Covid: la stratégie britannique de la peur étalée au grand jour

Environ 100'000 messages WhatsApp reçus et envoyés par l'équivalent du ministre britannique de la santé pendant la crise Covid, Matt Hancock, ont été transmis à la presse. Entre les aveux de stratégie basée sur la peur, les confinements décidés pour des raisons politiques et les pressions exercées ici et là, Westminster est plus que jamais dans l’embarras. Après les Twitter Files, voici les Lockdown Files.

© The Daily Telegraph

«Effrayer tout le monde». C’était vraisemblablement la stratégie du ministre britannique de la santé (Secretary of State for Health and Social Care) du 9 juillet 2018 au 26 juin 2021, Matt Hancock, si on en croit des échanges avec ses conseillers qui ont été rendus publics.

Depuis une semaine, le Daily Telegraph dévoile les conversations privées de ministres anglais, dans un festival de conversations plus embarrassantes les unes que les autres. Environ 100'000 messages issus de groupes WhatsApp entre Matt Hancock et ses proches conseillers, parmi lesquels on peut notamment lire que la «peur» et/ou la «culpabilité» étaient des outils essentiels pour garantir le respect des règles durant la crise Covid.

«Ils ont envisagé de rendre le port du masque obligatoire dans ‘tous les contextes’, car il a un ‘impact très visible’, peut-on notamment lire dans cette enquête feuilleton, qui éclabousse le monde de la politique britannique. Dès le début de la crise, le conseiller de Matt Hancock a notamment déclaré que le fait de ne pas publier les données peut être tourné à leur avantage car cela ‘contribue à faire croire que les choses vont vraiment mal’».

«Tout au long de la pandémie, les responsables et les ministres se sont demandé comment s'assurer que le public respectait les restrictions de confinement en constante évolution, expliquent nos confrères. Une arme dans leur arsenal était la peur. Le secrétaire à la santé de l'époque n'était pas le seul à vouloir effrayer le public pour qu'il se conforme . Les messages WhatsApp vus par The Telegraph montrent comment plusieurs membres de l'équipe de Matt Hancock se sont engagés dans une sorte de Project Fear, dans lequel ils ont expliqué comment utiliser ‘la peur et la culpabilité’ pour obliger les gens à obéir au confinement.»

«Quand est-ce que l’on déploie le nouveau variant?»

Au début de la deuxième vague et tandis que Boris Johnson souhaitait «libérer» la population pour les fêtes, son «ministre de la santé» réfléchissait à comment «faire peur à tout le monde» avec la déclaration d'une nouvelle souche de Covid-19, connue sous le nom de variant Alpha.

Il s'inquiétait manifestement du fait que le Brexit vienne détourner l'attention de la population:

© The Daily Telegraph

Les quarantaines

Comme dans le reste du monde, la Grande-Bretagne a souffert des règles de quarantaines fixées pour les cas contact, qui devaient s’isoler pendant 14 jours, y compris lorsqu’ils n’avaient ni symptômes, ni test positif.

Selon les messages publiés par le Daily Telegraph, Matt Hancock aurait rejeté l'avis du médecin en chef de l'Angleterre de remplacer la quarantaine de 14 jours de Covid par un test de cinq jours en novembre 2020, car cela «impliquerait que nous nous sommes trompés».

Plusieurs conseillers du gouvernement se sont déclarés «favorables» à l'expérimentation du système alternatif. Mais Matt Hancock s'y est opposé, déclarant que cela «ressemblait à un assouplissement massif» et que la suppression de l'exigence de quarantaine pourrait donner l'impression que les ministres avaient fait une erreur.

© The Daily Telegraph

Lorsque l'auto-isolation a été totalement abandonnée en février 2022, plus de 20 millions de personnes avaient été mise en quarantaine dans tout le pays.

De la pression au chantage

Pour améliorer encore le tableau, il apparaîtrait que Matt Hancock et ses équipes aient discuté d'un plan visant à bloquer le financement d'un nouveau centre pour enfants et adultes handicapés afin de faire pression sur un député conservateur pour qu'il soutienne les nouvelles restrictions.

Dans un article paru le 2 mars, le journal Les Echos relève encore quelques points parmi les plus problématiques de ces révélations:

• la décision d'imposer le masque dans les couloirs des collèges et des lycées a été prise uniquement pour éviter un clash avec la Première ministre écossaise Nicola Sturgeon;

• Matt Hancock a bataillé fin décembre 2020 pour fermer les écoles contre l'avis du ministre de l'Education Gavin Williamson;

• Matt Hancock semble être à l’origine de la décision prise au début de la pandémie de ne pas tester systématiquement toutes les entrées en maisons de retraite, ce qui a contribué à la diffusion du covid chez les personnes âgées et est une des causes de la surmortalité covid au Royaume-Uni notamment particulièrement violente dans les premiers mois de la pandémie.

Vous avez dit intérêt public?

Ces 100'000 messages issus de groupes WhatsApp avaient été confiés à la journaliste Isabel Oakeshott, ex-journaliste politique du Sunday Times, chargée d’aider Matt Hancock à écrire son livre, Pandemic Diaries, explique la BBC. Cette dernière a déclaré avoir rompu un accord légal en publiant les messages parce que c'était «dans l'intérêt public».

Dans un communiqué, l'ancien secrétaire à la Santé a déclaré qu'il n'y avait «absolument aucun cas d'intérêt public pour cette énorme violation» car tout le matériel utilisé pour son livre avait été remis à l'enquête publique.

«Westminster se prépare à d'autres révélations aussi embarrassantes dans les jours à venir – et personne ne sait lequel des contacts de Hancock sera la prochaine cible», selon Politico.

Rappelons, à toutes fins utiles, que Matt Hancock a dû démissionner de ses fonctions le 26 juin 2021, après avoir été surpris en pleine violation des règles de distanciation sociale avec sa maîtresse. Un scandale qui avait déjà fait couler beaucoup d’encre dans les tabloïds britanniques à l’époque.

Qu’elles soient ou non d’intérêt public, ces révélations sur la stratégie Covid britannique ont le mérite d’interroger sur celles des autres pays occidentaux qui ont mené des politiques similaires.

Interrogé sur le site Atlantico, Charles Reviens, ancien haut fonctionnaire, spécialiste de la comparaison internationale des politiques publiques, a notamment déclaré, à titre de comparaison: «Ma contribution de janvier 2022 sur le pass vaccinal et la volonté d’Emmanuel Macron ‘d’emmerder les non-vaccinés’ indiquait que les décisions d’alors étaient beaucoup plus explicables par la volonté de séduire l’électorat âgé (très favorable à tous les types de pass) en particulier en captant la partie résiduelle de cette électorat encore fidèle à LR et Valérie Pécresse, que par des seules considérations de santé publique. Les résultats des deux tours des élections présidentielles 2022 démontrent de façon claire que cela a été tout sauf un mauvais choix en tout cas sur le plan électoral.»