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Article rédigé par :

Amèle Debey

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Deal de rue, la parole au dealer: «Nous sommes dans un pays qui ne nous intègre pas»

Dernière mise à jour : 26 oct. 2024

La problématique du deal de rue a pris des proportions jugées inquiétantes par les autorités et certains riverains. Afin de mieux comprendre la situation de ces hommes qui vendent de la drogue dans les rues suisses, nous avons pu interroger l’un d’entre eux. Pour la première fois, un dealer a accepté de s’exprimer face à une caméra, pour L’Impertinent.

Deal de rue
© A.D

Sami* est un Nigérian d’une quarantaine d’années arrivé en Suisse, par l’Italie, il y a près de dix ans. Son quotidien est fait d’incertitudes, de débrouille et de deal. A plusieurs reprises, il a essayé de s’extraire du marché de la vente de cocaïne, mais s’est vu contraint d’y retourner, selon lui, faute d’alternative pour gagner un peu d’argent nécessaire à sa survie. Comme beaucoup de ses compatriotes, il en envoie aussi à sa famille restée en Afrique. Ses activités délictuelles trouveraient également leurs origines dans l’oisiveté. Certains requérants d’asile sont nourris et logés – au cas par cas – dans des centres d’accueil qui ne sont accessibles que pour dormir.



Sami fait partie des milliers de requérants d'asile débouté qui séjournent en Suisse sous le système de l'aide d'urgence. En 2020, ils étaient 6500 sur le territoire. On ne peut pas les expulser, car souvent ils se rendent invisibles, explique Nicolas Cerclé, porte-parole du Secrétariat d’Etat aux Migrations (SEM). Sur le site de l'association Medicus Mundi Suisse, le docteur en philosophie, psychologue et psychothérapeute actif dans différents projets pour les réfugiés, Urs Ruckstuhl écrit: «La plupart des personnes déboutées vivent souvent pendant des années dans des conditions d'extrême pauvreté (budget journalier de 8 à 12 CHF), dans des logements provisoires (conteneurs, maisons délabrées, abris de la protection civile) et sont soumises à une interdiction de s’occuper, de travailler et d'intégration générale. Les personnes concernées par une restriction des déplacements, une interdiction de contact de fait, sont exposées au risque permanent d'arrestations arbitraires et de peines de prison récurrentes en raison de leur statut de clandestin.»


Mafia nigériane?


Lors d’une entrevue précédente à cet enregistrement, nous avons abordé avec Sami l’hypothèse scandée par la droite d’une mafia nigériane organisée, qui enverrait ses ressortissants en Suisse pour y vendre de la drogue. Pendant plusieurs heures, il nous a martelé qu’il n’y avait rien de vrai dans tout cela: «Des gens viendraient spécialement d’Afrique pour vendre de la drogue en Suisse? C’est un mensonge, c’est totalement faux, assure Sami. Je n’ai jamais vu ça. D’ailleurs, il n’y a pas que les Nigérians qui vendent de la drogue. Et pas que les Africains. Pourquoi sommes-nous visés? Parce qu’on est noirs? C’est une question de couleur? Un esprit plein de suspicions n’est pas une preuve de sagesse».

 

«On vend de la drogue parce qu’on est dans un pays qui ne nous intègre pas»

 

«Aucun parent n’aurait envie de voir son enfant faire ça, explique encore Sami. Les gens le font parce qu’ils sont dans un pays qui ne les accepte pas, qui ne les intègre pas et qui ne leur donne pas la possibilité de travailler pour répondre à leurs besoins».

 

Une hypothèse balayée également par Camille Robert, cosecrétaire du Groupement Romand d’Etudes des Addictions (GREA): «Si on a le choix, on fait autre chose de sa journée. Ces gens ne quittent pas leur pays pour venir fuir la police en Suisse.» Selon la jeune femme, les dealers de rue sont ciblés par ce qu’ils sont visibles, «mais c’est une minorité du deal. La majorité du deal se fait sur internet, par les réseaux sociaux, comme Snapchat ou Telegram et ce sont probablement des personnes totalement différentes qui sont derrière», explique-t-elle.

 

«Les derniers maillons de la chaîne»

 

«Dans le cas de la cocaïne, le produit part des pays producteurs comme la Colombie, la Bolivie ou le Pérou. Ils sont acheminés jusqu’au Brésil où ils sont stockés dans des containers chargés sur des bateaux jusque dans les ports d’entrée en Europe. Ces bateaux transportent tout un tas de marchandises, mais grâce à la corruption, les mafias vont pouvoir faire transiter leurs produits jusqu’à Anvers ou Rotterdam. Ce ne sont pas du tout les dealers de rue qui organisent ce trafic, ils sont les derniers maillons de la chaîne.»

 

Comment expliquer alors que d’autres requérants d’asile ne se livrent pas aux mêmes activités? Lors de nos pérégrinations dans les rues d’Yverdon, de Lausanne et de Vevey – trois communes qui ont demandé l’aide du canton pour faire face à ce problème – nous avons rencontré beaucoup de dealers en station. Tous avaient en commun de refuser de répondre à nos questions, à part pour confirmer être issus d’un pays d’Afrique.

