Le docteur Eric Masserey est le médecin cantonal du Valais depuis 2022. Avant cela, il était médecin cantonal adjoint du canton de Vaud, aux premières loges de l’application des mesures pendant la pandémie de Covid. Pour la première fois, ce praticien a accepté de revenir sur l’épreuve qu’a représenté la gestion de cette crise, avec les graves tensions éthiques précipitées par les décisions politiques. Fort d’une carrière de plusieurs décennies dans la santé publique, Eric Masserey s’exprime ici à titre personnel sur son expérience particulière de la pandémie.
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Quelles ont été les conséquences de la gestion de la pandémie sur la santé publique?
Des conséquences individuelles, et institutionnelles. Je dirais que ça a fait bouger des lignes sur le plan des fonctionnements institutionnels. J’y reviendrai.
Sur le plan des personnes, des acteurs professionnels, cela a été une épreuve majeure. Pour les soignants, mais aussi pour les responsables de santé publique. Cela a été une longue période extraordinairement éprouvante. Pas seulement en termes d'heures de travail, mais en termes de tensions.
Pour beaucoup d'entre nous, qui avons choisi de faire de la santé publique pour prendre soin de la population, notre éthique a été mise à rude épreuve. Prendre soin de la population, ce n’est pas toujours, et parfois de loin pas, ce qui s’est passé pendant la pandémie. Nous avons subi une tension de travail énorme et une tension majeure dans nos valeurs.
Je ne crois pas que cette tension de valeurs soit vraiment apparue publiquement. Je pense qu’on aurait pu thématiser cela. Que l’on débatte du champ de tensions éthiques.
Vous voulez dire que vous n’étiez pas forcément favorables aux mesures sanitaires?
Pas aveuglément, heureusement dirais-je, et en tout cas en questionnement majeur sur ce qu’elles signifiaient. Sur la proportionnalité, leur pertinence. Je n’étais bien sûr de loin pas le seul en questionnement. Je pensais que la population pouvait savoir que ce que nous étions en train de décider de mettre en place comme mesures nous posait des questions fondamentales; qu’on pouvait certes comprendre qu'on le fasse, mais que, pour nous qui devions discuter et mettre en œuvre ces mesures, c’était extrêmement difficile. Cela aurait permis de partager ce qu'on vivait avec la population qui se posait, au moins pour une partie d’entre elle, les mêmes questions.
«Dire que l’on a dû tout inventer au fur et à mesure, c’est ne pas tenir compte de l’histoire»
Pour l’anecdote, pendant la pandémie, j’avais suspendu au mur de mon bureau, derrière moi, deux lettres que j’avais reçues pendant la première vague: l’une de remerciements et l’autre d’insultes. Histoire de rester dans un certain équilibre. Et de me rappeler que tout cela se discute.
Daniel Koch et bien d’autres ont repris après coup publiquement ces questionnements, comme le fait de savoir si on avait bien mesuré l’impact que ces mesures avaient dans les EMS. Nous étions cependant plusieurs à l’avoir exprimé en cours de route et même avant qu’elles soient décidées. Je fais partie des professionnels qui pensent que l’on aurait pu et dû faire au moins en partie autrement. Quand bien même il fallait protéger les EMS, leur fermeture, telle qu’elle a été pratiquée, reste discutable sur le plan épidémiologique. Pour l’anecdote encore, pendant le mois qui a précédé les premiers cas, je mettais, dans la première slide de mes présentations de préparation de crise, la phrase «Personne ne sera séparé de ses proches», car nous savions bien les décisions qui pouvaient être prises, l’histoire des épidémies le démontrait clairement. Il a bien fallu retirer cette phrase un peu plus tard.
L'interview de Daniel Koch est à suivre prochainement, sur L'Impertinent
L’histoire des décisions populationnelles dans les grandes épidémies est connue. Dire que l’on a dû tout inventer au fur et à mesure, c’est ne pas tenir compte de l’histoire ou ne pas la connaître. Je pense qu’on aurait pu aller beaucoup plus loin dans le débat public en expliquant les questions qui se posaient et qui se posent depuis toujours.
«Certains professionnels aguerris en ont parfois pleuré tellement nous n’avions pas choisi ce métier pour ces actions-là»
En assumant qu’il s’agissait d’un arbitrage, et que ce serait de toute façon difficile, une révolution majeure sur le plan hospitalier, sur le plan des soins longue durée, de l'accès aux soins, de la vie sociale. On aurait pu je crois mieux, nous tous, se préparer à cette notion d’arbitrage, car les professionnels engagés que nous étions, en parlions tout le temps.
