut pas trancher. Voici ces différents facteurs :

D'une part, l'arrogance traditionnelle du colonisateur : il s'habitue à faire souffrir, à humilier, à mépriser, à maltraiter les colonisés, et finit par se convaincre qu'il est très fort, qu'il est très malin et que les esclaves ne réagiront jamais. Deuxièmement, le Hamas a déclaré qu’il avait bien joué la comédie pendant deux ans, afin de donner à Israël l'impression qu’ils allaient se concentrer sur la gestion de Gaza et qu'ils avaient renoncé à la résistance armée.


Troisièmement, cette arrogance s’est manifestée dans le fait que Netanyahu a fait installer une grande clôture tout autour de Gaza – ce qui a sûrement rapporté beaucoup de bénéfices à quelques entreprises – en pensant être protégé. Or, faire confiance à la technologie face à un peuple opprimé et agressé n’est jamais une bonne idée, car qui dit technologie dit aussi moyen de la contourner.


Cependant, il reste des questions troublantes : l'armée et les services secrets se sont réunis deux fois en visioconférence dans la nuit du 6 au 7 octobre, à minuit et à trois heures du matin. Il y a eu des alertes, notamment de la part de soldates chargées de surveiller Gaza, qui ont remonté des actions suspectes. L’alerte a été légèrement relevée, mais pas de manière significative. On n’a même pas averti les organisateurs du festival qu’ils devaient vite plier bagage et partir. C’est l’un des points qui met les familles en colère : le festival se tenait à quelques kilomètres de la principale base militaire qui encercle Gaza et représentait évidemment un grand risque.


Il y a des discussions en Israël pour savoir si des responsables de l'armée étaient au courant et n'ont pas transmis l’information à Netanyahu. C'est une question ouverte. On peut s’attendre à des révélations dans les prochaines années, et certainement lorsque Netanyahu ne sera plus au pouvoir. Pour moi, la question reste ouverte.

 

D'autant qu’Israël refuse des commissions d'enquêtes internationales également, d'après ce que vous dites dans votre livre? Il est donc difficile de faire la lumière là-dessus de façon indépendante.

 

Oui, Israël refuse. Certains disent que Netanyahou avait besoin de cela pour sauver sa peau, puisque plusieurs procédures étaient en cours contre lui. S’attendait-il à une attaque d'une telle ampleur? Je rappelle que l'armée israélienne a été neutralisée et mise en panique pendant un long moment. Ou s’attendait-il à une attaque plus limitée? Ou n’a-t-il tout simplement pas été informé, pour diverses raisons? Nous n’avons pas la réponse.

 

En discutant avec certains de mes amis de confession juive, juste après la l'attaque du 7 octobre, on me disait que cette hypothèse était inenvisageable parce qu’Israël ne prendrait jamais le risque de tuer ses propres civils. Mais, dans votre livre, vous parlez d’un élément intéressant qui s’appelle la doctrine Hannibal. Pourriez-vous nous dire de quoi il s’agit?

 

Certainement. Cette directive a été élaborée dans les années 1980 par trois officiers supérieurs israéliens qui se sont demandé ce qu’il fallait faire lorsqu’un soldat était pris en otage. Cela arrivait de temps en temps, au Liban ou ailleurs. À ce moment-là, ce qui se passait traditionnellement après un certain temps, c'était l’organisation de négociations pour échanger ce prisonnier contre des détenus palestiniens. Il faut savoir – parce que les médias en parlent peu – que depuis très longtemps, Israël détient ce que j'appelle des otages : des hommes, des femmes et des enfants emprisonnés, souvent sans jugement, sans même une inculpation, uniquement par mesure d'intimidation, pour décourager et briser la résistance. Leur nombre était de 8000 au 7 octobre.


La doctrine Hannibal a résolu le problème de la manière suivante : on tente de libérer le soldat et, si ce n’est pas possible, on tire dans le tas et on tue tout le monde afin de ne plus être contraint à un échange que nous ne voulons pas. Cette doctrine a d'abord été pensée pour traiter le cas des soldats pris en otage, mais le 7 octobre, elle a clairement été appliquée aussi aux civils.


Des hélicoptères ont tiré des missiles sur des voitures qui retournaient à Gaza, dont beaucoup contenaient des combattants et des otages. Dans les kibboutz, des chars ont tiré sur des maisons où se trouvaient des otages. Clairement, c'était la même logique. Nous avons d'ailleurs, dans le livre, toute une série de témoignages de civils israéliens qui ont survécu à l’attaque et ont déclaré que c’étaient bien les chars israéliens qui avaient tué leur mari et leurs amis.


«Comment pourrait-on défendre un régime qui est prêt à sacrifier sa propre population?»

 

On peut se demander pourquoi les médias français n'ont jamais parlé de cela, à l’exception de Libération une fois, dans mon souvenir. Et pourquoi cela n’a pas été expliqué. On nous a dit: regardez le Hamas, il fait preuve d'une grande violence. On nous a montré des maisons avec des trous dans les murs, complètement incendiées et explosées, comme témoins de la violence du Hamas.


On prend les gens pour des idiots, car il est évident, en regardant les vidéos, que les soldats du Hamas sont munis de mitraillettes légères. Il est difficile de faire un trou dans une maison avec une simple mitraillette.