 

«Les réseaux de deal sont effectivement communautaires, On commence cette activité par du bouche-à-oreille, avance Camille Robert. Tout simplement parce que ce sont des gens qui se connaissent et qui parlent la même langue. Il y a des réseaux nigérians, mais également marocains ou albanais, entre autres.»


Une question de choix?

 

Ces dealers n’ont-ils d’autres choix que de vendre de la drogue? Absolument pas, selon Byron Allauca, président du Collectif vaudois de soutien aux sans-papiers. Selon cet Equatorien, qui a vécu dix ans dans la clandestinité, les requérants d’asile pourraient travailler au noir, comme les sans-papiers. Mais la comparaison s’arrête là, car les sans-papiers ne font pas de demande d’asile et les requérants déboutés par une décision de «non-entrée en matière» dans l’espace Schengen ne pourront pas obtenir de documents légaux en Suisse. Encore moins s’ils se rendent coupables de délit, comme la vente de drogues, puisqu'un casier vierge fait partie des conditions à l'obtention d'un permis de séjour.

 

«Le phénomène du deal de rue ne concerne pas les sans-papiers mais plutôt une petite partie des requérants d’asile, nous explique Nicolas Cerclé. Les sans-papiers sont des étrangers qui sont clandestins en Suisse. Ces personnes travaillent généralement au noir (dans le secteur de l’économie domestique, restauration, construction) et ne posent pas de problèmes sur le plan de la délinquance.»

«La solution a court terme serait peut-être de décider où on tolère le deal de rue»

 

Du côté du GREA, on estime que le deal de rue ne disparaîtra pas, «car les personnes précaires seront toujours preneuses de pouvoir se fournir dans le coin de la rue. La solution à long terme contre le deal de rue est de réguler toutes les drogues et de récupérer les marchés dans l’économie légale, estime Camille Robert. Cela ne veut pas dire légaliser le produit ce qui revient à faire du profit et de la publicité dessus, mais plutôt d’encadrer le marché de manière à protéger la santé publique. Une autre solution contre la situation actuelle pourrait être d’avoir une discussion collective avec les dealers, les consommateurs, les riverains et toutes les parties prenantes, pour décider où on tolère le deal de rue. C’est peut-être la solution à court terme.»


D'autant que le dispositif répressif déployé par le canton a ses limites. Selon une de nos sources au sein de la police cantonale, la présence policière renforcée dans les rues a été rendue possible par la réassignation d'agents initialement dévoués à d'autres tâches.

 

*identité connue de la rédaction

6 Comments


Il faut changer complètement de paradigme, car je suis Suisse et d'origine afrodescendant et c'est malaisant de devoir se justifier et d'être suspect à chaque fois que je désire aller en ville. Maintenant, cette situation est partout, et une grande partie de ceux qui critique dans ma région, paie quasiment rien en impôts comparé à moi.

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j3hdy
j3hdy
Oct 22, 2024

j'habite à Lausanne et j'ai souvent voulu m'arrêter discuter de la situation avec l'un d'eux, sans jamais oser le faire. donc merci de l'avoir fait. c'est comme avec la prostitution, il y aura toujours une demande et tout ce qui va avec...

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suzette.s
Oct 21, 2024

J'avoue que je ne vois pas d'issue. Les pays dont proviennent ces malheureux ne veulent pas les reprendre et nous ne pouvons pas accueillir tout le monde. Il faudrait arriver à supprimer la consommation de drogue, car celle-ci trahit un malaise existentiel des consommateurs et là nous pourrions peut-être faire quelque chose de très utile; ce sont les consommateurs qui attirent les dealers et les consommateurs souffrent à cause de quelque chose en rapport avec notre mode de vie. Mais je reconnais mon ignorance.

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Amèle Debey
Amèle Debey
Oct 21, 2024
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Supprimer le mal-être existentiel… vaste programme! :)

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jean-marc.cerutti
Oct 20, 2024

Voici un vaste, très vaste problème dont les causes son multiples.

Sur le plan purement humain, en arriver à devoir fuir son pays d'origine est symptomatique du malaise qui y existe. Ce n'est certainement pas de gaîté de coeur que l'on est amené à tout abandonner du jour au lendemain.

Cependant, cette situation n'autorise pas à critiquer nos autorités qui ne donnent pas d'autorisation de travail à ces requérants. Sinon où seraient les limites ? Qu'allons-nous faire de tous ceux qui prennent la Suisse pour une bonne poire ? Devons-nous, sous prétexte "d'humanité", accueillir tous ceux qui en font la demande ?

Cette situation ne peut durer éternellement, ayons le courage de prendre les mesures qui s'imposent.

Non, je pense…

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eric.videlier
Oct 21, 2024
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Autre problème que la gent politique de notre pays se refuse de prendre à bras le corps et qu'on peut résumer par la question suivante: que font nos élus fédéraux et cantonaux pour que notre société ne soit pas de plus en plus malade par manque de bien-être? Cela ne passe en tous les cas pas par la poursuite de politiques qui:

  • réduisent les filets sociaux pour nos concitoyens les plus vulnérables;

  • cherchent à ponctionner par tous les moyens les revenus des vrais créateurs de richesse, qu'ils soient paysans, ouvriers, au chômage, ou ceux qui ont créés de la richesse et sont aujourd'hui des retraités financièrement précaires;

  • veulent faire supporter aux "mauvais électeurs" qui ont voté en faveur de retraites…

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