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«Face à la Russie, l'OTAN coche toutes les cases de la propagande de guerre»

Photo du rédacteur: Amèle DebeyAmèle Debey

Dernière mise à jour : il y a 46 minutes

Les perturbations sur l’échiquier mondial valaient bien une conversation de fond avec l’ancien numéro trois du Département des affaires étrangères, Georges Martin! Sursaut européen, stratégie américaine, intérêts russes, scandale de l’USAID, mais aussi aide internationale au développement, et neutralité… nous sommes allés au cœur de ces sujets avec l’ex-diplomate, qui se démarque par sa liberté de ton! Interview.

Georges Martin
© DR

Amèle Debey, pour L’Impertinent: Alors comme ça vous avez rencontré Nelson Mandela, mais vous mettez quand même Angelina jolie en photo de couverture LinkedIn!

 

(Rires) Je me suis fait gronder dans ma propre famille! On me dit: quand même, il n’y a pas de comparaison entre les deux. Mais bon voilà, j'étais à une conférence tout à fait sérieuse sur les violences faites aux femmes dans les zones de guerre, à Lancaster House et Angelina Jolie était l'hôte de marque. Elle est très engagée.

 

Lorsque l'on serre la main de quelqu'un, l'attention est dans le regard. On sent que ce sont des personnes différentes des autres, qui ont quelque chose à transmettre.

 

On vous présente comme le numéro trois du Département des affaires étrangères, mais qu’est-ce que ça veut dire?

 

C’est une façon de parler qui ne veut pas dire grand-chose. J'ai été secrétaire d'État adjoint. Pour la plupart des gens, il y a le Conseil fédéral, le secrétaire d'État et le secrétaire d'État adjoint pourrait être officieusement le numéro trois. Au fond, j'ai terminé une carrière diplomatique de près de quarante ans dans des fonctions de haut fonctionnaire au Département.

 

J’ai commencé tout jeune, au début des années 80, et j'ai terminé en 2017. On est d’abord troisième puis deuxième et enfin premier secrétaire diplomatique, avant de devenir conseiller d’ambassade, puis ambassadeur. À Berne , je fus chef de la Division de la sécurité internationale sous Mme Calmy-Rey, avant de terminer Secrétaire d’État adjoint de M. Burkhalter.

 

Pour entrer dans le vif du sujet, qu’avez-vous pensé du récent discours d’Emmanuel Macron? Que cherche-t-il en agitant la menace russe et le spectre de la guerre?

 

En s’adressant à ses «chers compatriotes» mercredi soir, Emmanuel Macron a voulu leur adresser un message «churchillien», leur promettant du sang et des larmes dans la lutte à venir contre Poutine, le nouvel Hitler, qui voudrait «manger tout le continent si on ne l’arrête pas». D’un côté, il a repris tel quel le catalogue, bien connu, des reproches les plus extrêmes que l’Occident et l’OTAN font à la Russie depuis trois ans, mais, de l’autre, son élocution et son attitude ne semblaient pas crédibles. Comme s’il ne croyait pas vraiment à ce qu’il disait.


«Macron est le petit de la classe qui crie le plus fort pour se faire remarquer»

Emmanuel Macron a été contraint de se mettre en retrait, après sa dissolution ratée, et saisit le moment pour revenir au centre du jeu, pour traiter son hyperactivité refoulée. Pour ce faire, il prend le contre-pied de Donald Trump. Plus ce dernier se rapproche de Poutine, plus Macron le démonise. Il a choisi la politique du coup de menton, jusqu’à jouer avec la bombe atomique. 

 

Relégué, comme tous les Européens, en troisième ligue par Trump, Macron est le petit de la classe qui crie le plus fort pour se faire remarquer. Le problème est que nous nous trouvons toujours dans une situation dangereuse et qu’il a choisi de jeter de l’huile sur le feu, au moment même où une initiative de paix se profile à l’horizon. Poutine, dont le silence est assourdissant dans cette phase, n’est certainement pas dupe et semble se contenter d’apprécier le fait que Trump l’ait élevé à sa hauteur, bien au-dessus des Européens, qui vivent mal cette situation et donnent au monde une image déplorable d’eux-mêmes. 