Le coauteur de mon livre, Jean-Pierre Bouché, s'est spécialisé dans ce domaine. Il a analysé les deux grands sites israéliens qui ont fait un inventaire des victimes en reconstituant les noms, l'âge, le métier, etc. Où elles ont été tuées, par qui, comment, etc. Et, sur la base de l'enquête que nous avons menée sur ce qui s'est passé dans les kibboutz et sur les routes, nous affirmons qu’il y a probablement jusqu'à une centaine de civils israéliens tués par leur propre armée. Cela signifie qu'ils ont commis un crime de guerre contre la population qu'ils sont censés défendre.


Je pense que l’on devrait discuter avec les amis juifs que vous avez mentionnés : comment peut-on défendre un régime qui est prêt à sacrifier sa propre population pour continuer à maintenir Israël dans une position de domination coloniale?

 

Que sait-on de la position du peuple israélien qui doit être partagée, j'imagine, entre la peur pour les otages et la révolte contre son propre gouvernement? Et que reste-t-il de la rébellion qui était en cours avant le 7 octobre contre Netanyahu?

 

Je n'y vis pas, mais je ne suis pas persuadé que le peuple israélien soit, pour l'instant, réellement divisé entre ces différentes opinions. On constate malheureusement qu'il existe un soutien assez large – bien que non total – à la politique très agressive de Netanyahou et aux crimes qu'il commet.


Je crois que cela s’explique par l’éducation profondément biaisée qui est donnée. On m'a montré des manuels d'histoire, et cela a également été évoqué par des intellectuels importants sur place : dès l’âge de trois ans, on enseigne aux enfants que les Arabes veulent recommencer l’Holocauste. Que tous les peuples qui les entourent cherchent à tuer un maximum de juifs et à les chasser. Cela provoque une peur extrême et une déshumanisation totale. Les Palestiniens ne sont pas perçus comme des individus normaux, des êtres humains qui souffrent, mais uniquement comme une menace existentielle qu'il faut impérativement éliminer.

 

Il semblerait que ce soit pareil de l’autre côté, non? Les Palestiniens ne sont-ils pas élevés dans la haine d’Israël?

 

Je ne vais pas mettre sur le même pied l'agresseur et l'agressé. Les Palestiniens sont élevés dans l'idée que l'occupation est illégale et qu'il faut y résister. Mais ils ont raison! Si j’étais Palestinien, c’est exactement ce que j’enseignerais à mes enfants.


Il faut bien comprendre que nous ne sommes pas ici face à deux nations en conflit ou à deux peuples en désaccord. Nous sommes dans une situation d’oppression et d’agression. De la même manière qu’on ne pouvait pas mettre sur un pied d’égalité le régime nazi et ses victimes en affirmant qu'il ne fallait pas encourager la haine des deux côtés, il est absurde d’appliquer cette logique ici.


Détester l'occupation et être prêt à résister et à venger les morts, c'est une réaction légitime lorsqu’on est un peuple colonisé et agressé. Ça, pour moi, c'est fondamental.

 

Mais si on remonte à 1948, on voit que cette situation est plutôt de la faute de l’Occident, non? Israël a pris cette terre parce qu’on la lui a donnée.

 

Les sionistes l'ont ardemment réclamée. N’oublions pas qu'ils ont commis un grand nombre d’attentats terroristes dans les années 1930 et 1940. Ils ont tué des occupants britanniques, ils ont tué des Arabes. Ils ont aussi assassiné de nombreux juifs qui vivaient en Palestine avant eux et qui s'opposaient à la création d'un État sioniste colonial.


Oui, vous avez raison, je suis tout à fait d’accord pour dire que c'est l'Occident qui est responsable. Mais cela ne blanchit en rien Israël et les sionistes, car c'est bien eux qui ont fait cette demande et qui étaient prêts à jouer ce rôle.


«Israël est le plus grand fabricant d'antisémitisme et de terrorisme»

 

Ce projet est né à l’origine dans l’esprit des stratèges de l'Empire britannique, qui ont fait de la Palestine un élément central de leur politique coloniale. Pourquoi? Il faut rappeler que la Grande-Bretagne vivait du commerce de ses colonies, particulièrement en Inde. Cela lui rapportait encore plus que l’exploitation, pourtant féroce, des ouvriers dans ses usines, décrite par Karl Marx à l'époque.


L’Inde lui rapportait énormément. Or, la route commerciale vers l’Inde passait par l'Égypte, la Palestine et la Méditerranée. Cette situation s’est encore renforcée avec la construction du canal de Suez. La Grande-Bretagne, tout comme la France, ne pouvant déployer des troupes dans tous les recoins du globe, s’est appuyée sur des agents locaux: des sionistes juifs qui se proposaient de jouer le rôle de police régionale. Une option particulièrement avantageuse sur le plan économique.


Ensuite, les États-Unis ont pris le relais de la Grande-Bretagne et de la France.

 

Israël n'est-il pas en train de créer des terroristes par ses actions et, ce faisant, n’est-il pas en train de légitimer l'emprisonnement des Palestiniens et le danger qu'ils représentent?

 

Dans un livre intitulé Je suis ou je ne suis pas Charlie?, que j'ai écrit après l'attentat de 2015, j'ai analysé plusieurs points, dont la politique israélienne. J’y écrivais qu'Israël est finalement le plus grand fabricant d'antisémitisme et de terrorisme, parce qu’il humilie, méprise, détruit, ne laisse aucune perspective et refuse de négocier. Pour certains, c’est donc la seule voie.


