En Suisse, il est presque devenu inutile de présenter Daniel Koch, à la tête de la stratégie sanitaire durant la première vague de la crise Covid. l'ancien directeur de la division «Maladies transmissibles» de l'Office fédéral de la santé publique (OFSP) est un des responsables les plus désireux qu'un bilan de la gestion soit effectué. Entre regrets et aveux, Daniel Koch s'est confié à L'Impertinent.

Amèle Debey, pour L'Impertinent: Comment avez-vous vécu la période Covid?
Dr Daniel Koch: Pour moi, il y a eu deux phases: la première a duré jusqu’à fin mai 2020 et coïncide avec la première vague. Ensuite, j’ai quitté l’OFSP. J’ai été très sollicité pendant la deuxième phase, notamment pour préparer l’hiver 2021 dans le canton du Valais.
On a beaucoup reproché aux gouvernements d’avoir instauré une politique de la peur pour obtenir l’obéissance de la population. C’est aussi votre sentiment?
Oui, bien sûr. Ceci étant, pendant la première vague, on a plutôt essayé de convaincre et d’expliquer. D’autres pays ont bien plus utilisé la peur que nous. Je me souviens d’une discussion avec Alain Berset sur le vocabulaire à employer. On s’est mis d’accord pour exclure les allusions à la guerre, contrairement à la France. Cette résolution a cependant été difficile à suivre.
«Restreindre les droits de base va à l’encontre des intérêts de santé de la population»
Sur un plan plus scientifique, on a certainement négligé les effets de la peur sur la santé mentale de la population.
Sur le moment, étiez-vous conscient des effets négatifs des mesures que vous étiez en train de prendre?
Sur le plan collectif, c’est toujours très difficile. Il n’existe pas de conscience collective. Personnellement, j’étais très conscient que les mesures sanitaires et l’état policier ont toujours des conséquences. Restreindre les droits de base va à l’encontre des intérêts de santé de la population. Mais cela ne veut pas dire que ce n’est pas nécessaire. L’art étant de trouver un équilibre.
Pensez-vous que cet équilibre a été trouvé?
C’est difficile à juger, même rétrospectivement. Je pense qu’en Suisse, nous y sommes parvenus. L’équilibre dépend aussi du type de société. Il est faux de penser que les mêmes mesures peuvent être appliquées à tout le monde. Il faut regarder pays par pays, société par société, car beaucoup de facteurs influencent la propagation de l’épidémie.
N’a-t-on pas un peu trop aveuglément suivi le modèle français, notamment par le biais du canton de Genève et de Mauro Poggia? C’est le sentiment que j’ai, mais peut-être que je me trompe.
Non, c’est juste. La France a été beaucoup plus stricte et nous a mis beaucoup de pression pour que l’on durcisse les mesures. Nous sommes parvenus à trouver un entre-deux.
«Je pense qu'il est particulièrement important que nous nous demandions si nous avons inutilement restreint les droits fondamentaux pendant la pandémie», avez-vous dit récemment dans la presse. Pourquoi ce bilan n’est-il pas fait?
C’est une bonne question. Je ne sais pas s’il n’est pas fait, mais il n’est en tout cas pas discuté en public. Il est difficile d’expliquer pourquoi. D’autant que beaucoup de gens réclament davantage de discussions là-dessus. J’en fais partie.
Peut-être qu’une partie des politiciens pensent que ce sera fait avec la révision de la loi sur les épidémies, mais ce n’est pas mon avis. D’abord, il faut prendre conscience de ce qu’il s’est passé et de ce qu’on aurait pu faire mieux. Une analyse plus profonde est nécessaire avant de se lancer sur la révision d’une loi, qui prendra beaucoup de temps. Personnellement, je ne pense pas que c’est la loi qui a posé problème, mais plutôt son application.
«Il faudrait analyser la période qui a suivi la campagne de vaccination»
Il y a eu une enquête parlementaire et des évaluations, mais elles sont arrivées trop tôt. Avant les vaccins. Il faudrait également analyser la période qui a suivi la campagne de vaccination. Il faut quand même reconnaître que nous étions beaucoup plus enthousiastes à propos de ce vaccin au début qu’après avoir constaté les résultats. Nous pensions qu’il empêchait la transmission, mais en fin de compte il protège d’une évolution grave de la maladie.