Comment se fait-il que l’on ait pas entendu les professionnels de santé publique qui n’étaient pas d’accord avec ces mesures pendant cette crise?
Accord ou désaccord, nous l’étions plus ou moins selon les personnes. C’est bien normal et bien ainsi. Pour moi comme pour d’autres, cela a représenté une tension énorme. Nous travaillions ensemble, en groupe, on découvrait ce qu’on allait devoir faire, et il n’est pour le moins pas courant que certains professionnels aguerris en ont parfois pleuré tellement nous n’avions pas choisi ce métier pour ces actions-là. Je crois aussi qu’il était important de rester en fonction pour faire au mieux dans nos responsabilités de mise en œuvre et d’orientation des partenaires et décideurs.
«Les médias se sont particulièrement intéressés aux déclarations spectaculaires»
Tout cela ne s’est pas su. Nous aurions pu (ou dû?) thématiser ces doutes et communiquer sur les solutions alternatives, sur la souplesse possible dans l’application des mesures, pour certaines personnes dans certaines situations. Des exemples? En quoi avoir une personne de plus que le nombre limite dans une cérémonie funéraire aurait mis en péril le contrôle de la pandémie, au nom de quoi une visite à un patient en fin de vie restait-elle interdite à un proche, quel était le sens d’interdire de sortir à des enfants en quarantaine à la campagne? Il y a des mesures qui étaient décidées, pour des raisons compréhensibles, largement au-dessus de nos têtes, par exemple pour des raisons de cohérence internationale. Mais ce n’est pas toujours la cohérence épidémiologique qui a joué dans leur application.
Il a été décidé de ne pas rajouter des mots aux maux, pour ne pas semer la confusion. Mais je le regrette, je pense qu’on avait des choses sensées et sensibles à dire. Et une souplesse dans l’application des mesures qui aurait atténué des souffrances, des solitudes. Au moins, nous pouvions accorder des dérogations individuelles dans certaines situations, ce que nous avons fait quand nous le pouvions.
Daniel Koch m’a dit que la pression des pays alentours était très forte pour durcir les mesures...
Il y a en effet un autre arbitrage et d'autres valeurs qui sont au-dessus de nous. Mais il faut se souvenir que la Suisse a trouvé, en comparaison européenne, un chemin moins impactant, moins lourd. Alors qu’on avait l’exemple italien effrayant proche de nous.
L’étude des profils épidémiques de nos voisins nous a donné des clés de compréhension épidémiologiques qui ont été sous-employées, à mon avis. L'épidémiologie des maladies transmissibles est un métier. Et je ne pense pas que certains, qui ont tellement eu la parole et que les médias ont tellement sollicité, aient eu des compétences particulières dans le domaine.
Aucun média ne vous a demandé votre avis pendant cette crise?
Les médias se sont, me semble-t-il, particulièrement intéressés aux déclarations spectaculaires. J’ai été sollicité mais, comparativement à d’autres non-professionnels du domaine, plutôt peu. Mon avis étant plus nuancé, il était certainement moins intéressant. Et il n’est par ailleurs pas du ressort de membres de l’administration publique de prendre l’initiative de communiquer.
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Ma manière d'aborder le débat public est d’aborder les différents avis et de transmettre la matière du débat. De faire débat. Par exemple, dans le canton de Vaud, nous avions fait des séances élargies en visio ou chat avec des élèves et des parents d’élèves et la Conseillère d’Etat en charge de la formation… Au vu des tensions dans le sujet, il y avait le souci que la session se passe mal mais en fait l’échange a été constructif.
Je voulais aussi proposer une capsule vidéo hebdomadaire pour dire où, du point de vue des responsables de la gestion de cette crise, nous en étions et vers quoi on pouvait raisonnablement penser que nous allions. La communication fédérale nous donnait le point sur les jours précédents. L’idée était de sortir de cette addiction générale aux chiffres, au nombre de cas, d’hospitalisés, de décès et d’entrer dans le sens que ces chiffres portaient et leur évolution possible. Mais il y avait une retenue dans la communication sur l’analyse prospective. On disait que prévoir la situation à plus de trois jours, c'est de la divination. Quand on connaît l'épidémiologie des maladies transmissibles, ce n’est pas exact.
