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Claudia, la belle du désert, enlevée au Niger

Dernière mise à jour : il y a 12 heures

Ma copine Claudia a été enlevée dans la soirée de dimanche dernier, à son domicile d’Agadez, au Niger. Tandis que le gouvernement suisse se hâte lentement pour sauver sa ressortissante, je raconte ici notre rencontre, en guise de prière pour son retour saine et sauve.

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Le fils de Claudia nous a autorisé à publier notre photo d'elle sans floutage. (2018) © A.D

Lundi 14 avril, une journaliste de l’AFP me contacte sur Twitter pour m’apprendre l’enlèvement de Claudia A., une suissesse établie à Agadez, aux portes du Sahara. Elle veut convenablement décrire celle dont la capture résonne progressivement dans toute la presse. Et pour cause, j’ai rencontré Claudia en 2018, lors d’un reportage en solitaire à Agadez, dans le cadre de l’opération migration lancée alors par mes confrères de Bon pour la tête.


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Agadez (2018) © A.D

Déjà à l’époque, le département des Affaires étrangères (DFAE) déconseillait sérieusement de se rendre au Niger. Mais, grâce à l’aide de Florence Perret et la confiance de Jacques Pilet, j’ai pu réaliser ce reportage de près d’une semaine qui restera pour moi comme un des meilleurs souvenirs de ma carrière. C’est là que j’ai rencontré Claudia, suissesse née au Liban et installée sur le continent africain depuis une trentaine d’années. Un petit bout de femme solaire, débordante d’énergie, à la voix magnétique – presque envoutante, avec ses intonations orientales – et au regard malicieux.

 

Quand je l’ai rencontrée, Claudia vivait depuis huit ans à Agadez. Ancienne organisatrice de voyages linguistiques pour le Crédit Suisse, elle avait mis le cap pour Tamanrasset, en Algérie, où elle s’occupait d’une agence de voyage. Pour être proche de son second mari touareg (le premier est décédé en 2006) et garantir une éducation en français à son fils, elle avait décidé de s’installer au Niger et avait jeté son dévolu sur Agadez. C'est là qu'elle a créé une coopérative avec les femmes des forgerons qui travaillent le cuir au village artisanal. L'idée est de lutter contre la pollution plastique et de permettre à ces femmes d'acquérir un niveau de perfectionnement supérieur.


«Tu ramasses plein de sous et tu n’as pas le temps de les dépenser»

 

J’écrivais alors: Quand je lui demande s’il lui arrive de regretter la Suisse, la réponse fuse: «Non, je n’ai jamais, jamais regretté une seconde!» Et d’expliquer: «J’ai vécu 40 ans de ma vie à l’extérieur de la Suisse. Le retour du Liban m’a été difficile, j’ai eu de la peine à m’intégrer en Suisse, je ne me sentais pas du tout à l’aise, se remémore-t-elle. Pour moi, il était clair que j’allais quitter la Suisse un jour ou l’autre. J’ai fait les écoles, j’ai travaillé, j’ai voulu prouver à mes parents que ce n’était pas une fuite et que je pouvais réussir en Suisse. Mais il vient le moment où tu te poses des questions; tu ramasses plein de sous et tu n’as pas le temps de les dépenser.»


Suissesses livrées à elles-mêmes


En janvier dernier, une autre occidentale (une citoyenne autrichienne nommée Eva Gretzmacher) a été enlevée dans la ville. Ce type de crime n’étant jamais arrivé à Agadez jusque-là, les autorités locales ont évoqué «un cas isolé». Une version qui s’érode à la lumière des nouveaux événements. Pour autant, Claudia n'était pas inquiète, selon une de ses amies de longue date de la région zurichoise que nous avons contactée et qui l'a vue il y a peu.

 

Car, avant son enlèvement, Claudia a passé trois mois en Suisse en début d'année. Elle était rentrée à Agadez en mars. Depuis «la porte du désert», on nous explique que les ressortissantes helvètes qui restent sur place doivent compter sur les autorités locales, plus ou moins zélées, pour assurer leur sécurité. La Suisse ne s'en mêle pas. Le prix à payer pour avoir fait le choix de s’installer dans une zone dangereuse, selon Berne. Contacté, le DFAE nous a renvoyés vers son communiqué, affirmant n'avoir rien à ajouter en l'état. Dans une situation aussi délicate, la discrétion est de mise.


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La grande mosquée d'Agadez. © Wikimédia Commons

Or, la police locale n'agit pas. Le gouverneur de la région leur a dit qu'elles pouvaient faire appel à des entreprises de sécurité pour leur protection, à leurs frais. Fautes de moyens, elles sont invitées à «rentrer chez elles». Sauf que, chez elles, c'est là-bas! Leur double nationalité (suisse et nigérienne) semble donc jouer en leur défaveur.