Pourtant, on savait déjà que le vaccin n’empêchait pas la transmission lorsque l’on a instauré le pass sanitaire, non?
C’est un des éléments qu’il faudrait analyser et regarder en détail. Nous aurions dû réfléchir à ce que cela signifiait. Était-ce une bonne mesure ou était-elle contre-productive? Nous devons tirer les leçons de cette décision.
Concernant le port du masque, le confinement, la fermeture des écoles, aviez-vous des recommandations scientifiques qui allaient dans l’autre sens? Car un médecin a été écarté de la Task Force parce qu’il avait exprimé des opinions contraires...
Vous parlez de Pietro Vernazza? Il était effectivement opposé à ces mesures, à tort ou à raison. Il y a toujours eu des discussions et, au début, on ne voulait pas fermer les écoles. Je me souviens d’être allé au Tessin pour convaincre le gouvernement de ne pas le faire. C’était un jeudi. Le samedi, on décidait de fermer les écoles dans toute la Suisse.
«On ne pouvait pas faire autrement»
Il était impossible de résister à l'énorme pression de la France. Si on n’avait pas pris cette décision, la Suisse romande aurait fait cavalier seul. On ne pouvait pas faire autrement. Tous les pays alentour ont appliqué la même politique. Il est illusoire de penser que la petite Suisse au milieu de l’Europe est autonome et libre de ses décisions.
Ne pas confiner complètement, c’était le maximum que l’on pouvait faire.
L'interview de Pietro Vernazza est à suivre prochainement, sur L'Impertinent
Selon un ex-employé du RKI (Institut Robert Koch), chargé des protocoles de crise durant la pandémie, il n'y avait «aucune directive directe du ministère fédéral de la Santé à la Stiko (Commission permanente de vaccination)» concernant les enfants. Mais qu’ils se sont retrouvés dans une «bulle de pression» permanente. Était-ce une erreur de pousser à la vaccination des enfants?
Cela n’a jamais été le cas en Suisse. On l’a rendue possible, pas dès le début d’ailleurs, mais je ne crois pas que l’on ait recommandé de vacciner les enfants.
A partir de quand avons-nous compris que ce virus était dangereux principalement pour les personnes âgées? Et pourquoi n’avoir pas tout simplement décidé d’appliquer des mesures uniquement pour elles?
On l’a su depuis le début. Mais cette stratégie a été celle de la Suède et le résultat n’a pas été au rendez-vous. Ils ont eu beaucoup plus de morts chez les personnes âgées.
Pourquoi est-ce qu’on prend la Suède en exemple dans ce cas et pas pour le reste de la pandémie, lors de laquelle la stratégie suédoise semble obtenir de bons résultats?
Ils ont connu beaucoup plus de morts que les autres pays lors de la première vague, leur stratégie n’était donc pas à prendre en exemple. Ils ont également mis des restrictions en place, jusqu’à instaurer la politique de vaccination.
Je pense que la stratégie suédoise n’était pas totalement fausse, mais ils ont sous-estimé l’effet sur les personnes âgées lors de la première vague.
Et le rôle des médias dans tout cela? Vous a-t-il surpris?
Oui et non. Lors de la première vague, ils ne nous ont pas posé de problèmes, mais ils sont devenus très critiques avec le temps. Ce n’était pas très équilibré: ils sont passés d’un extrême à l’autre. Lors de la première vague, on n'a eu aucune critique de la part des médias, puis tout ce qu’on faisait était faux. Il y a également eu des attaques personnelles injustes. On a notamment dit que je voulais me faire de l’argent.
Vous avez dit que les interdictions de visites dans les EMS étaient une erreur. Quelles autres erreurs ont été commises?
Oui, pour les EMS on a été trop strict. Je regrette ce qu’il s’est passé, car on a décidé à la place des gens la façon dont ils voulaient partir. Nous aurions pu trouver des solutions plus adéquates. C’est ce que je regrette le plus.
Sinon, si c’était à refaire, j’éviterais les discussions scientifiques publiques. Cela a amené plus d’incompréhension qu’autre chose. Certaines prises de parole étaient incompréhensibles. J’ai également commis l’erreur de ne pas réunir ni de mobiliser les scientifiques de terrain, ceux qui voyaient les patients. Ils étaient tous occupés. Mais cela a laissé le champ libre aux scientifiques chercheurs comme les biostatisticiens de la Task Force, sans expérience de terrain, pour remplir le vide par eux-mêmes. Cela nous a plutôt desservis qu’autre chose jusqu’à la fin.