«Il y a eu des excès de confiance de certains experts auto-proclamés»
La prédiction des courbes épidémiologiques est un métier. Nous avions, dans le canton de Vaud, une remarquable équipe en charge du suivi épidémiologique. Nous ne communiquions cependant pas ces analyses prospectives. Une partie de la population a perçu la retenue en information/communication comme une dérive antidémocratique, mais l’intention n’était pas, je le sais j’y étais, de cacher des éléments informatifs. C’était assez confus comme ça et on ne voulait pas en rajouter. Surtout que, malgré une bonne probabilité d’avoir raison, on peut aussi se tromper, et les écarts entre la réalité et les prévisions sont toujours difficiles et laborieux à expliquer.
La vision complotiste disant que l’Etat sait des choses qu’il ne dit pas pour des raisons mystérieuses, d’emprise sur la population que sais-je, n’est pas conforme à la réalité. Il y a eu des difficultés à faire des choix, jusqu'où on disait quoi en public, dans cette cacophonie spectaculaire, entretenue par les médias, même si involontairement, par excès de confiance je pense de certains experts auto-proclamés, via certaines séries d’articles dans des journaux en principe pourtant sérieux. Comment faire entendre une réflexion raisonnable dans ce contexte?
Sur quelle mesure apportiez-vous de la nuance, à part les EMS?
Je peux mentionner les certificats Covid; les écoles et les enfants. Il était hors de question pour moi que l’on doive posséder un certificat pour aller à l'école par exemple, parce qu’un enfant en bonne santé est d'abord à l'école.
Il y a eu des pressions assez fortes pour que le canton de Vaud, plutôt peu interventionniste à ce niveau, rejoigne le rang des testeurs tous azimuts et des évicteurs d’enfants. Je plaidais alors pour qu’on laisse les enfants et les jeunes en dehors de tout cela, de par le fait que le problème épidémiologique ne venait pas en priorité d’eux et ne les concernait pas ou très peu cliniquement parlant.
«Des parents nous ont reproché 'd’envoyer leurs enfants à la mort'»
Bien sûr, chaque mesure peut permettre de diminuer la charge de circulation virale, certes. Mais quel est le prix à payer? Cet arbitrage-là, je le faisais de manière nuancée: l'impact pour les enfants d'être insécures quant à leur accès à l'école est tel que, franchement, la perspective de quelques cas en plus ne faisait pas pencher la balance en faveur de la stratégie tests systématiques/évictions. Il y a eu des parents qui nous ont reproché «d’envoyer leurs enfants à la mort» ou de «ramener la mort à la maison».
Cette période a énormément clivé les esprits, les opinions ou certitudes. Les pressions fédérales pour durcir la stratégie peu interventionniste vaudoise dans les écoles étaient fortes, et je suis reconnaissant que les décisions prises ont été moins impactantes sur les enfants. Nos analyses et suivi épidémiologiques donnaient confiance.
Pensez-vous que votre avis n’a pas été sollicité parce qu’on devait protéger le narratif officiel?
Soyons clairs: il n’y a jamais eu de consigne de protéger un narratif officiel. La retenue en communication n’est pas égale à étouffer des voix discordantes. Du côté des médias, qui à mon avis tendaient à relayer un narratif peu différencié, il n’y avait pas ou en tout cas peu d’intérêt pour cette position de recherche. Trop de lignes éditoriales ne recherchaient pas la réflexion nuancée, interrogeaient sans cesse les mêmes personnes, dont certaines affirmaient des opinions non fondées ou erronées…
Il y avait des alternatives à ces façons de réfléchir. Il pouvait y avoir un esprit critique sur ce qui était raconté… notamment ou particulièrement concernant les enfants. Pour rappel, je suis pédiatre de formation, ai longtemps travaillé en pédiatrie communautaire, et responsable à ce moment-là des maladies transmissibles. Je pouvais certainement apporter une vision documentée sur ces questions. Mais les médias à l’évidence s’intéressaient à un autre narratif.
Que reste-t-il du Covid dans le système de santé?
Chez les professionnels de santé, cela a eu un impact. En négatif par l’épuisement provoqué par la durée de la crise. Mais aussi en positif. Il y a un rééquilibrage en cours dans la place et la reconnaissance des soignants dans le système de santé. Je pense que cela leur a donné un poids politique qu’il était nécessaire de prendre. Il est aujourd’hui plus évident de thématiser le fait qu’on aura à l’avenir proportionnellement plus besoin de soin que de médecine. Cette crise a clairement démontré le fait que les soignants ont une place plus importante dans le système de santé.