Il faut distinguer ce qui relève véritablement du terrorisme (Al-Qaïda, Daech, les attaques contre des civils, comme cela s'est produit en France, en Belgique, en Europe) et la résistance palestinienne à l'occupation. Pour moi, cela n’a rien à voir avec du terrorisme, c'est une résistance légitime.


Mais effectivement, avec tous les crimes qu'Israël commet en Palestine, il se prépare évidemment à un retour de boomerang terrible. Mettez-vous un instant à la place d’un enfant palestinien qui voit toute sa famille se faire tuer sous ses yeux. On l’humilie, on détruit ses écoles, ses mosquées, tout espoir d’une vie normale. Que fera-t-il en grandissant? Évidemment, il voudra se venger et reproduire ce qu'on lui a fait subir.

 

Il fera exactement ce pourquoi on l’opprime à la base. C’est donc un cercle vicieux...

 

L'attitude des dirigeants sionistes d’Israël est absurde. Mais leur logique est compréhensible : c'est leur mission, leur tâche. Cela leur assure aussi une vie de privilégiés, car il ne faut pas oublier qu’Israël est un pays extrêmement corrompu. Certains, grâce à leur position, se remplissent les poches. S'ils ne faisaient pas ce qu’ils font, les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne les laisseraient tomber. Ce sont des employés locaux.


Nos régimes, nos gouvernements, nos multinationales sont aussi les colonisateurs des Palestiniens. Nous sommes nous-mêmes des colonisateurs, simplement, nous restons en coulisses, nous nous cachons.

 

On vous reproche d’avoir une posture militante sur ce sujet. On me fait les mêmes remontrances vis-à-vis du Covid. Comment reste-t-on crédible en tant que journaliste malgré cela?

 

Vous devriez demander aux personnes qui vous accusent d’être trop militante si le journalisme neutre existe. Dans un monde où 0,0001% de la population accumule des milliards tandis que les autres peinent de plus en plus à vivre; dans un monde où l'on utilise le racisme pour diviser les peuples et mieux les exploiter; dans un monde où l'on détruit la planète en poussant des millions de personnes à une immigration forcée et tragique… dans ce monde-là, qui est neutre?


«Je mets au défi n'importe quel journaliste du système de me démontrer sa neutralité»

 

Je mets au défi n'importe quel journaliste du système de me prouver sa neutralité. Même un journaliste people n’est pas neutre. Il cache la réalité fondamentale qui intéresse la majorité des gens en faisant diversion. Ce n’est pas neutre.


Et quand vous traitez ces sujets, à qui donnez-vous la parole? Lorsque vous parlez de la guerre, donnez-vous la parole uniquement à votre gouvernement et à votre armée, ou aussi à l'autre camp ? Deux possibilités: soit le journaliste qui affirme n’avoir aucune opinion ment, soit il est ignorant. Dans les deux cas, il est dangereux.

 

Vous faites la distinction entre neutralité et objectivité, c’est bien cela?

 

Exactement, ce n'est pas du tout la même chose. Il est évident que tout journaliste a un sentiment, une opinion sur ce qu'il décrit, sur les situations dont il témoigne. Tout le monde a une opinion, autant l’assumer. Cela n’empêche pas que, lorsqu’on est journaliste, on ne doit pas sélectionner uniquement ce qui va dans notre sens et écarter le reste.


Même en adoptant un point de vue engagé – ce que je revendique –, nous avons tout intérêt à analyser la situation telle qu’elle est. Il faut aussi reconnaître les points forts des uns et des autres, ainsi que les difficultés rencontrées. Je pense donc que l'objectivité ne signifie pas la neutralité. Être objectif, c'est montrer les faits tels qu’ils sont, sans les déformer, sans retenir uniquement ce qui nous arrange, sans masquer ce qui dérange. C'est également en analyser les causes, ne pas se limiter aux apparences, mais chercher à comprendre pourquoi ces phénomènes se produisent.

 

D'où vous vient votre intérêt pour la cause palestinienne?

 

Cela fait plus de trente ans que j'analyse les guerres et la guerre de l'information qui les accompagne. Tout a commencé avec la première guerre contre l’Irak en 1990-1991. Puis cela a continué avec les deux guerres contre la Yougoslavie. Ensuite, j’ai étudié la Libye, l'Ukraine… c'est mon domaine.


Il existe aussi des guerres non déclarées, où l’intervention des grandes puissances est moins visible, mais bien réelle en coulisses. Je pense que c'est fondamental: j’ai des enfants, des petits-enfants. Quel monde vais-je leur laisser?


Un monde où la guerre devient un mode de gouvernement? Où elle entraîne des crimes et des souffrances, où elle alimente le terrorisme? Un monde où tout cela est déformé par ce que j'appelle l'industrie du mensonge, avec de grandes entreprises qui investissent massivement dans la propagande de guerre?


Ou bien un monde où l'humanité coopère pour affronter les immenses défis qui nous attendent : la pauvreté, l’immigration forcée, le racisme, la destruction de l’environnement, la santé… L'humanité doit coopérer pour répondre à ces enjeux. Voilà une motivation suffisante pour ne jamais prendre sa retraite.


Doutez-vous parfois de vos conclusions, notamment sur ce sujet?

 

Douter est essentiel. Remettre en question les récits que l'on entend, poser des questions, se remettre en question soi-même aussi. Se demander si l'on n’a pas laissé nos sympathies ou nos impressions influencer notre jugement. Sinon, on devient dogmatique, et cela nous empêche d’exercer notre travail correctement.

