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Article rédigé par :

Amèle Debey

Démissions en cascade au DFAE, que se passe-t-il dans le département d’Ignazio Cassis?

De janvier à juin dernier, vingt-huit collaborateurs de la Direction des Ressources du Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) auraient pris la porte. D’autres seraient en arrêt maladie. En cause, les conditions de travail et surtout le laxisme d’un management qui se complaît dans le déni depuis de nombreuses années. Le tout piloté par un chef dépeint comme démissionnaire et absent.

© Flickr

Mardi dernier, Ignazio Cassis marquait des points sur l’échiquier politique grâce à la Conférence de Lugano sur la reconstruction de l’Ukraine, en digne responsable des Affaires étrangères. Mais pendant ce temps, à Berne, son département périclitait.


En effet, selon nos informations, pas moins de 28 collaborateurs auraient présenté leur démission depuis le début de l’année 2022. Et ce, rien que pour le bureau qui assure la disponibilité et le pilotage des ressources au sein du DFAE. «Ceux qui restent sont en arrêt maladie. Il n’y a plus qu’un cinquième des conseillers RH prévus», témoigne un employé* qui a tenu à rester anonyme, pour des raisons évidentes. Malgré cette situation délicate, «nous ne sommes pas en gestion de crise, ajoute-t-il, on est en mode ‘business as usual’».


Pire, l’hémorragie toucherait l’ensemble du département. Toujours selon nos informations, un des responsables de la Direction du développement et de la coopération (DDC), organe du DFAE, avait annoncé qu’il y aurait 15 personnes en «trop» lors des réengagements de 2022. Au bout du compte, il manque du personnel, si bien que des postes doivent être mis au concours à l’externe.


Interrogé sur la question, le DFAE s’est contenté de la réponse suivante: «Le taux de fluctuation du personnel au sein du DFAE est, sur ces dernières années, stable à un niveau d’environ 4%. Les arrêts maladie ont tendanciellement diminué ces derniers mois, après deux années d’absences plus fréquentes dues à la pandémie.»


Confronté explicitement à nos chiffres, le département ne les a pas démentis, tout en se refusant à d’autres commentaires. La directrice des Ressources n’était pas disponible pour répondre à nos questions. Un expert en communication a pris le relais, précisant que la Direction des Ressources comptait 350,3 personnes au 30 juin dernier. Au 30 décembre 2021, ils étaient 361 équivalent temps plein, selon les chiffres récoltés. «Une moyenne annuelle», selon la porte-parole.


Déni de faiblesses


«Circulez, y’a rien à voir!» C’est, en substance, ce que le Conseiller fédéral et actuel Président de la Confédération avait répondu aux journalistes qui l’interrogeaient sur les problèmes internes de son département, en 2020.


Moins d’une année plus tard, un article du journal Le Temps révélait l’étendue des «couacs» de gestion au sein du DFAE, mis en lumière par un rapport de dix pages rédigé en 2019 par la médecin du travail fraîchement engagée. Elle y décrivait le niveau de stress des collaborateurs «particulièrement élevé», jusqu’à devenir «malsain». Ceci dû notamment au surmenage et au manque de considération de la hiérarchie.


On peut notamment y lire: «Les collaborateurs ayant souffert d'une maladie psychique liée au stress ou à d'autres troubles psychiques sont estampillés comme nonrésistants, bien qu'ils soient à nouveau en bonne santé (…) Ces faits sont discutés publiquement. Cette ‘culture du ragot’ a un effet négatif direct sur la réintégration.»


Parmi les griefs les plus souvent remontés par 120 collaborateurs venus spontanément se confier à la médecin, on retrouve notamment: manque de transparence dans les décisions et les procédures de recrutement, conflits au sein de l'équipe et avec les supérieurs, non-respect des temps de repos et de récupération, ou encore exigence d'être joignable en permanence.


Interrogé par Le Temps, le département avait alors botté en touche, par le biais de sa directrice des Ressources, Tania Cavassini: ce «rapport se base sur des entretiens avec 120 personnes sur 5500. Cela ne représente pas l’ensemble du DFAE. Notre enquête de satisfaction, à laquelle 66% du personnel a répondu, démontre que les gens se sentent en bonne santé», selon elle. Détail piquant, la Direction des Ressources a refusé de communiquer ce rapport aux employés, qui n’y ont eu accès que par l'entremise des médias.


La médecin en question quittait son poste à la suite de la publication de son rapport, après dix mois de travail. Pour des raisons soumises à «la protection des données», selon le DFAE.


Elle avait fait office de pionnière: avant 2019, le Département n’était pas pourvu de médecin dédié aux collaborateurs. Sa remplaçante, issue de chez Novartis, a été trouvée il y a un an et demi. Le poste était donc vacant au début de la pandémie de Covid, ce qui n’a fait qu’ajouter au stress de certains collaborateurs. Quant au réseau de psychologues disponibles, il s’agit de travailleurs externes qui ont déjà une patientèle.