 

On a compris que, si Macron ne peut pas se profiler dans la recherche de la paix, depuis que Trump s’est approprié le rôle principal, il a choisi d’être le plus grand facteur de nuisance possible. Ce faisant, il prend la lourde responsabilité d’augmenter sur notre continent les risques de guerre, nous ramenant une fois de plus à 1914!


Pour se rassurer, il faut se rappeler que le président français n’a jamais été le meilleur pour traduire ses paroles en actes. D’autant plus qu’une grande majorité de ses «chers compatriotes» ne devraient pas avoir été convaincus que le moment était arrivé de faire basculer la France en économie de guerre, alors qu’ils comprennent qu’une paix est possible en Ukraine! Macron devrait se souvenir des fameuses paroles de Gorbatchev: «Celui qui est en retard sur l’histoire est puni par la vie»!

 

J’aimerais également avoir votre avis sur les déclarations de Madame von der Leyen, qui veut réarmer l’Europe. Au nom de qui parle-t-elle et quelles conséquences pourraient avoir ses déclarations sur l'échiquier géopolitique?

 

C'est une question essentielle, parce qu’elle usurpe un peu des fonctions qu'elle n'a pas. L'Union européenne est une machine de paix. Une organisation qui avait été créée à l'initiative des Américains. On parle toujours de Jean Monnet, qui a créé l'union. Mais il travaillait pour la CIA, sous Roosevelt. Les États-Unis ont voulu construire – à côté de l'OTAN, qui était le bras militaire – un bras politique pour mettre de l'ordre dans cette Europe à reconstruire.

 

L'Union européenne n'a pas du tout de compétence ni de budget en matière militaire. Mme von der Leyen n’a pas été élue comme on l'entend dans une démocratie directe, ou même parlementaire, elle a été choisie à l'issue d'un processus très politique. Les chefs d'État l'ont nommée à ce poste, puis sa nomination a été approuvée par le Parlement européen. Elle est, depuis le début de la guerre en Ukraine, la cheffe d'une commission qui devrait être au service de la paix. Et on se rend compte, et c'est ce qui me gêne beaucoup, que cette institution a adopté un langage belliciste qui ne s'arrête pas.

 

Les Américains ont retourné la table et – Dieu sait si je n'aime pas Trump – mais sur l’Ukraine, il fallait un revirement brutal qui nous conduise vers la paix. Madame von der Leyen et les chefs d’État européens se comportent d’une manière incroyable. Ils se réunissent derrière des idées de guerre: ils veulent remplacer militairement les Américains, alors que les caisses sont vides.

 

Mais qu'est-ce que ça veut dire «réarmer l'Europe»? Peut-on avoir une armée européenne?

 

C'est impossible à mes yeux, ou alors cela prendrait des décennies. La France a toujours essayé de mettre cette idée sur la table, mais les Allemands ont toujours considéré l'OTAN comme la seule responsable de la sécurité du continent.

 

Il y a vingt-sept armées qui, certes parfois, mettent des contingents à disposition d'exercices de l'OTAN. D'ailleurs, il est amusant de constater que l'armée suisse est tout aussi interopérable avec l'OTAN que les armées des autres pays membres, puisqu’on s'en est rapproché petit à petit, notamment en achetant des armes américaines. On a les mêmes armes et les mêmes processus opératoires.