 

La façon dont vous décrivez le conflit israélo-palestinien depuis 1948 est très manichéenne: il y aurait d’un côté les gentils, de l’autre les méchants. N’est-ce pas plus complexe que cela?

 

Ce n’est pas du tout compliqué. Ceux qui prétendent que ces problèmes sont complexes sont justement ceux qui ont intérêt à ce qu'on ne comprenne rien. Selon moi, aucune guerre n'est compliquée. Il suffit d’analyser où se situent les intérêts économiques, d’identifier quelles forces sociales poursuivent quels objectifs.


Dans de nombreux cas, l’enjeu est le pillage des ressources naturelles: pétrole, gaz, uranium, minerais stratégiques… La biodiversité et l’eau deviennent aussi des enjeux majeurs. Il y a également les considérations géostratégiques, pour empêcher certaines puissances de prendre une position dominante dans le commerce international.


Les guerres, en réalité, sont simples à comprendre.


«Les guerres sont toujours pour le fric, jamais pour des principes et des valeurs»

 

Il y a un phénomène que l'on a déjà commencé à analyser, mais qu’il faudrait approfondir davantage: comment les grands médias présentent-ils ces guerres? D’abord, comme un spectacle. Un conflit éclate, on s'y intéresse, on braque les projecteurs dessus alors qu’on n’en parlait pas auparavant. Pourtant, tous ces conflits ont été préparés en amont. Les tensions couvaient, des forces y travaillaient, on pouvait les anticiper. J’avais annoncé la guerre en Ukraine et la guerre en Afghanistan quelques années avant, en expliquant que cela allait exploser à tel ou tel endroit, pour telles et telles raisons. Il ne s’agit pas de se prendre pour Nostradamus, c’est une simple question de logique.


Ce n'est pas compliqué: il y a des intérêts fondamentaux en jeu. Les guerres sont toujours motivées par l’argent, jamais par des principes ou des valeurs. Ces derniers ne sont que des histoires racontées pour endormir les gens, mais, en réalité, il s'agit toujours de contrôler des richesses et des positions stratégiques.

 

Ce conflit est devenu majoritairement idéologique en Occident. Celui-ci se range-t-il du côté d’Israël, qu'il utilise comme bouclier pour occulter sa responsabilité dans cette affaire? Ou est-ce plus économique qu'idéologique, étant donné que la quasi-totalité des entreprises du CAC 40 font affaire en Israël?

 

Toutes les guerres sont économiques, je le maintiens. Ce sont des guerres pour le profit, pour acquérir un avantage décisif face aux adversaires et aux concurrents. Même les États-Unis sont en guerre contre l’Europe. Ensuite, on habille cela d’une idéologie. Si vous êtes président des États-Unis et que vous annoncez: «Je vais envoyer mes soldats là-bas pour renforcer les profits d'Exxon», personne ne l’acceptera. Il faut donc vendre la guerre, et ce n’est pas moi qui le dis, mais plusieurs experts en marketing américains.


Tout a commencé avec Edward Bernays dans les années 1920, 1930 et 1940. Puis d'autres, comme Maxwell et Lassalle, ont poursuivi cette réflexion. Ils ont expliqué pourquoi et comment on vend une guerre au public. Il existe de véritables techniques pour cela.

 

Vous avez dit dans une interview que toutes les guerres étaient précédées de ce que vous appelez un «médiamensonge». Lequel, selon vous, a précédé la guerre en Ukraine?

 

C’est Maïdan, en 2014. À ce moment-là, on nous dit que le président Ianoukovytch, qui avait refusé d'adhérer à l'Union européenne et à l’OTAN, souhaitait garder son pays dans une position équilibrée, à la fois tournée vers la Russie et l'Occident. Il est renversé. On nous explique qu’il a fait tirer sur des manifestants et causé des dizaines de victimes sur la place Maïdan à Kiev, en 2014.


On nous présente donc un soulèvement populaire: il aurait tiré sur la foule, il est destitué. Puis, un nouveau régime est installé avec des oligarques corrompus, contrôlés par les États-Unis. On place des éléments d’extrême droite à des postes stratégiques, on entraîne des milices néonazies et on lance des attaques contre la population de l’est du pays, dans le Donbass. On bombarde et on tue des femmes et des enfants.


«Il n’y a pas de journalisme d'enquête et d'investigation réel sur les guerres»

 

En réalité, comme je l’ai montré dans un autre livre intitulé Ukraine, la guerre des images, il s’agit d’un coup d'État orchestré par les États-Unis. Cela a d’ailleurs été confirmé en 2015 par George Friedman, directeur de Stratfor, l’un des principaux think tanks américains: l’objectif était d’affaiblir la Russie, et cela a bien fonctionné. Cet élément est totalement absent de nos médias.

On nous présente Poutine comme un tyran voulant envahir l'Ukraine. Or, ce que l’on nous cache, c’est que les dirigeants que nous avons placés à la tête du pays – d’abord Porochenko, puis Zelensky – bombardent quasi quotidiennement ces régions et tuent des civils.

 

Quels sont les problèmes actuels du journalisme mainstream selon vous?

 

Peut-on encore parler de journalisme? La question mérite d’être posée. Pour moi, il s'agit de propagande. Je pense qu'il n’existe plus de véritable journalisme d'enquête et d'investigation, du moins pas sur les sujets majeurs. Sur les guerres, je n’en vois pas. Donnez-moi un exemple de médias qui ont mené de réelles investigations.