«Désormais, on devient un danger public si on tousse dans le train»
Des modes de travail ont été adaptés. Tout va plus vite. On a acquis une forme d’agilité plus grande dans un système qui, malgré tout, va de plus en plus rapidement vers une mise en échec majeure. Car faire toujours plus de la même médecine devient chaque jour plus impossible, il faut la faire en partie autrement. Je pense que la pandémie a rééquilibré une vision de la médecine de premier recours, de la médecine de base, de la vulnérabilité. C’est plus présent dans le système de santé, je crois, aujourd’hui par rapport au développement de la médecine médico-technique, en tout cas plus équilibré et certainement de plus en plus nécessaire.
Il semblerait qu’il y ait également une différence dans la façon dont les citoyens consomment la médecine. Il y aurait désormais beaucoup plus d'anxiété et les gens iraient beaucoup plus rapidement chez le médecin. Est-ce quelque chose que vous observez également?
Vis-à-vis des maladies virales banales, je pense que oui. Avant, on faisait «avec»: on était «grippé», on allait quand même au travail. Désormais, on devient un danger public si on tousse dans le train. Le rapport de nos sociétés aux maladies banales a évolué.
Je suis étonné du nombre de personnes qui veulent absolument savoir s’ils ont une grippe ou un «Covid». Savoir quel est le microbe qui nous habite est plus présent qu’avant dans les maladies banales. Alors que ce diagnostic pour une personne en bonne santé, simplement grippée, n’a pas d’intérêt.
Comment s’est passée la vaccination?
La vaccination reste et restera LA réponse à une pandémie, comme elle l’est pour de grands fléaux de l’humanité. Pour rester sur la pandémie – mais la rougeole, la polio, la diphtérie étaient aussi des pandémies à vagues cycliques – elle seule permet de raccourcir les cycles de ses vagues et de protéger vraiment les individus, la population et la société. Il s’agissait de vacciner d’abord la population vulnérable puis la population dans un but d’éteindre la pandémie, ce qui fait à mes yeux pleinement sens. Personnellement, je suis pro-vaccin, et bien informé. Comme beaucoup, je me suis posé beaucoup de questions sur ces vaccins ARN.
Je me suis donc renseigné pour comprendre comment marche cette technologie et la confiance qu’on pouvait lui faire. Au départ, cela nous paraissait exotique à tous, en dehors de quelques spécialistes. J'aurais volontiers dit que cela me posait plein de questions que je devais creuser le sujet avant de pouvoir en parler. Les études scientifiques, les données étaient et sont largement disponibles pour se faire un avis documenté. Au départ, je n'avais vraiment pas d'opinion préconçue, ni pour, ni contre. Je n’ai pas une confiance totale dans l'industrie pharmaceutique, ni dans la précipitation. Je viens d'une vieille époque où on mettait au moins dix ans à développer le moindre vaccin. J’ai ainsi dû adapter quelques unes de mes représentations.
Qu’avez-vous trouvé?
Que c'est un progrès absolument remarquable. C'est certainement une des voies les plus naturelles pour produire des anticorps. Les virus font de l’intrusion naturelles dans nos cellules et quand on compare ce que fait la nature des virus avec ce que fait ce vaccin, je préfère le vaccin.
Que pensiez-vous alors de la mesure qui a consisté à fermer les cabinets des médecins de famille pour envoyer tout le monde aux urgences? Ce qui fait que les médecins n’ont pas pu traiter leurs patients.
C’est justement pour éviter qu’il y ait des urgences que les médecins suivent de façon régulière les personnes vulnérables. Cela fait partie des décisions qui nous ont rendu un peu… pour le moins perplexes disons.
Qu’avez-vous pensé de la stratégie suédoise, qui n’a officiellement imposé aucune mesure?
La Suède a tout de même pris des mesures, après une période plus longue d’observation. Il faut aussi considérer que la société suédoise n’est pas celle de la Suisse. Et cette position non interventionniste était difficile à expliquer pour la Suisse, qui est au centre de l’Europe et ainsi plus interfaçée avec les décisions plus dures des pays voisins. L’Angleterre aussi a commencé par ne prendre aucune mesure, pour ensuite en prendre de sévères en raison de l’aggravation de la situation épidémiologique. Le juste milieu entre trop peu de mesures et des mesures trop sévères est difficile à trouver.
Cela étant, pour les maisons de retraite notamment, il y avait une alternative qui aurait été de laisser les proches prendre soin de leurs personnes âgées. Leur donner un accès bien encadré à la chambre pour éviter autant que possible les déplacements de personnel non formé de chambre en chambre.