Dans sa prise de position officielle, le DFAE explique qu'une task force a été créée par le Centre de gestion des crises, en collaboration avec l'Office fédéral de la police (fedpol), le Service de renseignement de la Confédération et d'autres services fédéraux. Tout serait «mis en œuvre pour que la victime soit libérée et en bonne santé». Cependant, on peut également y lire que «depuis le 1ᵉʳ décembre 2009, le DFAE déconseille les voyages au Niger et les séjours de toute nature dans le pays en raison de la situation sécuritaire tendue et notamment du risque élevé d'enlèvement. Les ressortissants suisses qui, contrairement aux recommandations de la Confédération, restent dans le pays ou s'y rendent, agissent par négligence et doivent être attentifs au fait que la Suisse ne peut fournir qu'une aide limitée en cas d'urgence.»


Âgé de 28 ans, le fils de Claudia suit une formation à Niamey, la capitale du Niger. C'est lui qui, en l'absence de nouvelle de sa mère qui devait le contacter, a donné l'alerte dimanche, dans la soirée. «Cet enlèvement est un choc pour nous tous et on se retrouve complètement impuissants face à cette situation», nous a-t-il confié, assurant avoir été immédiatement approché par les autorités suisses. «Nous n'avons aucune information supplémentaire sur ce qui s'est passé et aucune revendication n'a été formulée pour le moment», a-t-il ajouté. Comme pour la citoyenne autrichienne, c'est le silence radio.


«Parfaitement intégrée»

 

Claudia faisait tellement partie du paysage d’Agadez que le risque ne semblait pas la concerner. C’est pourquoi, depuis lundi, c’est la consternation dans cette cité, point de passage privilégié pour les migrants subsahariens sur leur route pour la Libye ou l’Algérie.


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Des migrants en route pour entamer la traversée du désert, direction l'Europe. (2018) © A.D

 

«Elle est parfaitement intégrée. Elle allait et venait dans les rues en toute insouciance». On est tous secoués, c’est vraiment dommage», m’explique Adoum, un ancien fixeur qui a dû revoir ses activités depuis 2023 et le renversement du gouvernement. Selon lui, plus aucun journaliste ne reçoit d’accréditation pour venir à Agadez. Ils se sentent coupés du monde. «Toute la ville est atterrée», m’a également confié Ibrahim Diallo, du media Aïr info. Le premier à avoir communiqué sur le drame. Lui aussi était un ami de Claudia. Ils sont nombreux dans cette ville de 250'000 habitants (chiffres officieux). «Les femmes artisanes d'Agadez qu'elle aidait à travers l'association Tellit sont aujourd'hui sous le choc, m'explique-t-il encore. Elles prient pour que Claudia soit retrouvée au plus vite.» Tellit veut dire «lune» en temajek, la langue des touaregs.


La piste jihadiste


encadré

Ulf Laessing, directeur du programme régional Sahel pour la Fondation Konrad Adenauer, estime, dans le Tages Anzeiger, que la victime a sans doute été trompée par un faux sentiment de sécurité, nourri par ses années passées au Niger. Installé au Mali depuis quatre ans, Laessing rappelle qu'à Agadez, le risque d’enlèvement reste élevé, en raison de l’absence de contrôle étatique depuis le coup d’État. Pour les groupes jihadistes, kidnapper des Européens est devenu un modèle économique basé sur la rançon.


Pour Irabhim Diallo, de Aïr info, Agadez «n’est pas une région sous l’influence de l’Etat islamique», les enlèvements de Claudia et de l'Autrichienne Eva Gretzmacher «sont l’œuvre de sous-traitants des groupes terroristes», rapporte l'AFP. Selon Seidik Abba, président du Centre international d'études et de réflexions sur le Sahel, ces événements remettent aussi en question la sécurité à Agadez, «une ville garnison» où des assaillants peuvent facilement enlever des personnes et parviennent ensuite à «échapper à tous les mécanismes de surveillance». L'armée nigérienne avait pourtant récemment renforcé ses positions dans la ville, précise l'AFP. Sur place, nos sources nous expliquent que les autorités sont passées d'une surveillance intérieure, avec patrouilles de rue, à une surveillance extérieure.


Depuis le coup d’État, la pauvreté s’est aggravée, les prix ont augmenté, et les banques font face à des problèmes de liquidité, écrivait vendredi la NZZ. Les sanctions économiques de la CEDEAO après le putsch ont contribué à cette dégradation.


Étant donné l'absence de demande de rançon depuis janvier et l'enlèvement de la première européenne, l'hypothèse d'une tentative politique de déstabilisation du nouveau gouvernement est également évoquée.

 

Dans les années qui ont suivi notre rencontre, Claudia et moi étions restées en contact. J’avais acheté certains de ses sacs en tissu afin d'aider à faire connaître son association en Suisse. Elle avait accepté d’écrire quelques papiers pour Bon pour la tête, notamment au sujet de la numérisation grandissante de ce coin de cambrousse nigérien. Sa capacité d’analyse et son talent d’écriture gagnaient à être lus.

 

Puisse Claudia être retrouvée et rendue aux siens saine et sauve. Elle a encore tant à dire... et à écrire.

 

Les articles de mon reportage à Agadez sont à retrouver, en accès libre, sur Bon pour la tête:







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