 

J’allais évoquer les Panama Papers, mais un article du site alémanique Infosperber a récemment démontré que les Etats-Unis ont été largement épargnés par ces révélations…

 

Il ne faut pas confondre l’investigation avec la simple réception de révélations. Dans la plupart des cas, ces informations sont fournies par des sources bien précises et servent des intérêts stratégiques. Il ne vous aura pas échappé que, dans les Panama Papers et d'autres affaires similaires, on ne dévoile jamais les noms des grands milliardaires américains. Seuls ceux que l’on veut désigner comme les «méchants» sont exposés, ou bien des figures secondaires, des personnalités en fin de carrière, etc.


Ces enquêtes sont notamment financées par un homme dont on parle trop peu à mon sens: George Soros. Il est l’un des principaux idéologues et corrupteurs aux États-Unis. Avec son fils – car il est aujourd’hui âgé –, il a créé une fondation qui finance certaines initiatives et tente d’influencer l’opinion. Il a toujours soutenu les guerres américaines et les changements de régime. C’est un anticommuniste fanatique.

 

Il semblerait que la crise Covid ait marqué un tournant dans la confiance des gens envers les médias, non? Ils se sont rendu compte qu’on pouvait leur raconter n’importe quoi et ont pris conscience de l’influence des gouvernements sur l’information, notamment par le biais des réseaux sociaux. C’est d’ailleurs ce qui aurait précipité le tournant républicain d’Elon Musk, lorsqu’il a découvert l’ampleur des Twitter files.

 

«Le public», ça n’existe pas en tant que bloc homogène. Il y a plusieurs catégories de personnes, et la société est complexe. Il faut analyser les différentes tendances qui s’en dégagent.


Effectivement, une plus grande partie de la population se méfie désormais des médias. Tant mieux. Et oui, le Covid a joué un rôle majeur là-dedans. D’abord, parce qu’il n’y a pas eu de véritable débat scientifique, ni d’échanges transparents sur la gravité du virus, les traitements ou encore la préparation des hôpitaux face aux épidémies.


Je suis convaincu que nous connaîtrons d’autres pandémies du même type. Parce qu'on détruit les forêts, parce qu'on rapproche des animaux des populations humaines, parce que la multiplication des voyages accélère la propagation des microbes.

 
 

En France, on a détruit des lits d'hôpitaux et on en a vu les conséquences. Pareil en Italie et en Belgique. Parce qu’il n’y a pas de politique de santé véritablement au service de la population. Elle est d'abord au service de Big Pharma et des bénéfices du système industriel de la santé.

 

La méfiance s’est installée parce que les gens se sont rendu compte, surtout en France,         qu'on leur a imposé des choses absurdes. Il fallait prendre des précautions, mais il y avait moyen de le faire beaucoup plus intelligemment et surtout avec la participation de la population. Sans parler du vaccin, autour duquel il y a eu une arnaque.


«Si les médias avaient fait leur travail, ces guerres auraient été évitées»

 

Il est très positif que les gens aient pris conscience qu'on leur raconte des histoires. Ce qui me peine, c’est que cette méfiance vis-à-vis des médias ne s’applique pas au sujet de l’Ukraine ou du 7 octobre. C’est cela qui me fait mal. Car si les médias avaient fait leur travail, ces guerres auraient pu être évitées et ces morts n’auraient pas été sacrifiées.


Je n'ai plus aucun espoir dans le système médiatique. Il est contrôlé par des forces économiques, et les journalistes qui voudraient exercer leur métier correctement sont empêchés de le faire. On les cantonne aux rubriques secondaires ou on les marginalise. Il y a de nombreux exemples. C’est pour cela que j'insiste sur ce que j'appelle la bataille de l'information. Désormais, informer est devenu le travail des citoyens.


Il faut soutenir les journalistes indépendants, mais nos moyens financiers sont limités. Il est donc vital de soutenir les médias alternatifs, sous peine de les voir disparaître. Chaque citoyen qui en a la possibilité doit aussi jouer un rôle actif dans la diffusion d’une information libre et critique.


«Il faut changer le rapport de force entre le mensonge et la vérité»

 

Cela peut se traduire par relayer, débattre et même produire des informations. Vous êtes témoin d'une situation, vous êtes en contact avec un peuple opprimé? Mettez cela par écrit, en vidéo ou en podcast. Apprenez quelques techniques pour le faire. J’ai rédigé un manuel de journalisme destiné aux personnes qui n'avaient jamais envisagé de le devenir. Il est gratuit.


C'est un peu la mission que s'est donnée Investig’Action, le deuxième mot étant à prendre au sérieux : nous comptons sur vous pour produire et diffuser de l'information, afin de changer le rapport de force entre le mensonge et la vérité.

 

Quelque chose m'a particulièrement choquée dans votre livre, à propos de la propagande médiatique de guerre: cette couverture du Times, dotée du titre «Israël montre des bébés mutilés», illustrée par une photo d’enfants palestiniens. Ce qu’on apprend que si on déchiffre les petits caractères de la légende. Comment est-il possible qu’une telle manipulation soit adoubée par les rédactions?