C’est facile de le dire après coup, mais comme pour les écoles, il aurait fallu s’interroger d’emblée sur le coût humain des mesures prises par rapport au bénéfice épidémiologique, de même que sur le risque épidémiologique de mesures prises avec de bonnes intentions. L’impact humain de l’interdiction de visites en EMS aurait pu être relevé et pondéré, et certaines mesures allégées, en tout cas au bénéfice d’exceptions dans leur application.
Si une nouvelle pandémie apparaissait demain, vous pensez qu’on ferait la même chose?
Des enseignements sont tirés actuellement et le seront encore ces prochaines années. Des travaux importants sont réalisés dans ce sens en sciences humaines ou en santé publique.
Je pense que les discussions s’initieraient aujourd’hui autrement. Cette pandémie vaut pour une préparation générale à une suivante. La société s’attendrait certainement à ce qu’il y ait plus de discussion, la place de l’arbitrage et des sciences humaines dans les décisions politiques est quelque chose de désormais acquis me semble-t-il. La différenciation dans les mesures est une notion qui tend à prévaloir dans les préparations actuelles aux futures crises pandémiques. Et notre système de santé évolue.
Dans quel sens?
Notre système de santé a été conçu pour une autre médecine et pour d'autres patients que ceux d’aujourd’hui. J’arrive au terme de mon parcours professionnel et ma formation en pédiatrie a débuté il y a près de quarante ans: le métier que j’ai appris n’existe plus.
La médecine a énormément évolué. Il y a une telle spécialisation dans chaque domaine, cela va tellement loin dans ce qu'on peut faire… On peut soigner des malades dont les problématiques sont de plus en plus complexes. La polymorbidité, la complexité du patient ou de la prise en charge s'accentue très vite. Mais notre dispositif sanitaire, configuré des décennies en arrière, n’est pas organisé pour ces enjeux actuels, dans nos systèmes de santé cloisonnés entre prise en charge spécialisée et générale, ambulatoire et hospitalière par exemple.
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Même si cela paraît tenir du paradoxe, l’hyperspécialisation en médecine demande un grand développement de la médecine générale, véritable cheffe d’orchestre de la prise en charge complexe. Si on devait configurer le système de santé aujourd’hui, je pense qu’on ne ferait pas d’institutions cloisonnées, on s’intéresserait au parcours du patient, autour duquel on créerait un système beaucoup plus perméable, interprofessionnel et interinstitutionnel. Par conséquent, en cas de pandémie, on ne pourrait plus cloisonner autant les institutions de soins.
La perméabilité des compétences est un aspect très important. Aujourd'hui, on garde à l'hôpital des personnes qu'on pourrait prendre en soins à domicile si la compétence existait hors hôpital, ainsi que les modes de financement ad hoc. La compétence de l'hôpital pourrait se déplacer dans cette perméabilité, ce qui permettrait de rendre le système beaucoup plus efficient. Et les patients s'y retrouveraient beaucoup plus. A l’heure actuelle, les patients complexes ont encore tendance à «tomber dans des failles» si je puis dire, entre deux prises en charge, puis font des boucles: ils sortent de l'hôpital pas complètement stabilisés, pour revenir quelques jours plus tard.
«Il est très difficile de faire fonctionner de manière perméable un système qui a été conçu de façon cloisonnée»
Ces boucles-là sont les marqueurs d'un système qui n'a pas été configuré pour s'adapter aux patients appréhendés globalement. La médecine de plus en plus pointue, spécialisée et techniquement personnalisée, va devoir beaucoup plus prendre en compte la personne dans son contexte de vie et sa situation propre, son intérêt et sa volonté profonds pour être vraiment adéquate, pour faire les bons choix avec cette personne dans ce qui est Juste comme prise en charge pour elle.
Et bien sûr, la gouvernance du système de santé publique est un vrai problème. L’échelle d’un canton est beaucoup trop petite. On ne peut pas prendre de décisions cantonales sur la manière dont on finance quoi et comment. Et il est très difficile de faire fonctionner de manière perméable un système qui a été conçu de façon cloisonnée. Ce qui entraîne ce qu’on sait au niveau des coûts.
Les responsables politiques se rendent parfaitement compte de cette réalité. Mais on observe que notre système de gouvernance politique de la santé peine à se réformer. Cela donne des injonctions paradoxales à nos responsables de santé dans les cantons, qui sont sous tension face à cette mise en échec. Il faut économiser dans un système qui ne cesse de coûter plus.