«Il n’y aura pas d’armée européenne de sitôt»

Pour répondre à votre question: pour créer une armée européenne, il faudrait recréer ce qui a été fait avec l’OTAN. Il faudrait des structures, cela coûterait énormément d'argent et prendrait énormément de temps. Les Anglais disent que l’on ne peut rien faire sans les Américains, mais ceux-ci, pour l'instant, n'en veulent pas. Ils ont été jusqu'à déconnecter l’article cinq du parapluie nucléaire américain, disant que, si l’Europe veut la guerre, il faudra la faire sans les États-Unis. On est dans un no man's land à la fois inquiétant, très sombre et pas transparent du tout. Pour l'instant, on est dans des postures, des déclarations politiques, mais franchement, c'est de l'amateurisme. On ne fait pas de politique de bord du gouffre comme ça. Il faut être sérieux!

 

Dans la crise dans laquelle nous nous trouvons, jamais des dirigeants comme de Gaulle ou Mitterrand n’auraient gouverné par annonces sur X. A mon avis, il n’y aura pas d’armée européenne de sitôt.

 

Comment peut faire l’Europe pour se protéger alors? N’est-ce pas légitime pour ses dirigeants de vouloir se réarmer?

 

Pour se protéger, il faut à la fois être crédible militairement et construire un environnement de paix basé sur une architecture de sécurité collective. L’Europe a commis l’erreur, depuis des décennies, de se reposer entièrement sur la protection américaine et de négliger ses armées! D’où l’énorme rattrapage qui prendra du temps. Elle doit le faire. 

 

L’Occident n’a pas voulu accepter que la Russie ait estimé que l’architecture en place au cours de la guerre froide et dès le début des années 90 (implosion de l’URSS) ne prenait plus en compte ses besoins de sécurité. Celle-ci n’a pas accepté de voir les frontières de l’OTAN se rapprocher des siennes et surtout d’assister au déploiement de missiles tout près de sa frontière! En plus, elle a vu l’Ukraine s’armer jusqu’aux dents avec l’aide directe des Occidentaux et de l’OTAN! 

 

Pour se protéger, L’Europe doit, sur le court terme, soutenir le plan de paix de Trump afin de stopper cette guerre et, sur le long terme, devenir militairement autonome et souveraine par rapport aux États-Unis et changer son récit, qui est mensonger sur les vraies causes de cette guerre. Ensuite, l’ensemble de l’Occident devra s’asseoir avec la Russie pour refaire un «processus d’Helsinki» qui construira un nouveau système de sécurité collective qui prenne en compte les soucis de tous et assurera la sécurité de chacun dans une nouvelle Europe!

 

Si l’Europe ne fait que de se réarmer, sans se mettre au travail avec Poutine pour construire un environnement eurasiatique de paix, l’Europe occidentale devra vivre, comme Israël, en état de guerre permanent et chaque Européen devra avoir un fusil sous son lit!

 

Jusqu’ici, l’Europe comptait uniquement sur les États-Unis pour sa protection?

 

Entièrement. C'était le parapluie nucléaire américain. D'ailleurs, depuis la chute de l’URSS au début des années 90, les pays européens ont fait la fête, ont baissé les budgets militaires.


Les caisses sont vides, donc où prendre l'argent pour se réarmer? Les peuples n'accepteraient pas que les dépenses sociales ou en matière de santé soient limées. Depuis la guerre en Ukraine, les dirigeants européens ont mis l'avenir du continent entre les mains d'un chef d'État d'un pays en guerre avec la Russie. Ces alliances me rappellent 1914.


«La guerre en ukraine, c’est le refus de la Russie de se laisser prendre à la gorge»

 

Le changement de politique américaine a retourné la table à 180 degrés. Ou plutôt, l’a renversée! Cela touche aussi la Suisse: on voit des leaders européens qui étaient complètement braqués sur les États-Unis, qui approuvaient Biden, approuvaient la politique américaine… Tout d'un coup, tout le monde est perdu, parce que les États-Unis, leur leader, objet de leur amour et de toute leur attention, a complètement changé. Ils sont perdus! Y compris Monsieur Cassis, qui reprenait allègrement la position américaine. Il ne sait plus quoi faire.

 

Si Zelensky démissionne et que l’Ukraine rejoint l’OTAN, est-ce que l’Europe sera en guerre avec la Russie?

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