 

C’est la preuve qu'ils font de la propagande. Ils savent très bien ce qu'ils font: ils veulent diffuser l’idée selon laquelle le Hamas a décapité des bébés. Ils n'ont évidemment pas d'image, car cela n’est pas arrivé. Il y a eu un bébé mort, mais par accident. Alors, pour produire cet effet – semer la terreur et la haine –, ils utilisent une photo et se moquent complètement du fait que le lecteur ne verra que l’image, le titre et le début de l’introduction. Il en conclura donc automatiquement que l’image illustre le titre.


À noter que The Times est censé être un quotidien de qualité, bien au-dessus des tabloïds britanniques...


Times
La couverture en question date du 13 octobre 2023. Cliquez pour zoomer.

C’est tellement gros qu’on aurait presque envie de croire qu’ils n’ont pas fait exprès…

 

Herman et Chomsky l'avaient expliqué dans le livre Fabriquer le consentement, que la revue Investig’action a fait éditer en français. Ce ne sont pas les journalistes qui ont le pouvoir dans les médias, c'est l'argent, les propriétaires, le conseil d'administration. Le Times est donc un business comme les autres.


En France, vous avez huit ou neuf milliardaires qui contrôlent pratiquement toute la presse quotidienne, ainsi que la grande presse spécialisée ou hebdomadaire. Ils y défendent leurs intérêts. Ils y font leur promotion.

 

Dans un autre passage de votre livre, on apprend que le porte-parole francophone de l’armée israélienne, le colonel Rafowicz, qui avait d'ailleurs félicité BFM pour sa couverture de la guerre, est l’époux d’une directrice de studio qui emploie Christophe Barbier. Le même Barbier qui se répand en analyses orientées sur la situation à Gaza sur BFM TV.

 

Produire des informations est devenu un business. On a de moins en moins de reporters spécialisés dans l'investigation. De nombreux médias n'ont plus de correspondants locaux et se basent sur des produits finis par les agences de presse, qui sont avant tout des entreprises.


En l’occurrence, ces agences fabriquent des fake news. Dans mon livre sur l’Ukraine, j’ai intégré le rôle des services secrets, comme la CIA, le MI6 et d'autres. Ils infiltrent les médias avec des journalistes et produisent eux-mêmes des informations qu’ils livrent sous couverture.


Assange disait que les guerres ne sont possibles que par le mensonge. Cela signifie que la vérité est un grand danger. Il faut contrôler l'information, en produire, occuper le terrain et empêcher toute contestation.

 

On parle beaucoup de fake news en ce moment. Mais vous démontrez dans votre livre, avec l’exemple du massacre de Timișoara, que la propagation des fake news et la propagande de guerre existaient bien avant les réseaux sociaux.

 

Absolument. Quand les médias mainstream avaient le monopole absolu, ils ont produit des médiamensonges à chaque guerre. À l’époque, je travaillais dans un hebdomadaire de gauche où nous avions dénoncé les premiers l'imposture de Timișoara. Bien entendu, personne ne nous a relayés, on s'est moqué de nous. Puis, trois semaines plus tard, Der Spiegel a démontré qu’il s’agissait d’un fake et tous les médias ont abondé dans ce sens, jurant qu’ils seraient plus vigilants à l'avenir.

 

A vos yeux, les réseaux sociaux sont-ils plutôt un outil supplémentaire de lutte pour la vérité, ou quelque chose dont il faut se méfier?

 

Les gens, ça n'existe pas en tant que groupe homogène, et les réseaux sociaux ne sont pas non plus une entité homogène, cohérente, qui va dans la même direction. Il faut distinguer les étapes.


À la fin des années 90, les réseaux sociaux ont émergé et ont changé la donne. On a véritablement assisté à un basculement. En 1999, une grande manifestation du mouvement altermondialiste a eu lieu à Seattle. Ce mouvement critiquait la concentration du capitalisme et la guerre. Des violences à leur encontre ont été diffusées dans le monde entier grâce à Internet. Cela a changé la donne. Idem pour l’assassinat d’un garçon par la police à Gênes: l'information a circulé très vite.


«Quand un réseau social reste indépendant, on emprisonne son propriétaire»

 

Quand les États-Unis ont occupé l’Irak à partir de 2003, il y avait beaucoup de résistance. Rumsfeld, le ministre de la guerre de Bush, avait déclaré qu’Internet posait un gros problème, car n’importe quel soldat pouvait photographier des choses qu’ils ne voulaient pas montrer, comme la torture dans la prison d’Abou Ghraïb. Selon lui, Internet devait être considéré comme un champ de bataille.


Ils ont mis cela en pratique, et on voit désormais leur prise de contrôle sur Google, Facebook, YouTube... Quand un réseau social reste indépendant et refuse de collaborer avec eux, on emprisonne son propriétaire. Il y a donc beaucoup plus de censure à ce niveau.


Cela dit, les réseaux sociaux ont été pour nous une avancée, car on peut, avec très peu d’argent, mais beaucoup de travail et un réseau, créer une information qui contredit les fake news et les médiamensonges, parfois en temps réel, ce qui leur pose un gros problème.


La résistance des Palestiniens au génocide a été grandement soutenue par les réseaux sociaux, et cela a complètement changé la donne. Internet et les réseaux sociaux ont permis de continuer le travail journalistique en Palestine, malgré les menaces de traque et d'exécution d'Israël envers ces journalistes. Cela a changé la donne.


Aujourd’hui, nous sommes au courant du génocide, nous le voyons. Il y a 30 ans, cela ne se serait pas su, et on aurait pu nous faire croire qu’il ne se passait rien.