A voir l’évolution des chefs de service de la santé publique en Romandie, c’est un métier qui semble devenu particulièrement difficile à assumer. Comme la pression sur les coûts est majeure, on tend à privilégier les réflexions et discussions financières à tous les niveaux. Il faut cependant veiller à équilibrer la réflexion sur les enjeux, les priorités de santé publique, les fonctionnements, les développements nécessaires, avec les contraintes financières et les volontés d’économie qui peuvent être impossibles à réaliser sans une réforme en profondeur du fonctionnement de notre système de santé.
N'est-ce pas là qu’est le problème? N’a-t-on pas tort de vouloir faire des économies sur la santé? Qui est quand même le domaine le plus important, avec l’éducation?
C’est une vraie question. On dépense 13% de notre PIB pour la santé. Mais pourquoi pas 14 ou 15, après tout?
Que pensez-vous de la détresse actuelle des services de permanence et d’urgence face aux assurances qui demandent à être remboursées pour les gardes et les urgences? N’est-on pas dans un système gangréné par la course au profit dans lequel les patients arrivent au bas de la chaîne d’intérêt?
Résumer la médecine à une course au profit est injuste pour tous les soignants dont la motivation quotidienne est le soin aux patients.
Que certains en profitent, que ce soit dans des spécialités très rémunératrices, ou des dispositifs qui visent à maximaliser une facturation d’urgence, ne signifie pas une gangrène du système. Le débat actuel vis-à-vis de cette facturation est éminemment regrettable. L’incompréhension des assurances quant au travail des médecins généralistes indépendants qui font leur garde ou étendent leurs horaires est problématique.
«La conséquence d’un désengagement des médecins indépendants serait un report sur les services d’urgences hospitalières»
Dans leurs exigences actuelles, les assurances mettent en péril un service à la population qui est déjà fragilisé par une démographie des médecins généralistes en baisse, pour un gain en termes de coût de la santé peu significatif par rapport à d’autres dépenses qui devraient être mieux régulées. La conséquence d’un désengagement des médecins indépendants serait un report sur les services d’urgences hospitalières, bien plus coûteuses.
Si leur agenda est de faire porter plus de financement des coûts de la santé par de l’argent public, il faut le dire et prendre les mesures politiques qui s’imposent. Il est vrai que, par comparaison à de nombreux autres pays, la part privée dans le financement de la santé est beaucoup plus importante par rapport à la part publique. Mais ce n’est pas en attaquant la facturation des généralistes pendant des horaires étendus ou leur garde en maison de garde que cela se résoudra.
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Merci pour cet article !
M. Masserey ou la langue de bois... Impressionnant cette capacité à noyer le poisson...
Ils ont pleuré... pauvre victimes!
Pas très courageux ce Monsieur ! Il met des bémol pour cette gestion sans rien vraiment condamner, sauf pour les enfants.
Sa position sur les vaccins est évidement décevante. La non maîtrise de cette technoloigie révolutionnaire, faite à la va-vite est condamnable.
Des études officielles comme celle de NEXTER sur les protéines indéterminées , les contrats PFIZER qui sont un aveux de faiblesse avant la mise sur le marché approuvé par l'UE, dont cette dernière cache toujours ces contrats, les très nombreux effets secondaires dont on ne parle pas dans cet article, démontre une fois de plus que si il parle, sa carrière est finie, au mieux... Serge
Home/ EMS Marc Aurel a Avenches: obligation de porter le masque poir le personnel soignant ET LES VISITES/ à partir de novembre 2024… plusieurs semaines, ensuite environ 2 semaines sans… et à nouveau actuellement (janvier 2025)!!!! Le canton de Vaud……. Je suis révoltée.
Merci pour l'interview.
Selon le Dr Masserey, il était bon de ne pas faire cas des doutes sur les mesures dans la profession pour ne pas créer de la confusion dans le public. Soit. Mais plus loin, disant qu'une partie de la population a perçu la retenue en information/communication comme une dérive antidémocratique (de la censure pour être clair), il se justifie par un expéditif "C’était assez confus comme ça et on ne voulait pas en rajouter."
Cette absence de volonté de transparence au motif d'éviter de la confusion dans le public est caractéristique. Elle profite aux médecins qui n'ont ainsi pas besoin de se remettre en question et peuvent taire leurs conflits d'intérêt.