L’Impertinent a recueilli les témoignages de plusieurs employés du DFAE et de la DDC toujours en exercice. Tous relatent des faits déjà soulignés, en substance, dans le rapport de 2019. Trois ans après, rien ne semble donc avoir changé.


Problèmes systémiques


Parmi ceux qui ont décidé de crier haut et fort leur mal-être, Jean-Christophe Favre, membre de la DDC depuis 25 ans, a publié et envoyé à ses supérieurs un dossier documentant scrupuleusement les actes de mobbing, de harcèlement et de déconsidération dont il s’estime avoir été victime. Dans ce document, rédigé en 2020 et que L’Impertinent s’est procuré, il écrit notamment: «Victime de harcèlement psychologique dans l’exercice de ma fonction au sein de mon unité organisationnelle à la DDC entre octobre 2016 et octobre 2017, mon employeur n’a pas exercé à mon endroit le devoir de protection auquel il est tenu, malgré mes nombreuses sollicitations. Au harcèlement psychologique auquel mes collègues m’ont exposé s’est ainsi ajouté une forme de harcèlement institutionnel. (...) Si je couche ce témoignage aujourd’hui sur le papier, c’est pour le déposer auprès de ceux qui dirigent notre organisation. Pour qu’ils sachent. Pour qu’ils agissent.»


Depuis lors, Jean-Christophe Favre a repris son poste – non sans un arrêt maladie de sept mois – mais n’en démord pas, car son récit détaillé n’a abouti sur rien de concret. Son cas serait un problème isolé et il n'aurait qu'à faire preuve de résilience. «Les problèmes sont glissés sous le tapis, glisse-t-il. Des fois on a juste besoin que le management manifeste de l’empathie face à notre mal-être. Une reconnaissance du problème.»


«Loi du silence»


«Il y a de nombreux cas de burn-out, mais rien n’est jamais annoncé, témoigne un autre collaborateur*. On se rend compte que les gens disparaissent, mais aucune information ne nous est donnée. La direction des Ressources refuse de pourvoir des vues d’ensemble de ces absences longue durée et indique qu’il s’agit de cas individuels et qu’il n’y a rien de structurel. Il semblerait qu’il n’y ait pas de volonté de creuser davantage.»


Selon lui et comme le relevait le rapport de la médecin du travail, «il y a toujours une certaine honte, un tabou, de dire qu’on est en burn-out. C’est perçu comme une faiblesse personnelle qui peut potentiellement limiter les postes qu’on peut avoir plus tard. A partir du moment où on a une certaine réputation, la possibilité de trouver un bon poste est limitée. Il y a une forme de loi du silence autour de ces problématiques.»


«La santé physique et mentale des employés n’a pas beaucoup de valeur»

Pire encore, les collaborateurs envoyés à l’étranger seraient inquiets pour leur sécurité: «Dans d'autres endroits, les soins médicaux sont insuffisants ou inexistants et même la stabilisation médicale initiale de collaborateurs gravement malades ou accidentés est compliquée et non réglementée, statue le rapport de 2019. Les structures existantes ne sont pas systématiquement évaluées par des spécialistes.»


Un sentiment appuyé par l’une de nos témoins*: «Il est clair que nous ne sommes pas appréciés en tant qu’êtres humains. On nous demande d’être dans les pays les plus dangereux du monde, de laisser notre famille derrière nous, de mener des négociations délicates, mais la considération qu’on nous montre n’est pas à la mesure de ce qu’on nous demande. La santé physique et mentale des employés n’a pas beaucoup de valeur.»


Un système «incestueux»


Parmi les employés interrogés, le terme qui revient en boucle est celui d’incestueux. En effet, tous les collaborateurs «transférables» (dont les diplomates et le staff consulaire) du DFAE doivent remettre leur poste au concours tous les quatre ans, dans un processus de rotation conçu tel que votre patron peut devenir votre collègue et vice versa. Chacun postule pour plusieurs emplois et c’est aux RH qu’incombe la tâche de faire une short list en fonction des critères de chacun. Le management organise ensuite une série d’entretiens avec les candidats. «Tout le monde se connaît et il y a une certaine compétition entre les gens, souffle un collaborateur*. Ce système élitiste fait qu’on n’a pas le droit de parler des faiblesses. Il faut faire attention si on veut gérer sa carrière.»


Aussi positif et dynamique que puisse être ce fonctionnement, il est également à la source de bien des problématiques sociales, car il instaure une forme d’omerta parmi les collaborateurs dont le comportement influe sur le replacement. De plus, certains obtiendraient des rendez-vous et d’autres pas, sans qu’ils ne sachent pourquoi. Un manque de transparence particulièrement mal vécu au sein des différentes équipes.


Dans le cas de Jean-Christophe Favre, par exemple, il s’est retrouvé avec l’un de ses mobbeurs en guise d’interviewer. Et lorsqu’il s’est plaint de devoir passer un entretien face à son harceleur, il affirme: «Pour les RH, le problème n’était pas tant que je puisse me sentir harcelé psychologiquement par mes collègues. Leur préoccupation était que j’aie exprimé ces soupçons en présence d’une personne extérieure à la DDC, en l’occurrence un représentant du SECO. On m’a prévenu que mon acte ne serait pas sans conséquences sur ma rotation.»