 

Dans une de vos interviews, vous disiez que l'on doit laisser les pays arabes s'autodéterminer pour régler les conflits. Ce avec quoi les femmes afghanes ne seraient certainement pas tout à fait d’accord en ce moment, non?

 

Vous croyez que les États-Unis sont allés en Afghanistan pour aider les femmes? En Afghanistan, un gouvernement avait émancipé les femmes. Ce n'est pas bien connu, mais dans les années 70, les femmes pouvaient porter des jupes, conduire une voiture, aller à l'université. C’était une période de grande émancipation. Qui a détruit ce gouvernement? Les États-Unis.


Et qui a ramené les talibans, d'abord sous forme de terrorisme avec Ben Laden? Les États-Unis. Et qui s'en est vanté? Celui qui l’a fait, Zbigniew Brzezinski, dans une interview au Nouvel Observateur, il a déclaré être très fier d’avoir provoqué la chute de l'Union soviétique.


Les gens doivent savoir que les États-Unis ne s'attaquent jamais à un pays pour aider les femmes, les homosexuels ou une quelconque minorité. Les États-Unis interviennent toujours pour leurs intérêts et parce qu’un pays refuse de se soumettre à eux ou de leur permettre de contrôler ses richesses. Bien sûr, les femmes afghanes, comme partout ailleurs, doivent lutter pour leurs droits, mais il ne faut pas compter sur les États-Unis pour cela.

 

Qu’avez-vous pensé du traitement médiatique de la chute de Bachar el-Assad?

 

Qui a renversé Bachar el-Assad et pourquoi? Et depuis quand l’avaient-ils décidé? Il faut toujours se poser la question: les États-Unis ne sont absents d’aucun pays où il y a des problèmes et des troubles.


Il faut étudier les documents fondamentaux de l'adversaire. En 1982, la CIA explique qu’il faut absolument renverser le père de Bachar el-Assad, Hafez, parce que la Syrie est stratégique, qu’elle refuse Israël, soutient les Palestiniens, et qu’il y a du pétrole et du gaz dans la région. Ils y expliquent comment ils vont procéder.

«La Syrie a été l’objet d’un complot décidé aux États-Unis longtemps avant la chute d'Assad»

 

En 1986, on retrouve d’autres documents de la CIA, puis encore d’autres, jusqu’en 2012, où Hillary Clinton écrit dans un mail qu’il faut renverser le régime syrien sans envoyer de troupes, car Obama n’est pas favorable à une intervention directe. Comment faire ? En soutenant les terroristes. Bien sûr, elle ne les appelait pas encore ainsi à ce moment-là. Il s’agissait encore de «rebelles», d’«opposition». Elle a soutenu Al-Qaïda, et ce sera ensuite Daech qui se développera. John Kerry, son successeur aux Affaires étrangères, dira la même chose.


La Syrie a donc été l’objet d’un complot – le qualificatif est approprié dans ce cas-là – décidé aux États-Unis bien avant la chute d'Assad. Roland Dumas, l'ex-ministre français des Affaires étrangères, a d’ailleurs raconté en 2009, deux ans avant ce qu'on a appelé le «printemps arabe», qu’il avait rencontré à Londres des diplomates, des gens des services secrets, qui lui avaient dit qu'ils préparaient quelque chose contre Bachar el-Assad, et lui demandaient s'il voulait en être.


Il était encore dans l’idée d’une politique française non alignée sur Israël, même s’il collaborait avec lui. Il cherchait à avoir de meilleures relations avec les peuples arabes. Vous voyez, l’histoire se prépare longtemps à l’avance.

«La chute de Bachar el-Assad a été provoquée par une longue guerre non déclarée de l'Occident»

 

À partir du moment où l’on soutient des terroristes, on connaît les conséquences. Nous parlions des femmes tout à l'heure, savez-vous comment les amis des États-Unis les traitent là-bas? Ce n’était pas le cas sous Bachar. Sous son régime, il y avait des ministères dirigés par des femmes, qui donnaient des ordres aux hommes. Ce qui ne sera plus le cas avec le régime adoubé par les États-Unis et Israël.


La chute de Bachar el-Assad a été provoquée par une longue guerre non déclarée de l'Occident. Qu’est-ce que cela signifie? D’abord, on parle de sanctions, mais en réalité, il s’agit du sabotage de l’économie: les gens meurent de faim, ne peuvent pas acheter de médicaments et ne sont pas soignés.


Ensuite, les États-Unis occupent une partie du territoire, volent le pétrole et le gaz, et détruisent davantage l’économie en affamant les citoyens pour tenter de les pousser à la révolte. Comme l’armée ne peut plus être financée, la corruption s’installe. Une partie des dirigeants de l’armée a été achetée par les États-Unis pour trahir Bachar.


La Turquie et Israël occupent aussi une partie du territoire. Je rappelle qu'Israël soignait les combattants blessés de Daech pour les relancer au combat. Ensuite, les Émirats et le Qatar ont poursuivi un objectif précis : passer à travers la Syrie avec leur gazoduc, ce que Bachar avait refusé.


Aujourd’hui, nous avons un régime dont la tête était mise à prix aux États-Unis pour dix millions de dollars. Du jour au lendemain, c’est devenu un grand démocrate qui va apporter beaucoup de bien aux femmes et à tout le monde. On nous prend vraiment pour des imbéciles!