Pourquoi et comment nos autorités ont-elles pu accepter que les médecins n’aient plus eu le droit de soigner leurs patients? Qu’en pensez-vous en tant que médecin?
C’est faux. Lors de la première vague, on a fermé les cabinets privés pour que les gens aillent aux urgences. Tout simplement parce que si tous les malades s’éparpillaient dans les cabinets, ils transmettaient davantage le virus. Nous étions alors tout à fait conscients que cette consigne serait de courte durée.
Les médecins qui soignaient avec des traitements précoces étaient dénoncés aux médecins ou aux pharmaciens cantonaux. N’y a-t-il pas eu des abus de pouvoir lors de cette période?
Je ne pense pas. Il y a une ligne à tenir. Une raison pour laquelle les médicaments sont contrôlés et restreints par des autorisations de mise sur le marché. Je vous rappelle que Trump a conseillé des traitements dangereux. Il doit y avoir un cadre.
Pourquoi confiner toute la population au lieu d’isoler les malades pour les traiter efficacement? En mettant tout le monde ensemble, on a renforcé la contamination, non?
Effectivement, rassembler les malades propage la contamination. C’est pourquoi nous avons fermé les cabinets médicaux lors de la première vague. Mais isoler les malades, à ce moment-là, ne suffisait pas car la majorité d’entre eux n’étaient pas gravement malades, y compris au début.
Pour éviter la propagation dans la population, il fallait que les gens restent chez eux. Cette stratégie a bien fonctionné lors de la première vague, mais moins bien après. Le télétravail a fortement réduit les contacts et les transmissions.
Pourquoi avoir affirmé que les masques étaient inutiles pour les rendre ensuite obligatoires? Qui a influencé cette décision?
J'ai certainement annoncé pendant trop longtemps que les masques n'ont qu'une utilité restreinte dans les espaces publics. Or, porter un masque rappelle la population aux réalités de la pandémie. Et c'est un effet très important. Je l'ai sous-estimé pendant trop longtemps.
Aux yeux de l'OFSP, il était primordial d'expliquer à la population les mesures d'hygiène et la distance à respecter. Nous voulions éviter que les gens pensent que le problème était résolu en portant un masque. C'est sciemment que nous avons recommandé le lavage des mains, seule mesure dont l'efficacité est prouvée. Concernant le port du masque, l'évidence scientifique est encore faible.
Pourquoi l'âge moyen des personnes mortes du Covid n'a-t-il pas été communiqué clairement?
C’est vrai qu’on ne communique jamais sur cela, à part dans les rapports. Il est clair que cette maladie était plus dangereuse pour les personnes âgées que pour les jeunes, mais il me semble que nous avons communiqué clairement là-dessus, en disant par exemple aux grands-parents d’éviter de garder leurs petits-enfants pour se protéger.
«L’entier de cette stratégie n’était pas une réussite»
Lorsque nous avons recommandé aux gens de rester à la maison – je rappelle que ce n’était pas une interdiction de sortir – le canton d’Uri a voulu interdire aux personnes de plus de 65 ans de sortir de chez elles. Nous avons dû intervenir pour éviter cela.
Ensuite, il y a eu l’interdiction des rassemblements de plus de cinq personnes. Mais c’était pendant la deuxième vague et je n’étais plus du tout impliqué.
C’est une décision que vous n’approuvez pas?
Difficile à dire. Avec le recul, certainement pas. L’entier de cette stratégie n’a pas été une réussite. Lors de la deuxième vague, on aurait pu éviter plus de morts.
Pourquoi n'y a-t-il pas eu d'explications claires sur la différence entre mort «du Covid» et «avec Covid»?
Le doute concerne surtout les personnes souffrant de comorbidités et c’est difficile de distinguer les deux dans un patient en fin de vie. La seule manière efficace de voir l’impact de la pandémie sur la population, c’est d’observer la surmortalité par tranche d’âge, sur plusieurs années. C’est comme ça que l’on juge de la dangerosité d’une infection.
A votre avis, qu’a-t-on collectivement appris de cette période?