Les nominations au sein du département sont également une source de problème. Comme cela avait également été révélé dans la presse. «On nomme davantage sur les relations que sur les compétences», conclut un collaborateur.


Restructuration problématique


«Fit for purpose», comprenez «adapté à l’objectif». Tel est le titre d’une restructuration de la DDC démarrée il y a un an et demi et censée être effective au 1er septembre 2022. Celle-ci non plus n’obtient pas les grâces de nos interlocuteurs, en raison de la manière dont les opérations ont été menées.


«L’idée était de couper un certain nombre de postes à Berne pour les envoyer sur le terrain, explique un autre témoin*, mais la réflexion n’a pas été faite selon moi et la communication a été lacunaire.»


Il semblerait que des problèmes de management aient des conséquences sur le travail des collaborateurs basés à l’étranger. La volonté de transmettre plus de responsabilités et plus de tâches aux employés sur le terrain pour décharger la centrale bernoise nuirait à la conduite du dialogue politique avec les autorités des différents pays dans lesquels la Suisse est présente, car les collaborateurs sur place seraient étouffés par leur administration et leur bureaucratie.


En plus de cette restructuration, une modification des classes salariales via un point nommé Koherenzcheck est en cours. Selon nos sources, les critères d’évaluation seraient opaques. Le cas le plus flagrant touche les assistantes, qui sont souvent des femmes. Et ce en dépit de leur charge considérable de travail et des obligations qui incombent à leur position, comme de vastes connaissances linguistiques notamment. De nombreuses personnes perdraient jusqu’à trois classes salariales, qui correspondent à 10% de salaire mensuel en moins. «Ce qui s’ajoute au contexte général délicat et démotivant», nous dit-on.


Un chef démissionnaire?


Si les problèmes de gestion étaient là avant son arrivée, Ignazio Cassis n’aurait pas amélioré les choses, contrairement à ce qu’il affirmait sur le plateau de la RTS en 2020. Là-dessus aussi, nos interlocuteurs sont unanimes.


«Ignazio Cassis a apporté cette volonté de mettre la pression sur la DDC, déclare l’une d’entre eux. Il ne l’a jamais beaucoup aimée. Ce n’est pas quelqu’un qui est présent comme chef et ça se ressent sur toute la hiérarchie.»


*identités connues de la rédaction

5 Comments


fabiennechapuis
Aug 15, 2022

il ferait mieux de retourner à son cabinet de médecin: il n'a fait que des gaffes; c'est un véritable bouffon qui nuit à la Suisse; les autres ne valent guère mieux, telle Madame Somaruga à l'énergie; quelle catastrophe; il vaut mieux qu'elle retourne jouer du piano.

Cette incompétence, accompagnée d'un ego sur-dimensionné, voire d'une arrogance, est courante dans les pays occidentaux; la Suisse n'est pas épargnée

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eric.girod1303
eric.girod1303
Jul 10, 2022

Le principe de Peter s'appliquerait-il pour ce médecin, actuellement sur une estrade peut-être trop haute pour lui ?


Ceci dit, les gens au sommet, chez nous en Suisse (appelés conseiller fédéral, conseillère fédérale), n'y sont pas forcément par leurs compétences intrinsèques pures, mais plutôt par un sulfureux amalgame composé de calculs d'alliances diverses et (a)variées, de copinage, d'ascenseur social, de compromis, de menaces, d'appartenance à un genre, à un canton, de malléabilité, de goujaterie (rare et socialiste) et encore de soumission à l'impérialisme outre-Atlantique.


Ils ne sont certes pas élus directement par le peuple, autrefois souverain, mais l'exemple hexagonal montre que des peuples, à qui cette possibilité est offerte, n'en font pas nécessairement bon usage, voire pas d'usage du tout.


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fabiennechapuis
Aug 15, 2022
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oui le tirage au sort du parlement; vous avez raison; je ne cesse de le prôner; les Grecs anciens l'ont fait; cela aurait le mérite de mettre fin à la professionnalisation de la politique, laquelle a totalement dévoyé la démocratie

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1111
Jul 10, 2022

Notre cher Président a vraiment tout de l'incompétent. Je suis surpris que notre confédération utilise ce système américain de "chaises musicales", tout le monde doit re postuler pour son propre poste tout les x années...

Il n'y a pas mieux pour pourrir totalement une ambiance de travail et pour maintenir des gens dans la "peur" de perdre leur emploi.


Un petit conseil à eux? libérez-vous, c'est de l'esclavage et de la torture mentale. On n'est pas obligé de suivre cette voie, une fois que l'on en a conscience, tout change. Ne pas accepter, revendiquer. Si personne ou trop peu de gens n'accepte un idée inepte, personne ne pourra la mettre en place (qui à soufflé "les masques"??). On ne…

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