Cela ne veut pas dire que le système de Bachar était parfait. Mais sous son régime, il n’y avait pas de guerre religieuse. Toutes les religions étaient respectées, y compris les chrétiens, ce qui n’est plus le cas maintenant. Il y avait aussi un certain système de sécurité sociale, des allocations, des services publics. Et maintenant, qu’est-ce qu’on va répandre là-bas? Le néolibéralisme et le système à l'occidentale. Savez-vous comment vivent les Libyens maintenant? Beaucoup plus mal que sous Kadhafi.


Dans une autre de vos interviews, vous abordiez le fait que la «résistance» attendait beaucoup d’un sauveur. On peut peut-être conclure là-dessus: il me semble également que les individus ont oublié leur pouvoir et ont tendance à remettre leur destin entre les mains de telle ou telle figure providentielle, qui viendrait apporter toutes les solutions.

 

Oui, je pense que nous touchons là quelque chose d’important. Il y a un phénomène de star system. Des gens qui croient que la situation va changer grâce à tel auteur, journaliste, écrivain ou influenceur, qui va sauver le monde, rétablir la vérité et l’emporter sur les forces du mensonge. Or, ça ne fonctionne pas comme ça du tout.


«Les batailles sont gagnées par les peuples, y compris celle de l'information»

 

Les batailles sont gagnées par les peuples, y compris la bataille de l'information. Ce n’est pas quelque chose que l'on consomme, que l'on avale en espérant recevoir une information correcte. Comme le dit le dernier livre que nous avons édité, L’information est un sport de combat. Parce que nous avons tous besoin de nous engager et de pratiquer ce sport.


Le problème ne sera pas réglé par quelques stars. Il y a des porte-parole, des gens qui font des recherches, qui ont le temps de le faire. Il y a des gens qui ont réussi, comme moi, à monter une équipe et des collectifs.


La seule manière de changer le rapport de force entre vérité et mensonge, c'est de faire en sorte qu’énormément de gens s'engagent à vérifier les informations, à faire des tests médias, à les faire connaître, à interpeller les journalistes, mais surtout à interpeller le public et l’opinion. Si nous voulons que le monde échappe à cette spirale infernale de guerre, de violence et de mensonge, et ouvrir la possibilité d’un autre monde pour l’humanité, je pense que la bataille de l'info doit reposer sur l'engagement de chaque citoyenne et de chaque citoyen.

 
7 octobre
7 Octobre - Enquête sur les faits et les mensonges - Investig'action - 2024

9 Comments


Un article que j'ai lu sur le tard, mais qui prend d'autant plus de valeur que, à ce jour, non seulement Trump est aux commandes mais surtout qu'il se met à pratiquer une politique ouvertement colonialiste et hégémonique, à un niveau encore jamais atteint par les présidences précédentes, même les pires...

Depuis quelques jours, il a forcé ses voisins mexicains et canadiens à mettre un genou à terre en exigeant que ces pays dits "amis" fassent le sale boulot aux frontières étasuniennes; il menace ouvertement d'une guerre totale une nation que les USA haïssent depuis que Khomeini a installé sa théocratie (alors que c'est bien le gouvernement US qui a tout fait pour faire tomber le Shah...), l'Iran; sous la…

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jdm
Jan 29

Merci pour cet entretien passionnant - en soulignant à quel point il est vital que des points de vue aussi affirmés que celui de M. Collon puissent s'exprimer.

J'aurais aimé l'entendre sur la corruption terrible qui sévit aussi du côté palestinien, en rappelant qu'on estime à US$ 800 millions les détournements de fonds commis par Yasser Arafat, à 200 millions ceux de Mahmoud Abbas et que les dirigeants du Hamas sont, littéralement, riches à milliards !

Des fonds qui auraient pu être utiles à la population palestinienne et à développer les infrastructures de Cisjordanie et de Gaza.

Quid aussi de la création et du soutien continu accordé aux entités terroristes palestiniennes et plus largement arabes, (même les frères musulmans) par…

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Une interview riche et intéressante (malgré quelques belles coquilles…). De fait, M. Collon est assez transparent et dit certaines vérités, c’est incontestable. Cependant, il semble par trop obnubilé par l’impérialisme américain (qui est réel, il ne s’agit pas le nier…) et ceci au point de paraître oublier qu’il existe aussi un impérialisme russe (et chinois…, et néo-ottoman, etc…) à l’œuvre à l’est ou ailleurs, et que le régime de M. Poutine comme celui du parti communiste chinois ne le laisserait sans doute pas s’exprimer en toute liberté s’il parlait à Moscou ou à Pékin comme il le fait à Lausanne!

Par ailleurs, même s’il faut évidemment soutenir le peuple palestinien dans son aspiration à la citoyenneté (qui lui est déniée jour…

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Parfaitement d'accord!

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Merci Amèle pour cet entretien éclairant. Les médias grand public ont traité la chute du régime syrien de façon éhontée. Dépeindre le nouveau maître de la Syrie comme un défenseur des femmes et des communautés LGBT est d'un cynisme absolu et un bel exemple des méfaits de l'industrie de la fabrication de mensonges. Voir les délégations occidentales se presser à Damas pour lui serrer la main (ce qu'il refuse aux femmes), me donne la nausée. Heureusement qu'il reste quelques médias indépendants comme le votre.

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Lou24
Jan 27

Merci Amèle, pour cette interview très complète et éclairante !

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