Que nous devons trouver l’équilibre entre les mesures sanitaires et la restriction des libertés. Globalement, on a fait beaucoup plus de mal que de bien. Nous aurions dû davantage équilibrer les mesures en prenant en compte les dégâts qu’elles allaient faire. Par exemple, on aurait dû arrêter la quarantaine beaucoup plus vite. Le Danemark a fait beaucoup mieux en Europe. Ils ont été très strictes lors de la première vague, puis en décembre 2020, lors de la deuxième vague, ils ont eu une meilleure stratégie de tests.
Mais trouver l’équilibre est difficile.
On a également appris que les pandémies existent et qu’il faut nous préparer. Mais il faut accepter qu’on ne puisse pas tout prévoir. J’ai été impressionné par les hôpitaux romands qui ont su gérer les choses avec dynamisme.
Le pass sanitaire n’allait-il pas à l’encontre du secret médical?
Non, je crois que ce n’est pas ça qui pose une menace sur la protection des données, c’est tout le système. Avec les moyens modernes, il n’y a aucun problème pour trouver des informations médicales sur n’importe qui. Concernant la protection des données, il faut plutôt se méfier de ceux qui les collectent: Migros, Coop, les assureurs et tous les autres.
«La Suisse a trop à perdre pour réaliser une enquête sur les pharmas»
Il y a beaucoup de travail à faire pour protéger la vie privée des gens, si cela veut encore dire quelque chose.
Pensez-vous que le peuple est en droit de demander des comptes au sujet de l’achat des vaccins anti-Covid?
Oui, je crois qu’il le faut, même si les décisions prises n’étaient pas complètement fausses. Il serait bon de se pencher sur le pouvoir mondial des pharmas. C’est une branche trop peu contrôlée, en particulier si l’on compare avec les règles strictes qui modulent l’industrie automobile, par exemple. Rien n’a été réalisé pour cadrer l’industrie pharmaceutique, qui se concentre uniquement sur les profits et pas la disponibilité des médicaments par exemple, comme on peut le constater à l’heure actuelle. Elle ne peut pas se réguler elle-même. Mais la Suisse ne sera certainement pas en tête de file pour réaliser cette enquête. Elle a trop à y perdre.
Le sentiment que M. Koch est tellement soulagé d'avoir quitté l'OFSP avant la deuxième vague ! le sentiment qu'il ne veut en rien être tenu pour responsable de la peur instillée, du manque de communication positive envers la population, de la coercition pour la vaccination... il fait presque pitié
Magnifique article...On peut retenir plusieurs éléments... Les autres ont fait pire...A la Task Force il y avait des incompétents hors réalité, les vrais médecins étant à leurs postes de médecin et troisièmement les pharmas font ce qu'ils veulent et on ne les empêchera pas.
Je suis médecin, j'ai appris le serment d'Hippocrate et à mettre le patient au centre des soins. Aujourd'hui la devise est " un patient guéri est un client perdu". C'est pathétique et Monsieur Koch vous devriez avoir honte de vous défausser de cette façon. Faites bouger les lignes!
Pourquoi le sigle Ukrainien sur le pull ?
La réponse de M. Koch sur la question "on savait déjà que le vaccin n’empêchait pas la transmission lorsque l’on a instauré le pass sanitaire, non?" était flou. Pas tout au début mais en été 2021, il est apparu clairement que la vaccination ne bloque pas la transmission - et les autoritées le savaient.
Merci Amèle pour ces interviews qui nous permettent de comprendre comment ces experts pensent, et surtout quel est leur système de croyances. Houston, we have a problem... Il y a des croyances épidémiologiques tenaces: la "circulation" du virus par exemple. J'aimerais qu'on m'explique comment tous les pays occidentaux ont eu des vagues quasi simultanées à partir d'un seul patient zéro. Diverses études (voir p.ex. https://health.mountsinai.org/blog/new-england-journal-of-medicine-study-of-marine-recruits-provides-lessons-in-controlling-the-spread-of-covid-19/) ont démontré que la propagation du virus (mesurée par des tests PCR) était possible sans contacts humains en appliquant pourtant très strictement les mesures d'hygiène pourtant recommandées. De plus, on en reste encore à ce modèle de l'école de Pasteur: le microbe est méchant, il faut le combattre. La science sait pourtant que c'est Béchamp qui…